J’avais adoré la mise en scène de Roland Auzet avec Anne Alvaro et Audrey Bonnet en août 2020, programmée par Mathieu Touzé pour le Théâtre 14, la nuit, sur un terrain de football. J’y avais fait l’expérience de la cécité.
Ce soir j’en ai faite une autre avec une chorégraphie qui relève somptueusement de la magie.
On dit du texte qu'il est "une bagarre verbale que l’on pourrait comparer à une bagarre de rue". Il fait se confronter un dealer et un client : deux oiseaux de nuit, deux solitudes, deux mondes que tout oppose dans un lieu isolé.
Sur un terrain neutre et désert, que seuls des faisceaux laser viennent balayer comme une main tendue, les personnages sont amenés à se révéler et à se mettre à nu. L’offre et la demande, le marchand et le chaland, la lumière et l’obscurité…La danse exprime ici l’inconscient poétique des deux personnages ; une parade où chacun se frôle, se provoque et se désire. Les mots de l’auteur comme la danse cherchent à impressionner, à tester l’adversaire, mais ils sont surtout une ritualisation de la rencontre avec la mort.
Marie-Claude Pietragalla signe une création époustouflante dansée par Julien Derouault et Pierre Dexter Belleka. Quand je dis "dansée" je fais un raccourci parce que le corps des artistes sculpte les ombres et la lumière. Il faut le voir pour me croire. Ce travail est très élaboré, surprenant, inoubliable de précision.
Le texte est dit en voix off, tel un surtitrage auditif, qui nous permet de comprendre le langage des corps si nous n’avons pas l’habitude de le déchiffrer. Et puis à un moment particulier, lorsque (je crois) les personnages sont placés à égalité d’orgueil ils prennent la parole et nous offrent la suite en théâtre dansé. Quel cadeau !
Cette mise en théâtre, en danse, en musique et en lumière de ce chef d’œuvre du théâtre contemporain est un face-à-face exceptionnel. Un vrai combat. Entre deux acteurs-danseurs qui s’affrontent dans une chorégraphie où krump et danse contemporaine se mélangent et se percutent. C'est une idée particulièrement juste que d'utiliser le lexique corporel du krump puisque c'est une danse née au cœur des quartiers pauvres de Los Angeles (dans les années 2000), marqués par les guerres de gangs, le trafic de drogue, les interpellations musclées de la police et les émeutes raciales de 1992.
Initialement le krump a été conçu pour permettre aux jeunes de canaliser leur colère, leur agressivité, leur haine, leur rage, leurs revendications et de les ressortir sous une forme plus positive. Il est de plus en plus présent au théâtre et au cinéma.
Je ne crois pas qu'il faille être spécialiste pour apprécier ce spectacle chorégraphique et théâtral inédit. mais il est probable que le film de Philippe Béziat sur Les Indes galantes (2021) m'a aidée à intégrer quelques clés de lecture.
Je vous souhaite de parvenir à avoir une place car ce soir, il n’en restait pas. Bernard-Marie Koltès aurait été surpris et heureux d’être là.
Poésie, théâtre, danse, utopies humanistes, … tous les spectacles de cette journée sont liés entre eux.
Dans la solitude des champs de coton de Bernard-Marie Koltès
Chorégraphie et mise en scène : Marie-Claude Pietragalla et Julien Derouault
Avec Julien Derouault, Pierre-Claver Belleka dit Dexter
Lumières : Alexis David
Sélection officielle “World Duo Performing Arts Festival”, Séoul 2020
Spectacle vu le Samedi 16 juillet 2022 au Théâtre du Balcon. Article rédigé après mon retour, à partir de mes notes et des publications faites chaque jour sur la page Facebook À bride abattue, rendant compte des spectacles vus la veille, aussi bien dans le In, que le Off ou le If. Les meilleures photos de la journée étaient publiées sur mon compte Facebook Marie-Claire Poirier peu après dans la matinée.
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