Iphigénie commença aujourd'hui en retard au Grand Opéra pour cause d’arrivée qui se voulait discrète mais qui tout de même se remarqua d’Elisabeth Borne, Première ministre, Rima Abdul Malak, ministre de la culture, Bertrand Gaume en grand uniforme, préfet du Vaucluse que j’avais rencontré en tenue décontractée à l’inauguration des expositions de la Maison Jean Vilar, Olivier Py, directeur du festival … qui se sont installés un peu nerveusement juste derrière moi (un hasard bien sûr) sous l'œil alerte d'un énorme service de sécurité.
Il y a de quoi frémir pendant les premières minutes qui évoquent une attaque terroriste par une myriade d’hélicoptères dans un vacarme étourdissant alors que les personnages se positionnent sur la scène que je vois comme le plateau d’un jeu d’échecs.
Je lançais régulièrement de furtifs coups d'oeil en direction des gardes du corps qui, impassibles, ne semblaient pas inquiets. Pour qui se souvenait de novembre 2015 c'était rassurant.
Cela ne m’empêcha pas de penser à la mémoire de Jean-Pierre Vincent (dont le nom est indissociable pour moi et du TNS et d'Avignon) qui nous manque tant, même si la relève est bien là comme le démontrera bientôt Anne Théron avec une mise en scène aussi spectaculaire que magistrale.
Agamemnon, Ménélas, le Vieillard, Ulysse, Achille, Clytemnestre, Iphigénie, le Chœur: les personnages de la tragédie sont tous là. Comme chez Euripide ou Racine, Agamemnon, le père d’Iphigénie, est traversé par les mêmes doutes : et s’il refusait le sacrifice de sa fille pour gagner la guerre de Troie ? S’il renonçait à cette guerre ? Peut-il changer le cours de l’histoire, échapper à son passé, ainsi qu’à sa répétition ?
Quelle émotion d'entendre la parole d’Agamemnon : que fait un roi face à l’inévitable ? Il endure et il paie le prix, se sacrifie si nécessaire.
Anne Théron a été séduite par la langue de Tiago Rodrigues (que l'on entend traduite par Thomas Resendes) dont elle soulignait en interview "une prosodie exceptionnelle qui fait entendre la chair des mots".
Ainsi Clytemnestre (Scène VI) : Je me souviens de cet endroit. Je me souviens de cet instant. Être ici. J’ai l’impression que cela fait des années. (...) Je m’en souviens comme si je l’avais vécu. Comme si quelqu’un m’avait raconté une histoire où tout cela était arrivé. Mais je ne me souviens pas de ce qui arrive ensuite.
Ce thème de l'amnésie rétrograde passionne tous les auteurs. Parce que les défaillances de la mémoire permettent d'interroger le passé. C'est ce que traite, dans un autre registre, Murielle Magellan dans son premier film La page blanche (qui sortira sur les écrans le 31 Août).
Iphigénie et sa mère, Clytemnestre refusent de suivre le chemin tracé pour elles par les hommes qui décident de leur sort. Mais, bien entendu Tiago Rodrigues ne modifie pas la fin, qui demeure tragique et inéluctable. Mais nouvelle en ce sens qu'elle est cette fois déterminée par la seule volonté des personnages, à l'issue d'un questionnement intérieur.
Le plateau est comme une plage immense où chacun attend que le vent se lève. Les images filmées se déroulent dans une temporalité qui semble l'exact reflet d'une réalité plausible. C'est envoutant.
Le chœur des femmes exprime sa colère et c’est là que le texte de Tiago Rodrigues est d’une force insensée, d’un féminisme absolu. Iphigénie mourra donc, puisque si on peut changer l’eau des fleurs on n'a pas prise sur le cours de l’histoire. Par contre, c’est en femme libre qu’elle décidera de son destin, juste avant que ne revienne le vent sur la plage.
Les images sont somptueuses de réalisme et d’inspiration onirique. J’espère que chacun, y compris ceux qui ont une fonction politique, sera poursuivi longtemps par ces paroles. A voir ici, au Théâtre national de Strasbourg, ou en tournée.
Iphigénie de Tiago Rodrigues, (Traduction Thomas Resendes)
Mise en scène Anne Théron
Avec Carolina Amaral, Fanny Avram, João Cravo Cardoso, Alex Descas, Vincent Dissez, Mireille Herbstmeyer, Julie Moreau, Philippe Morier-Genoud, Richard Sammut
Collaborateur aux mouvements Thierry Thieû Niang
Les photos qui ne sont pas logotypées A bride abattue sont de Christophe Raynaud de Lage
Spectacle vu le Samedi 9 juillet 2022 au Grand Opéra. Article rédigé après mon retour, à partir de mes notes et des publications faites chaque jour sur la page Facebook À bride abattue, rendant compte des spectacles vus la veille, aussi bien dans le In, que le Off ou le If. Les meilleures photos de la journée étaient publiées sur mon compte Facebook Marie-Claire Poirier peu après dans la matinée.
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