Celui-ci s’inscrit dans l’univers coloré qu’affectionne Macha Makeïeff dont on connait l’inclinaison pour les années 50-60 et c'est donc sans grande surprise qu'on remarque des objets typiques comme le téléphone de bakélite, le cendrier, le tourne-disques, le polaroid, un tapis Lurçat (signe de la richesse des propriétaires) ou un service à thé doré.
Ce parti-pris est loin d’être anecdotique car il met en garde le public en lui signifiant que ce type d’individu n’existe pas qu’au siècle où Molière l’écrivit. Elle semble nous prévenir qu’il convient de rester sur ses gardes.
Pourtant, en le situant dans ces années-là, elle n’en fait pas tout à fait un personnage contemporain même si les femmes y ont une posture qui s’inscrit dans le mouvement actuel de revendication (légitime) du consentement préalable et de la fronde contre toute tentative de harcèlement.
Les hommes jeunes ont toujours le club de golf à la main pour affirmer leur position et donner l’illusion d’entretenir une menace. Les femmes, elles, usent de paroles et d'astuces, comme la jeune Mariane qui a recours à la photographie pour dénoncer le prédateur ou l'expérimentée Elmire qui prend le séducteur à son propre piège.
Molière a toujours fait s’affronter le monde des bourgeois et celui des domestiques. Ici, la metteuse en scène braque le projecteur sur une autre opposition, celle du monde masculin composé de prédateurs ou de soumis, avec celui des femmes qui sont en fait les personnes fortes. De plus elle donne le beau rôle aux domestiques qui sont loin de subir les désirs de leurs maîtres et maîtresses. Un vrai vent de liberté souffle dans ce loft. Il entrera en turbulence avec l’orage que déclenchent Tartuffe et ses doubles.
Car, bien qu’elle ajoute le mot Théorème à "son" Tartuffe, parce que les deux mots commencent par la même initiale ou se situent à la même époque … la référence à Pasolini n’est pas évidente. Car si l’inconnu qui s’introduit dans la maison des bourgeois milanais séduit tout le monde, d’une part il a un air angélique, vêtu de blanc, et surtout il laisse tout le monde désemparé par son départ.
Dans la pièce que j’ai vue aux Bouffes du Nord Tartuffe a les traits d’un démon, habillé d'une sorte de soutane noire et on respire lorsqu’on sait qu’il est mis hors d’état de nuire une nouvelle fois.
Le noir et le blanc des rapaces (Tartuffe, ses trois acolytes et les corneilles empaillées) tranche avec les couleurs vives de l'insouciante famille bourgeoise qui se livre à toutes sortes de plaisirs derrière un voile, au grand dam de Mme Pernelle (Jeanne-Marie Lévy), dont la voix monte dans les aigus avec une hystérie réjouissante. Il faut dire qu'elle est une remarquable chanteuse lyrique.
D'autres comédiens tirent particulièrement leur épingle du jeu : Xavier Gallais (Tartuffe) évidemment, qui parvient à renouveler le personnage face à Orgon (remarquable Vincent Winterhalter le soir de ma venue) et à la finaude Elmire (Hélène Bressiant) et Irina Solano (Dorine) une fois qu'on a compris qu'elle avait pris du galon en étant devenue une amie de la famille, abandonnant à Flipote (Pascal Ternissien) toute la charge de la servitude.
Damis (Loïc Morbihan), Valère (Jean-Baptiste Le Vaillant) et Marianne (Nacima Bekhtaoui) assument leur rôle tandis que Cléante (Jin Xuan Mao) dénote du groupe par sa fantaisie et surtout par une diction qui est trop souvent incompréhensible.
Auteure, metteuse en scène, plasticienne, Macha Makeïeff dirige La Criée, Théâtre National de Marseille depuis dix ans. Elle a pour habitude de s'entourer de collaborateurs qui la suivent d'une création à une autre, ce qui assure une forte cohérence. Nièce, par alliance de son illustre oncle Jacques Tati, elle en assume l’héritage puisqu’elle est légataire de son oeuvre. On sentait la parenté ce soir dans cette version savoureuse d'un grand classique finalement toujours revisitable.
Tartuffe de Molière
Mise en scène, décor, costumes de Macha Makeïeff
Avec Xavier Gallais, Arthur Igual en alternance avec Vincent Winterhalter, Jeanne-Marie Lévy, Hélène Bressiant, Jin Xuan Mao, Loïc Mobihan, Nacima Bekhtaoui, Jean-Baptiste Le Vaillant, Irina Solano, Luis Fernando Pérez en alternance avec Rubén Yessayan, Pascal Ternisien et la voix de Pascal Rénéric
Lumières de Jean Bellorini
Son de Sébastien Trouvé
Musique de Luis Fernando Pérez
Danses de Guillaume Siard
Coiffures et maquillages de Cécile Kretschmar
Du 1er au 19 décembre au Théâtre des Bouffes du Nord
37 bis boulevard de la Chapelle - 75010 Paris
Puis en tournée
du 12 au 15 janvier au Théâtre national de Nice
du 22 au 26 février au Quai, CDN d’Angers
du 3 au 19 mars au TNP, Villeurbanne
du 24 au 26 mars au Théâtre Liberté, Liberté-Châteauvallon, Scène nationale de Toulon
du 30 mars au 8 avril au Théâtre National de Bretagne, Rennes
du 13 au 15 avril à la Scène nationale de Bayonne
les 20 et 21 avril à la MAC, Créteil
les 27 et 28 avril à MC Amiens
du 11 au 13 mai à la Comédie de Caen
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