
A cette occasion, les artistes ont sélectionné les pièces les plus représentatives de leur production et de leurs recherches à la Casa de Velázquez pour construire ensemble ce kaléidoscope multidisciplinaire et thématique où mémoire, questions de genre, métissage, écologie ou encore intelligence artificielle se côtoient et se répondent. L’exposition se veut reflet de la singularité de chacun, tout en permettant une vision interconnectée de leurs œuvres, marquée par la diversité des pratiques artistiques contemporaines.
Tous les artistes n'étaient pas présents le soir du vernissage et par ailleurs il est difficile de parler de musique uniquement avec des mots. Voilà pourquoi je n'évoquerai pas le travail de ceux que je n'ai pas rencontrés (Marta Pérez Campos et Gala Hernández López) et très peu du musicien colombien Daniel Alvarado Bonilla, né à Bogota en 1985, qui explore à travers ses projets récents et ses collaborations les dimensions sonores et musicales des vestiges, du rituel et du chagrin tout en résonnant avec des contextes historiques et contemporains. Le visiteur pourra écouter au casque un extrait sonore de Vestigios (tele-radiodifusora nacional) pour soprano, mezz-soprano, sextuor à cordes et électronique.
Je regrette de ne pas pouvoir commenter PULSAR, le projet en résidence de Bastien David qui, en permettant d’entendre le monde sonore à une échelle minuscule, propose une nouvelle manière de percevoir la musique : incarner l’instrument joué et adopter son point de vue sonore. J'espère pouvoir assister à la création de cette œuvre à la Cité de la Musique – Philharmonie de Paris, avec la collaboration des solistes de l’Ensemble Intercontemporain.
Bastien David est un compositeur passionné par la diversité du vivant et qui s’intéresse aux relations sensibles qui se tissent entre les sons et à leur capacité à se déplacer dans le temps et l’espace. Sa musique est interprétée par les plus grands ensembles, y compris à l'international. Récemment, ses installations sonores ont été activées lors de la Nuit Blanche à Paris, en juin 2024, à la Conciergerie, et lors de la Biennale d’art contemporain de Lyon aux Grandes Locos.
Cet artiste n'hésite pas à repousser les limites du sonore, et créé si nécessaire des instruments "sur mesure" comme le metallophone. Un de ses projets est d'amener les spectateurs à danser sans avoir recours à de puissants hauts-parleurs ni de prise de drogues. Il réfléchit donc à comprendre ce qui fait que les corps s'animent.
La première artiste à s'exprimer au cours du vernissage fut Olivia Funes Lastra, née à Buenos Aires (mais originaire de Nouvelle Zélande), vivant et travaillant aujourd’hui à Paris. Ses toiles, au caractère nomade, deviennent des tableaux itinérants qui se déploient dans l’espace, où des fragments en mouvement entrent et sortent, des langues se superposent et des couleurs s’assemblent pour donner naissance à des installations poétiques vivantes qui interrogent les identités hybrides qui émergent du déplacement géographique.

S'agissant de son process elle dit : Je trace des lignes, je serre des rubans, je couds des chutes, je plie des tissus, je remplis des seaux d’eau, je mélange des poudres, je baigne le textile dans une couleur, je peins par fragments. J’écris.
Manon Delarue travaille le dessin, la BD, la sculpture et réalise des installations. Son projet s’articule autour de la construction du désir, et plus particulièrement de la folie érotique en se concentrant sur trois figures emblématiques : Jésus-Christ, le taureau et le gladiateur, qui occupent une place centrale dans son propre érotisme.
En Espagne elle a découvert le flamenco et vécu la fête. Elle a étudié la place de l'érotisme dans l'art en France du XVII° siècle jusqu'à Picasso. Le très grand pastel qui est accroché ici questionne sur l'ambiguïté du consentement, en représentant un désir de manière christique tout en inversant la situation Homme-Femme. Le personnage de Judith ne lâche pas prise, rendant sa jouissance impossible. Le désir pourrait-il alors être considéré comme une force pour se libérer d'une violence sexuelle ?

