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vendredi 27 mai 2022

Les fils du pêcheur de Grégory Nicolas

C’est par le Grand Prix des Lecteurs Pocket que j’ai découvert Les fils du pêcheur. Ce livre m’a énormément touchée parce qu’il respire l’authenticité. Je ne sais pas ce qu’il y a d’autobiographique dedans et là n’est pas la question mais l’écriture, au demeurant très masculine, de Grégory Nicolas, est d’une rare sensibilité.

Il y raconte l’histoire d’un enfant de pêcheur qui, le jour même où il apprend qu’il va devenir père d’une petite fille, reçoit un coup de téléphone qui va bouleverser sa vie : sa mère lui annonce que le bateau de son père vient de sombrer corps et biens. Il commence alors l’écriture du "roman d’Ar c’hwil", ce bateau qui a accompagné son père tout au long de sa vie de pêcheur.

Le lecteur découvrira au fur et à mesure que cette vie a été faite d’épreuves et de larmes, de joies et de rires. Nous revivrons avec émotion de grands moments historiques qui ont marqué la Bretagne (que l’auteur connait très bien puisqu’il y est né) comme le naufrage de l’Amoco Cadiz en 1978 ou la grande manifestation des pêcheurs à Rennes, avec l’incendie du Parlement de Bretagne en 1994. Il était utile de rappeler combien le monde de la pêche a été secoué dans les années 90, et ce n'est malheureusement pas fini. On se rend mieux compte du courage qu'il faut pour exercer ce métier que l'on présente trop souvent ailleurs comme une vocation.

A ces événements tragiques vécus par les personnages du roman s’ajoutent d’autres faits, plus généraux et dont on parle peu dans la littérature comme le remembrement des terres agricoles qui toucha toute la France dans les années 60 et qui, présenté comme un progrès nécessaire avec la promesse de revenus supplémentaires pour les paysans devenus soudain cultivateurs, les a surtout endettés et a contribué très largement à la catastrophe écologique qui est en train de s’accélérer (p. 29).

A travers cette fresque sociale, on revit une grande partie du XX° siècle, avec ce qu’il a apporté de rêves et de désillusions. C’est aussi une histoire humaine où les destins de plusieurs familles s’enchevêtrent, avec des secrets qui ne seront élucidés qu’à la toute fin, y compris la signification du nom donné au fameux coquillier blanc et bleu, l’Ar c’hwil, spécialisé dans la pêche à la Saint-Jacques, une pêche très contraignante régie par des règles que j’avais découvertes lors de ce reportage.

Ce livre m’a émue aussi pour le rappel d’autres petits souvenirs que nous avons en commun. Tout comme le héros de l’histoire, je suis toujours remuée d’entendre chanter la couleur du ciel le long du Corcovado bien que je n’ai jamais emprunté la Rua Madureira chantée par Nino Ferrer (et sublimement reprise par Pauline Croze) à laquelle il fait allusion p. 28. Et, plus prosaïquement, l'auteur m'a interpellée aussi par les multiples citations de noms de domaines et de vignerons, dont il aurait pu dresser la liste en fin d'ouvrage…

Le personnage du père, toujours soucieux, était du genre "ceinture et bretelles" (p. 61), une expression québécoise rarement employée chez nous mais que j’adore. Le narrateur va sans relâche chercher à comprendre l'origine de la mélancolie qu'il se souvient avoir vu passer parfois dans le regard de son père en cherchant à quel moment il aurait été vraiment heureux. Etait-il dépressif ? Cachait-il un secret ? 

Il n'aura de cesse de fouiller le mystère avec ses frères dont il dit que personne n'était dupe mais nous n'en parlions pas, ni entre nous, ni avec lui. Il voulait continuer de paraitre grand et fort devant ses fils (…) pour que l'on continue à le regarder d'en dessous (… et) que le monde nous apparaisse en contre-plongée (p. 85). A elle seule cette phrase éclaire le choix de la photo de la couverture.

Grégory Nicolas est né en Bretagne en 1984 mais il vit maintenant en Suisse. Après avoir travaillé en tant que caviste à Rennes et professeur des écoles à Paris, il se consacre désormais à l’écriture.  Il est notamment l’auteur de quatre romans publiés chez Rue des Promenades, dont Des histoires pour cent ans en 2018 (Pocket, 2020). Son avant-dernier roman, Équipiers, paru chez Hugo Sport, a reçu le prix Antoine-Blondin. Il est aussi auteur en littérature jeunesse et a plusieurs projets dans ce domaine.

Aucun doute que dans son dernier y a skiff’ pour rendre un lecteur heureux.

Les fils du pêcheur de Grégory Nicolas, éditions Les Escales, 2021
Edition Pocket en librairie depuis le 19 mai 2022

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