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mercredi 30 mai 2018

Bonjour tristesse publié chez Rue de Sèvres en version BD, par Frédéric Rébéna

On connait le roman culte de Françoise Sagan. Voilà que désormais Bonjour tristesse est accessible pour la première fois en BD avec l'adaptation de Frédéric Rébéna, à l'initiative des éditions Rue de Sèvres.

J'ai eu le plaisir d'être invitée à une rencontre avec Frédéric Rébéna et Denis Westhoff (fils de Françoise Sagan) animée par Maya Michalon, à l’occasion de la parution de cet album à la Médiathèque Françoise Sagan (ce ne pouvait pas être un hasard), 8 rue Léon Schwartzenberg, Paris 10e.

Pour ceux qui ne l'ont pas lu dans sa version "roman" on peut rappeler que l'histoire se situe en 1954. Cécile, lycéenne parisienne passe l’été de ses dix-sept ans dans une villa avec son père Raymond, veuf, et Elsa, la maîtresse de ce dernier. Cécile et son père ont une relation fusionnelle, faite de plaisirs et d’insouciance. Cécile connaitra ses premières étreintes avec Cyril. L’ambiance change quand Raymond annonce l’arrivée d’Anne, une amie. Différente d’Elsa et Cécile, Anne est une femme stricte et moralisatrice, qui apprécie la culture, les bonnes manières et l’intelligence. Dès son arrivée, un combat subtil commence entre les trois femmes. Elsa tente de maintenir la relation avec Raymond, qui est aussi attiré par Anne. Quant à Cécile, elle craint de perdre la complicité qui la lie à son père, ainsi que leurs libertés. Comment écarter la menace ? Dans la pinède embrasée, un jeu cruel se prépare…

Denis Westhoff a été mannequin, patineur sur glace et sculpteur. il a créé en 2010 le prix Françoise Sagan, qui récompensa cette année un livre que j'ai beaucoup apprécié, Fugitive parce que reine. Il a bien entendu été conseiller artistique sur le biopic Sagan, et est aussi écrivain. C'est à la fois surprenant et familier de le voir s'exprimer en raison de sa manière de poser ses doigts tendus sur la tempe comme on se souvient avoir vu sa mère faire le même geste.

Frédéric Rébana est bédéiste depuis 2009. Sa première publication Rue de Sèvres a été Mitterrand un jeune homme de droite, scénario de Philippe Richelle, en 2015.

L'édition originale de Bonjour Tristesse remonte à 1954. Cet immense succès repose un peu sur un échec scolaire. Françoise Sagan, qui a le Bac à 16 ans est déroutée par sa première année universitaire à la Sorbonne au milieu d'élèves agités, dans des salles pleines, où les profs sont toujours en retard. Elle décroche très vite et passe son temps avec des amis. Et comme elle dit à tout le monde qu'elle écrit elle finit par être acculée à le faire.

Elle échoue naturellement à ses examens et part malgré tout en vacances à Hossegor avec ses parents. Elle entre en août avec son père, reprend le manuscrit abandonné qu’elle termine à la fin de l’hiver 1953. Son amie Florence Malraux le trouve formidable. Françoise en envoie un exemplaire chez Plon, l’autre chez Juillard.

Eric raconte que René Juillard l'aurait lu le soir même, après être rentré d’un dîner et qu'il aurait  envoyé dès le lendemain matin un télégramme à sa mère pour la voir d'urgence. Il voulait d’abord s’assurer qu’elle en était bien l'auteure.

Le Prix des critiques déclenche le succès de ce qu’elle appellera une "boule multicolore", en référence au jeu de ce nom, qui tient à la fois du casino, de la roulette et du billard. Il faut rappeler que Sagan était une grande joueuse.

Frédéric se souvenait de la lecture qu'il avait faite au cours de son adolescence. Il accepta l'invitation de l'éditeur avec plaisir tout en éprouvant une forme de crainte face à l’ampleur de l’enjeu, et en se souvenant de l'adaptation cinématographique faite par Otto Preminger en 1958. Il a voulu renforcer l'univers carcéral que représente la villa en choisissant la ligne d’horizon pour seule ouverture vers l’extérieur. Denis a trouvé cette vision du livre plus claire, plus douce.
La couverture rend visible un effet de miroitement alors que le regard de la jeune fille est perdu dans ses réflexions. Le corps est vertical, au premier plan d'une mer horizontale. Le visage est affranchie de la frimousse de Jean Seberg et porte une coupe à la garçonne, improbable mais qui correspond au casting, dira Frédéric.