Les oeuvres exposées témoignent de proximités entre l'humain et le végétal. La circulation sanguine est comparable à celle de la sève. L'artiste utilise des chutes de bois dont elle respecte le hasard de leurs formes.
Vincent Cardoso est un sculpteur français, diplômé des Beaux-Arts de Paris en 2018. Il explore la pratique sculpturale à travers une relecture personnelle, matérialiste et sensuelle de l’histoire de l’art statuaire et se définit proche des enfants qui se créent des mondes. Il puise aussi dans la sculpture baroque espagnole, violente, parfois macabre, les outils d’un réalisme expressif et lyrique qu’il cherche à amener du côté de l’humour, de la tendresse et de la réconciliation.
Lui aussi utilise des chutes d'atelier et travaille sur l'absurde et l'échelle, ce qui aboutit à une remise en cause des structures de domination. Ainsi les vis ci-dessous sont gigantesques.
Après un temps de travail dédié à l’expérimentation du modelage et du moulage en atelier, Vincent Cardoso réalise ensuite des installations éphémères de grand format en lien avec les espaces qu’il investit. Depuis 2020, il se consacre à des projets d’installations en extérieur dans des lieux publics ou des espaces naturels.

Ses œuvres s’inspirent de la mythologie africaine et de l’iconographie du siècle des Lumières, des allégories sacrées, de la littérature classique européenne, des rites profanes et de la photographie de presse. Son message est de garder espoir au-delà des ténèbres. Voilà pourquoi un extrait de poème est écrit dans un de ses tableaux : il y a des éclats de soleil dans ton sourire.
Nicolás Combarro est artiste visuel qui poursuit une exploration de l’univers concentrationnaire dans le cadre d’un doctorat de recherche par le projet intitulé "La materia del silencio. Imágenes de los campos de concentración franquistas en España (1936-1947)", en cotutelle entre la Casa de Velázquez et l’Université Paris-Est Créteil Val de Marne.
La Matière de l’amnésie est un projet qui se penche sur le système architectural de la répression sous le régime franquiste, du soulèvement militaire de juillet 1936 jusqu’à la fin des années 1940. Certains camps de concentration (plus de 300), prisons et colonies pénitentiaires pour prisonniers politiques ont duré jusqu’à la mort du dictateur et la loi d’amnistie de 1977. Il aborde également le système des camps d’internement en France, à partir de la loi de 1938 sur les étrangers "indésirables", jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale en 1945.
La méthodologie artistique croise et se nourrit du travail historique, anthropologique et archéologique pour compiler et réfléchir sur ces systèmes de répression. Le projet combine une photographie inédite avec le collage, la sculpture, la vidéo et les archives pour tenter de comprendre et de représenter un réseau de violence qui a duré des décennies, en cherchant un pont symbolique et matériel pour contrer l’amnésie et le silence.
Regina Quesada est une artiste visuelle, enseignante et chercheuse espagnole qui vit et travaille à Valence. Dans son projet Piedras: Sobre una geología del territorio, elle propose un discours graphique et théorique personnel pour étudier le lien cyclique entre les êtres humains et la terre. À cette fin, l’artiste génère un imaginaire graphique et linéaire de l’objet représenté (la pierre) comme une forme en état constant de changement et de mouvement dans un espace-temps indéfini.
En 1936, lorsque la bataille de Madrid a éclaté, la Casa de Velázquez s’est retrouvée sur la ligne de front. Les impacts d’éclats d’obus sur la pierre de la cour, comme une blessure permanente, sont encore conservés aujourd’hui. En capturant et en analysant les trous d’éclats d’obus sur les colonnes par le biais de l’abstraction, une métaphore du temps est générée à travers un enregistrement visuel qui, à son tour, donne lieu à un dessin contemporain plein de traits intuitifs.
En 1936, lorsque la bataille de Madrid a éclaté, la Casa de Velázquez s’est retrouvée sur la ligne de front. Les impacts d’éclats d’obus sur la pierre de la cour, comme une blessure permanente, sont encore conservés aujourd’hui. En capturant et en analysant les trous d’éclats d’obus sur les colonnes par le biais de l’abstraction, une métaphore du temps est générée à travers un enregistrement visuel qui, à son tour, donne lieu à un dessin contemporain plein de traits intuitifs.
