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vendredi 3 février 2023

Lady Chevy de John Woods

Dès les premières pages de Lady Chevy les images du film Erin Brockovich (2001) me sont revenues. Celles de Dark waters également. Je me doutais que le drame était sous-jacent.

L’écriture de John Woods est puissante, avec des mots qui sautent au visage du lecteur qui malgré la noirceur de certains passages ne lâchera pas l'histoire. On suit les scènes comme si on était devant le grand écran.

Le livre est difficile à caractériser, tenant du thriller, du roman noir et du témoignage social. Il met en scène une Amérique marquée par la violence. Elle se constate dans les relations familiales, dans les écoles, dans les interactions sociales. Elle infuse partout, du fait de la reconversion d'anciens combattants en Irak ou Afghanistan devenus agents de sécurité ou policiers, se croyant investis de l'autorisation de faire justice eux-mêmes.

La population est un curieux brassage de hippies vegan anti-déforestation et de fermiers racistes pro-armes (p. 35). Ajoutez à cela la pauvreté et l'appât du gain en cédant l'exploitation de son terrain à l'industrie du gaz de schiste entrainant des conséquences écologiques gravissimes et vous avez un cadre prêt à exploser d'un instant à l'autre.

J'ignorais, mais je suis prête à croire l'auteur (qui lui-même est originaire de la petite ville de Barnesville où il situe l'action) que les sites de fracturation hydrauliques et les mines à ciel ouvert semblent avoir détruit l'Ohio (p. 49).

L'aventure nous est racontée sous deux points de vue, celui de H, un officier psychopathe dont l'auteur décrit les pensées, et celui d'Amy, une jeune adulte qui pourrait légitimement chanter  J'suis dans un état proche de l'Ohio / J'ai le moral à zérocomme le faisait Isabelle Adjani sur des paroles de Serge Gainsbourg en 1983.

Elle est convaincue que la pollution de l'eau est responsable des malformations de son petit frère. Ses grands-parents sont morts dans l'incendie de leur maison. Son père ferme les yeux sur la nymphomanie de sa mère. Son oncle l'entraine à tirer. D'ailleurs qui n'a pas une arme dans la ville ? Le père de son amoureux secret Paul, est en train de mourir d'une maladie professionnelle contractée dans les mines. Elle est affublée d'un surnom très méchant, Lady Chevy, en raison de son surpoids et de la dimension de son postérieur qui évoque l'arrière d'une Chevrolet. On s'autorise à se moquer d'elle parce qu'elle est pauvre.

Elle assume autant que possible la situation en ayant un seul objectif, obtenir une bourse pour faire à l'université des études de vétérinaire. Mais elle a beau être surdouée elle n'est pas du tout certaine de parvenir à réaliser son rêve. Surtout si Paul l'entraine à commettre avec lui un acte d'écoterrorisme …

Le roman a été publié aux USA en 2020. L'action se situe à une période où Barack Obama était encore président. L'espoir d'une Amérique blanche triomphante a fait long feu. La haine interraciale est très vive. On plonge dans un monde sans pitié où tout est rapport de force … mais où les élèves vont au lycée en voiture.

Amy va commettre un acte terrible et elle fera pire pour tenter de sauver sa peau. Sa détermination semble sans limite mais parviendra-t-elle à tromper tous ceux qui voudraient la coincer ? Dans cette région il est des tombes que nul ne trouvera jamais (p. 45) mais cela ne veut peut-être pas dire qu'il n'y a pas une morale à faire respecter dans ce chaos.

En tout cas cette anti-héroïne attire notre sympathie, ce qui témoigne de la finesse de John Woods dans la construction de ce premier roman, révélant l'étoffe d'un auteur très prometteur.

Lady Chevy de John Woods, traduit (de l'américain) par Diniz Galhos, publié chez Pegasus Book en 2020 pour l’édition originale, et chez Albin Michel le 1er février 2022 pour l’édition française 
Sélectionné dans le cadre du Prix des Lecteurs d’Antony 2023

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