Il a travaillé au crayon gras noir, le plus simplement possible sur du papier machine avec jusqu’à dix originaux. Il a eu recours à un coloriste qui est parti d’une gamme de couleurs de catalogue de papiers peints de l’époque. Ensemble ils ont choisi de privilégier des couleurs désaturées par moment pour créer une dynamique dans l’image en contrecarrant l’indolence affichée.

La BD ouvre sur la dernière scène du roman pour conférer un éclairage dramatique. Denis précise que c’est ce que fait Camus dans L’étranger. Le lecteur est tout de suite pris. La chute n’est plus obsédante. on sait que l'accident aura lieu et on peut apprécier l'intrigue. La nonchalance est possible parce que le dénouement a été donné. 
On relèvera une citation du film la Piscine dans les dialogues  : Tu as toute la vie pour dormir, assortie d'une séquence clin d’œil au début.
Frédéric a compulsé des livres d’architecture et de botanique (avant de dessiner le motif cactus, presque une silhouette, qui symbolise la relation entre les personnages). Cette image installe le récit dans une position d’indolence, de fausse quiétude dont on ignore si la jeune fille est consciente. On la voit seule parce que la solitude est le motif central du livre.

C'est une histoire de manipulation dans la chaleur torride du Sud. L'ouverture sur la mer était nécessaire, tout autant qu'un motif par rapport à l’alcool, le tout dans un récurrent clin d’œil à Fernand Leger. 
Maya Michalon a habilement interrogé ses invités, permettant de révéler des détails sur la construction des personnages. Anne est la maîtresse. On voit sur la planche de gauche que sa coiffure n'est pas encore déterminée et fait trop référence à Grâce Kelly.  Ce personnage entre deux âges était le plus difficile à trouver. Dans la mesure où aujourd’hui 40 ans correspond encore la "prime jeunesse" le dessinateur a choisi de lui  donner dix ans de plus, tout comme au père.
Cyril apparait (p. 16) avec un visage de latin très brun. On est loin du beau gosse suédois.
Anne n’arrive pas dix jours plus tard mais deux car elle écrit : on n’a pas de temps à perdre, la vie ça trop vite. Cécile porte ici une robe noire, sans aucun exotisme.
Les voitures, c’était une grande passion que Sagan a pu assouvir. La verte, une Jaguar, est la première qu’elle s’est achetée, quand elle l'a vue rue Jouffroy, près de chez elle, dans les années 50. Ce sera une Alfa dix ans plus tard.
Le père entretient un rapport de prédation avec les femmes, y compris avec sa fille, qui est manipulatrice comme peut l'être une adolescente sans conscience de ce que cela pourrait entrainer, peut-être parce que l'amour n'est qu'une alternative à la solitude, donc indépendamment des sentiments.

A l'époque le scandale était double, d'une part qu'une jeune fille puisse coucher avec un garçon sans en subir la moindre conséquence. Une jeune fille ne pouvait alors pas "consommer" un garçon. Le second avec la manipulation qui conduit Anne, la seule qui éprouve de vrais sentiments amoureux, à un accident (ou un suicide). Personne n'aura jamais fait de lien entre cet épisode et le terrible accident de Françoise un peu plus tard pas plus qu'entre le métier d'Anne (styliste) et celui de son grand amour Peggy Roche.
La phrase que l'on peut lire dans le premier cartouche de la page 29 renvoie directement au roman (p. 17) : Après dîner je regardais le ciel éclaboussé d'étoiles espérant leur chute.
Frédéric a respecté les mots de Sagan mais il a contracté les phrases, comment faire autrement d'ailleurs. Eric avait tout de suite trouvé l’idée de l'adaptation en BD assez charmante. Il pense que sa mère aurait été très curieuse de découvrir ce travail, sans doute heureuse, voire même flattée. En tout cas elle aimait l'univers de la bande dessinée.

Cette version de Bonjour Tristesse constitue une bonne entrée en matière pour les jeunes sur l'oeuvre de Sagan. A lire donc ... et avant ou après le roman bien sûr.

Bonjour tristesse de Frédéric Rébéna, éditions Rue de Sèvres, depuis le 25 avril 2018

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