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La publication des articles est conçue selon une alternance entre le culinaire et la culture où prennent place des critiques de spectacles, de films, de concerts, de livres et d’expositions … pour y défendre les valeurs liées au patrimoine et la création, sous toutes ses formes.

samedi 8 avril 2017

Détour d'Adrien Cachot

(dernière info du 17 juin 2020 :
Adrien Cachot a vendu son restaurant car, en raison de son succès -si mérité- il devenait trop petit.
Mais lisez malgré tout ce que j'en disais,
et salivez dans la perspective d'une ouverture ailleurs).

On vous dira que la salle vaut le détour et on aura bien raison. Il suffit de s'écarter de quelques mètres de la rue Blanche à hauteur de l'église de la Trinité pour la découvrir.

Adrien Cachot vient de s'y installer avec sa compagne Emie. Sans grands moyens mais avec un puissant parrainage puisque les chefs avec qui il a travaillé il y a quelques années l'ont plus qu'encouragé, en particulier Christian Etchebest dont on connait l'exigence.

Retenez son nom. Vous allez entendre parler de lui. Forcément. Parce que derrière sa douceur et la timidité qui lui sert d'armure, il affute de terribles accords. Sans blabla, ni chichis, mais avec un dressage audacieux comme vous le constaterez sur les photos.

Les intitulés de la carte ne perdent pas le client dans des formules alambiquées. Ses carottes sont annoncées Carottes râpées, tout simplement. Il ne veut pas en dire plus. A vous d'analyser si la fourchette vous chante. Le puriste fera son rapport : purée de carottes, mimolette râpée, huile d’olive à l’orange. Une seule couleur mais de multiples saveurs.
Le menu est resserré autour de deux entrées, deux plats et deux desserts. 22 € pour deux assiettes, 28 pour trois. On ne se prendra pas la tête pour choisir sur une carte longue comme un jour sans pain. A propos de pain celui qui est posé sur la table est bien choisi, en provenance de Thierry Breton.
Les légumes viennent de chez Annie Bertin, à Blot, les poissons de Tom Saveurs en Vendée, les viandes de Tristan Seguin.

La carte évolue régulièrement, de huitaine en huitaine, susceptible aussi de changer au jour le jour. Ce midi Adrien proposait une entrée BBB, bien belle et bonne. C'est moi qui le dis parce que le chef annonce juste Bulot/Betterave/Béarnaise qui arrivent dans une large assiette, ouverte comme une coquille, et qui est l'oeuvre d'une artiste installée dans le XX° arrondissement. Et la vaisselle est toujours choisie en fonction de la recette.
La seconde entrée possible était un Coeur de boeuf mariné, crème aigre, harissa et radis croquant :
C'est une explosion de parfums qui s'excitent mutuellement. Le condiment harissa réveille la viande adoucie par le bois de hêtre et la tranche de daïkon, un navet chinois blanc à l'allure d'une grosse carotte, est juteuse et croquante.

Adrien ne va pas chercher les inspirations dans son enfance. Avec 8 filles et 80 petits-enfants sa grand-mère n'a jamais eu le temps de l'initier à une cuisine traditionnelle. Par contre il a beaucoup appris des voyages qu'il a entrepris à l'âge adulte, notamment au Japon, à Shanghai et en Italie. Il a une très bonne mémoire, à la fois visuelle et gustative, ce qui lui a permis d'engranger des centaines d'assiettes dont le souvenir l'inspire pour partie. Ajoutez son penchant pour les accords osés, son amour des produits frais et de saison, un dressage sans monotonie aucune, subtil et très original, et vous aurez ... un chef dans la lignée des jeunes gens qu'on se presse à découvrir.
Adrien est au piano. Il n'a pas besoin de valider les assiettes avant leur départ pour la salle : c'est lui qui les compose, une par une, à l'instant. Le voici montant le Filet de Julienne/Asperges blanches/Emulsion coquillages qui est un des plats du jour.
L'émulsion sera versée devant chaque convive.
Le choix était possible avec la Poitrine de porc confite, choux-fleurs et jus corsé, lequel est lui aussi versé en salle. Ce que l'intitulé ne décrit pas, c'est la nature de la feuille d'ail des ours, frite, posée en équilibre sur le radis. Craquante et de saveur plus fine, plus florale et moins piquante que l'ail en gousse.
 
La sophistication des desserts contraste tout autant avec la sobriété du cadre. Adrien ose sans limites, c'est sans doute sa façon d'entretenir son naturel rebelle. Ses assiettes surprennent et sont ludiques. Nous pouvions hésiter entre une Polenta crémeuse à la vanille, fruits secs, caramel (ci-dessus) ou un Avocat, coriandre, cacao (ci-dessous). Le chef hésitera, de son coté entre les assiettes, si bien qu'en salle on notera que rien n'est formaté.
Adrien peut bien se défendre de servir des "desserts de cuisinier", la surprise est autant visuelle que gustative. Il a beau dire que son objectif est juste que ce soit bon, bon, bon ... on revient bien aux 3 B du début.

C'est qu'il fut à "bonne école", en commençant à 14 ans par un stage qui ne devait durer que quelques semaines et qui l'a mené pour le meilleur sur le chemin des cuisines. Il est entré plus tard dans la brigade du Troquet avant de poursuivre à la Cantine du Troquet, à Dupleix, toujours avec Christian Etchebest, qui fut son premier mentor, Nicolas Magie étant le second. Travailler au Saint-James à Bouliac, aux cotés d'un chef doublement étoilé, puis au Ze Rock, qui est l'établissement d'Emilien, le frère de Nicolas, ont été des expériences complémentaires qui l'ont ramené à Paris, au Petit Pan, avant qu'il ouvre son propre restaurant.

Le nom qu'il lui a donné, Détour (sans article) est autant emblématique de son parcours que de son audace gastronomique.
La salle est petite mais les tables de bistrot sont espacées pour assurer le confort des convives. Quelques touches de rouge dynamisent des murs d'une sobriété qui résulte pour partie du budget dérisoire qu'Adrien a pu consacrer aux travaux. C'est lui qui a retapissé les chaises avec des tissus trouvés au Marché Saint-Pierre et son beau-père, artiste, a manié d'autres pinceaux que ceux qu'il emploie d'habitude pour aider le jeune couple à rénover les lieux.

Il a choisi le bleu nuit pour les tenues du personnel, en réponse peut-être à la couleur azur de la banquette de velours.
Dehors, un banc permettra d'attendre dans le calme de cette rue désertée des voitures.
Mon dernier conseil est d'arriver par la ligne 13, et d'émerger à la station Liège (qui s'appelait Berlin jusqu'à la Première Guerre mondiale, dont le nom fut changé, on comprend aisément pourquoi) parce que c'est une des plus jolies de tout le réseau métropolitain, avec une décoration de fresques en céramique uniques en leur genre.

Le restaurant a ouvert il y a trois semaines. Courez-y vite. Les 18 places seront vite prises d'assaut quand l'adresse aura circulé sur les réseaux sociaux. Le premier menu du soir est un peu plus cher mais, à 32€ il reste très abordable, surtout comparativement aux autres établissements, certes, quelques mètres plus proches des nombreuses salles de spectacle du quartier.

Détour
15 rue de la Tour des Dames
75009 Paris
01 45 26 21 48
Ouvert du mardi au samedi
De 12 à 14h et de 19 à 23 h pour la dernière commande

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