Taqawan est une oeuvre de fiction, mais qui s’appuie sur des faits historiques, les évènements du 11 juin 1981, quand la police a fait le siège le siège d'un territoire amérindien de la communauté mig’maq, et bien entendu aussi la conférence de presse que donna le Premier ministre du Québec, René Lévesque le 25 juin 1981.
300 policiers de la sûreté du Québec ont débarqué ce jour là sur la réserve de Restigouche pour s’emparer des filets des Indiens, entrainant des émeutes, une répression inhumaine et une crise politique de grande d’ampleur : le pouvoir veut en découdre. Ça s'appelle une démonstration de force (p. 28).
Eric Plamondon n'épargne pas la violence au lecteur. Elle surgit régulièrement dans le roman. Si cette violence se traduit en actes, elle a commencé par une expression (p. 36) : il faut se méfier des mots. Quel monde pour un peuple qu'on traite de sauvages durant quatre siècles ?
Le problème des Amérindiens (écrit-il p. 53) du Québec c'est qu'ils ont jamais eu de chevaux. Des Indiens sans chevaux, c'est un peu comme des pirates sans bateau ou des cow-boys sans chapeaux, ça fait moins sérieux, moins glamour.
L'auteur remontera le cours d'événements antérieurs quand cela sera nécessaire, et cherchera à restaurer la spécificité de cette communauté mig’maq que le gouvernement voulait faire disparaitre comme auparavant on l’avait fait au milieu du XIX° siècle dans l’Ouest américain en exterminant les bisons, afin de causer l'extinction des Indiens puisqu'ils vivaient en symbiose avec cet animal.
Ici c’est le saumon qui constitue le gagne-pain des Amérindiens, et qu’ils pêchent au moment où il remonte le cours des rivières pour se reproduire. En langue mig’maq (p. 74) on nomme taqawan un saumon qui revient dans sa rivière natale pour la première fois, après avoir passé de une à trois années en mer. En anglais on parle d'un grill, en français un madeleineau ... s'il a réussi à échapper à tous les prédateurs sans compter les pêcheurs.
C'est peu dire que j'ai dévoré le roman, qui raconte aussi l’historie d’un quatuor : Océane, une adolescente en révolte qui disparaît pour des raisons qui seront révélées ultérieurement, Yves Leclerc, un garde-chasse, qui démissionne de son "job tranquille" quand on lui demande de faire quelque chose de "pas beau" et qui est en contante recherche du "droit fil" (p. 136), William le vieil Indien qui aura révélation de son nom dans les bois, après une hallucination (p. 151, faisant penser au Mot d'Abel), et Caroline une jeune enseignante française sur le point de rentrer au pays. Chacun compose comme il peut avec les contradictions auxquelles il est confronté.
Histoire de luttes et de pêche, d’amour tout autant que de meurtres et de rêves brisés, roman noir, récit historique, livre de contes, recueil de coutumes, pamphlet politique, et même recette de cuisine ..., Taqawan est tout cela. Il se nourrit de dictons et de légendes comme de réalités, du passé et du présent, celui notamment d’un peuple millénaire bafoué dans ses droits.
Qu’on ne nous fasse pas croire que cette pêche est une catastrophe écologique. Les quelques tonnes annuelles pêchées dans le sud de la Gaspésie par les Indiens sont sans rapport avec ce que les pêcheurs sportifs de l'Est du Canada sortent des rivières, à savoir 100 fois plus, et encore moins avec le scandale qui se déroule au large des cotes avec les navires usines (qui prélèvent 3000 tonnes par saison). C’est bien dire que le problème est politique.
L'écriture d'Eric Plamondon est empreinte de beaucoup de poésie. Comme le saumon devenu taqawan remonte la rivière vers son origine, le lecteur est invité à aller à la source… des informations et à se faire sa propre opinion.
Taqawan d'Eric Plamondon, chez Quidam Editeur, en libraire depuis janvier 2018
Prix France-Québec 2018 / Prix des chroniqueurs 2018 -Toulouse Polars du Sud / Honneur 2018 de la Cause littéraire
Lu dans le cadre du Prix des Lecteurs de la Ville d'Antony (92)
1 commentaire:
Je remercie monsieur Éric Plamondon auteur de Taqawan de m'avoir permit de contribuer à ce roman par des dictons et autres textes tirés de mon site Mi'kma'ki http://www.astrosante.com/traduction_nessutmasewul.html
Merci aussi aux autres collaborateurs, Alanis Obomsawin (textes tirés du documentaire « Les événements de Restigouche »), Danielle Cyr et Marie-Bernard Young (pour l'orthographe mi'kmaw), Earle Lockerby (textes tirés de l'article « Ancient Mi'kmaq Customs; A Chaman Revelations» (The Canadian Journal of Native Studies, vol. XXIV, no 2, 2004), René Levesque (extrait de la conférence de presse du 25 juin 1981).
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