Je suis venue voir Carole Bouquet et j’ai vu Carole Bouquet. En fait, pour être tout à fait honnête, c’était En attendant Godot que j’avais programmé pour la soirée et Bérénice jouant à 19 heures je m’étais décidée in extremis à faire d’une pierre deux coups.
Craignant d’être déçue par la mise en scène moderne de la pièce de Racine, j’avais préféré m’abstenir à sa création. Nous avons, ce soir, attendu Godot en vain, suite à des problèmes techniques bien fâcheux pour ce théâtre qui entreprend tant pour le théâtre.
Mais j’ai vu Carole Bouquet. Ça pourrait être le titre d’un spectacle. On peut rêver que quelqu’un s’attelle à l’écriture d’un texte sur ce thème, en comparant peut-être les trois versions dans lesquelles elle a interprété ce rôle si lourd.
Je m’égare ? Pas vraiment …
Je n’avais lu aucune critique, ne voulant pas être influencée. Mais je m’attendais à une soirée d’exception puisque c’est la seconde mise en scène de Muriel Mayette-Holtz, dont on sait qu’elle est une grande spécialiste de Racine. A tel point qu’elle s’est autorisée à faire de grandes coupes dans le texte pour n’en garder que l’essentiel à ses yeux (et pourquoi pas d’ailleurs).
Carole Bouquet n’avait pas encore joué sous la direction de Muriel qui en 2011, lorsqu’elle était administrateur de la Comédie Française, avait confié le rôle à Martine Chevallier. Mais cette grande artiste connait bien Bérénice puisqu’elle reprend le rôle-titre pour la troisième fois, après l’avoir fait sous la direction de Lambert Wilson aux Bouffes du Nord en 2008 et Jean-Daniel Verhaeghe dans un téléfilm avec Gérard Depardieu diffusé en 2000.
Il était légitime que je m’apprête à avoir le souffle coupé. Peut-être en fait craignais-je d’être déçue et avais-je eu raison de ne pas me précipiter au théâtre.
Comme j’aimerais faire des compliments. A propos d’un décor minimaliste de chambre d’hôtel inspiré par Hopper. A propos d’une mise en scène dépouillée réduite à quelques indications de mises à genoux ou d’appui sur les murs. A propos d’une direction d’acteurs concentrée sur les trois personnages principaux, réduisant les rôles de Phenice et de Paulin à des silhouettes (le troisième confident, celui d’Antiochus ayant carrément été supprimé) À propos des éclairages qui projettent des ombres démesurées en laissant dans l’ombre reine, roi et amant. A propos d’une bande musicale qui ne s’entend qu’entre les scènes à moins de tendre l’oreille. A propos d’une diction qui bute (trop) souvent sur les mots et qui accentue les syllabes des alexandrins comme pour nous rappeler que, malgré la contemporanéité des décors et des costumes, nous sommes revenus au XVII° siècle. A propos de costumes dont personne ne voudrait se vêtir, hormis le si joli déshabillé de soie noire qui va à ravir à Carole.
Justement, heureusement, il y a Carole. Elle porte la pièce sur de fortes épaules qu’elle accepte de laisser fléchir tant les contraintes de son rang sont un handicap pour gagner le droit de vivre tout l’amour qu’elle mérite. Titus prétend l’aimer, mais il la sacrifiera à l’autel du pouvoir après avoir malgré tout « profité » d’elle une dernière nuit. Antiochus prétend l’aimer, mais il la sacrifiera à celui de la loyauté.
Combien faut-il de dignité pour décider de son destin en femme libre, sans se laisser dicter une conduite ? Il m’échappe qu’on puisse encore aujourd’hui monter de tels textes sans provoquer de révoltes féministes (je comprends encore moins que Madame Butterfly soit toujours au répertoire).
Je n’ai pas vu la version de 2011. Je crois qu’alors le texte était exhaustif. Être désormais directrice du Théâtre national de Nice autorise sans doute à davantage de liberté. Mais s’il est vrai que Muriel Mayette-Holtz a voulu témoigner de la violence de la domination masculine (ce qui n’est pas une révélation originale) et renverser les codes, pourquoi n’est-elle pas allée jusqu’au bout ? Pourquoi ne pas avoir inversé les rôles ? Faire jouer Titus par une femme et Bérénice par un homme ?
L’histoire en tout cas vengea la reine. A peine Titus fut-il revenu à Rome qu'une mouche lui entra dans le nez, gagna le cerveau et s’en régala. Le triomphe de l’empereur fut de courte durée. C’est du moins cette morale que le Talmud raconte et c’est une petite consolation.
Bérénice de Jean Racine
Mise en scène : Muriel Mayette-Holtz
Avec Carole Bouquet, Frédéric de Goldfiem, Jacky Ido, Augustin Bouchacourt et Ève Pereur
Décor et costumes : Rudy Sabounghi
Musique originale : Cyril Giroux
Lumière : François Thouret
A la Scala 13 boulevard de Strasbourg 75010 Paris 01 40 03 44 30
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