Ce vendredi 8 juillet aura sans doute été ma plus longue journée. Commencée à 10 heures à La Chapelle des Antonins, nouvelle salle de la Factory, au 5 rue Figuière, terminée à 1 heure du matin dans la Cour d’honneur du Palais des Papes après un huitième spectacle.
Cela peut sembler lourd et pourtant non. Parce que lorsqu’on sort d’un très bon spectacle c’est avec l’esprit disponible qu’on peut rentrer de nouveau dans une salle.
Aujourd’hui ce ne fut que de l’excellence et je les recommande TOUS, mais reprenons dans l’ordre chronologique :
Frère(s) à 10 heures, à La Chapelle des Antonins, est dans mon jargon une ultra-pépite. Qui rejoint la dizaine de spectacles dont je me souviendrai toute ma vie.
Frère(s) est sa première création mais Clément Marchand (à droite) étant scénariste dans le cinéma, il a naturellement le sens de ce qu’est une séquence. Les acteurs sont en mode machine de guerre, avec une sensibilité hors du commun. Ils sont admirablement dirigés et leurs visages traduisent une palette d'émotions aussi rapidement qu'un ciel sur lequel défileraient toutes les météos imaginables.
Le décor, imaginé par Roman Carrère, est très simple mais efficace et permettra de jouer sur tous les plateaux, grands ou restreints. Sans oublier Juliette de Romémont qui a choisi des costumes adéquats.
Le moindre de leur geste a été chorégraphié par Delphine Jungman sans que jamais on ne sente qu'ils en font trop. Leurs corps sont en mouvement autant que nécessaire, avec de brefs instants de répit, comme le feraient des joueurs de foot lorsqu'ils sont autorisés à souffler sur le banc de touche.
Très souvent, et cela m'a davantage frappé lorsque j'ai visionné la centaine de photos que j'ai prises du spectacle (que j'ai revu une seconde fois dix jours plus tard), ils sont en opposition l'un par rapport à l'autre, se tournant le dos ou exprimant un registre différent. La mise en lumière de Julien Barrillet souligne fort à propos qu'être frères ne signifie pas du tout qu'on soit constamment sur la même longueur d'onde. Mais parfois ils sont en phase et l'énergie est alors décuplé.
Patrick Biyik (à gauche) a créé une bande musicale subtile, laissant la place au silence lorsque celui-ci était porteur de sens. Et l'usage d'un micro sur pied permet d'instaurer la distance nécessaire quand le personnage s'exprime à une autre époque.
Être si jeunes dans le métier et faire déjà preuve d’autant de maturité ne peut qu’augurer un grand avenir, pour peu que le travail soit poursuivi au même niveau.
Émile (Jean-Baptiste Guinchard) est né avec une spatule dans la bouche mais son père, chef étoilé, l’envoie direct en CAP, histoire qu’il ne pense pas que tout lui arrivera sans effort. Maxime (Guillaume Tagnati) a opté pour cuisine plutôt que fonderie puisque la filière générale ne veut plus de lui. Tout oppose ces deux gamins, mais une chose les rattache : le rejet. Ils vont devenir amis, s’entraider, se fâcher, se retrouver peut-être pour réaliser des rêves inaccessibles, à moins que …
Ils n’ont pas l’âge du rôle au début de la pièce et pourtant on y croit d’emblée. Parce qu’ils ont l’art du théâtre. Les dialogues sont totalement dans l’air du temps, assaisonnés de yuzu, cet agrume fétiche des Top chefs. Vous saurez, en sortant, la différence entre la découpe en mirepoix et la brunoise. Vous apprendrez que jusqu’en 1980 le CAP cuisine était interdit aux femmes. Pas étonnant que la cuisine soit un univers où la domination masculine est encore portée à l’ébullition et où le bizutage au poulet grillé reste une souffrance obligée. Vous ressentirez toutes les émotions de ce duo qui découvrira l’extase dans une trattoria napolitaine avant que le football ne s’accorde avec la passion culinaire.
Après l'apprentissage ils se lanceront dans la vie professionnelle et grimperont ensemble les échelons en passant par le routier, un bistrot fooding, une trattoria minable, un restaurant étoilé. En s'arrêtant aussi sur les gradins d'un stade de foot et dans une cellule de prison. Ils deviendront des hommes, resteront amis. Jusqu'à ce que le lien se détériore, dans le monde des restaurants gastronomiques où pour survivre il faut devenir une machine. Leur complicité se déroulera en dents de scie sur une vingtaine d'années. Si l'amitié est fragile la fraternité résistera peut-être aux épreuves … à moins de n'être qu'un souvenir.
C’est encore une découverte que je dois à Laurent Rochut. Je ne savais pas ce spectacle était lauréat 2022 du Festival Découverte de la création théâtrale mais ça ne m’a pas surprise de l’apprendre. La Factory mérite amplement sa base-line de Fabrique permanente d’art vivant.
La Compagnie s’appelle Le chemin ordinaire. Je suis certaine que leur route sera belle et longue. Elle sera stoppée net à Avignon puisque la pièce n'aura été jouée que sur un demi-festival, jusqu’au 17 juillet, mais à guichet complet et avec standing ovation tous les jours dès la seconde semaine. Il aura été mon plus immense coup de coeur du/des festivals. Et je parie sur une reprise prochaine dans un lieu pouvant accueillir davantage de spectateurs.
Contrairement à mon habitude j'ai préféré placer les photos que j'ai sélectionnées sans ajouter de commentaires et l'une sous l'autre à la manière d'une bande-dessinée. Il me semble qu'ainsi elles rendent mieux compte de ce que l'on peut ressentir en assistant au spectacle.
Frère(s) de et mis en scène par Clément Marchand
Avec Jean Baptiste Guinchard et Guillaume Tagnati
Chorégraphie : Delphine Jungman
Création Bande Son : Patrick Biyik
Créateur Lumières : Julien Barrillet
Scénographe: Roman Carrère
Création costumes : Juliette de Romémont
Spectacle vu le Vendredi 8 juillet 2022 à La Chapelle des Antonins. Article rédigé après mon retour, à partir de mes notes et des publications faites chaque jour sur la page Facebook À bride abattue, rendant compte des spectacles vus la veille, aussi bien dans le In, que le Off ou le If. Les meilleures photos de la journée étaient publiées sur mon compte Facebook Marie-Claire Poirier peu après dans la matinée.
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