Bahia Bencheikh-El-Fegoun est une réalisatrice algérienne. Ici elle expose des collages réalisés à partir des archives de la Casa de Velázquez. Elle cherche à reconsidérer la mémoire féminine en racontant l’histoire de femmes condamnées, torturées et exécutées par les autorités ecclésiastiques, accusées de sorcellerie et en faisant dialoguer la figure médiévale et contemporaine de la sorcellerie avec les revendications féministes actuelles.
L’idée lui est venue en 1968, à l’occasion d’Halloween à New York, quand des membres du mouvement Women’s International Terrorist Conspiracy from Hell WITCH ont défilé et dansé la sarabande en se tenant par la main, vêtues de capes noires et entonnant un chant berbère, sacré aux yeux des sorcières algériennes.
Son travail met en relation des histoires de féminicides, de féminin occulte et de luttes féministes, au-delà des frontières spatio-temporelles. Il interroge la déshumanisation des débats et offre une nouvelle réponse, plus intime, au mouvement des sociétés.
À travers des pratiques mixtes - vidéo, performance et écriture - Camille Zéhenne analyse des thèmes qui structurent et traversent nos sociétés contemporaines. Combinant des approches ethnologiques, sémiotiques et artistiques, elle interroge les constructions sociales que nous avons intégrées comme des normes.
Elle mêle, sur un mode singulier et sensible, des approches ethnologique, sémiotique et artistique. La video qui est présentée fait l'analogie entre le désir lesbien et la découverte d'une statue à travers un montage fait de jeux de superposition.
Bilal Hamdad est un peintre franco-algérien vivant et travaillant à Paris. Son travail s’articule autour de la capture de situations quotidiennes authentiques, où la foule et le groupe deviennent les éléments centraux de sa narration visuelle. Il explore la composition et le mouvement des corps dans l’espace, créant des scènes dynamiques qui révèlent une réalité vivante, souvent tirée de l’actualité ou de la vie de tous les jours. Sa résidence à la Casa de Velázquez à Madrid a marqué un tournant dans son travail, lui offrant l’opportunité d’assimiler les influences des chefs-d’œuvre du musée du Prado, comme Les Ménines de Velázquez ou les tableaux vénitiens pour nourrir ensuite sa pratique artistique.
Il parvient à capturer et transformer le quotidien en une expérience visuelle intense et pleine de sens, jouant des contrastes clair/obscur, des reflets, des regards, osant ajouter un rideau pour théâtraliser la scène.
Suivant la métaphore du kaléidoscope, le catalogue a été conçu comme une compilation modulable des expressions individuelles et graphiques des projets de la 94e promotion de résidents de la Casa de Velázquez, en permettant d’associer, combiner, mélanger, connecter..., afin de voir la réalité sous différentes perspectives.
Avec l’aide de l’éditeur Gonzalo Golpe, les 14 artistes ont élaboré une proposition à la fois conceptuelle et esthétique, expérimentant les jeux optiques, plastiques et sémantiques dans la création d’un leporello, pour raconter leur propre histoire.
La Casa de Velázquez fait partie du réseau des cinq Écoles françaises à l’étranger (EFE). Depuis sa fondation il y a presque cent ans, elle a pour particularité de soutenir conjointement la création contemporaine et la recherche en sciences humaines et sociales. Elle propose un vaste programme de bourses et de résidences qui lui permet d’accueillir chaque année une centaine d’artistes et de chercheurs, toutes disciplines confondues. Chaque année, 25 à 30 artistes sont accueillis pour des périodes de résidence de 2 à 11 mois.
Quant à l’Académie des beaux-arts, on peut rappeler qu'elle est l’une des 5 académies composant l’Institut de France. Réunissant 67 membres, 16 membres associés étrangers et 67 correspondants, elle veille à la défense du patrimoine culturel français et encourage la création artistique dans toutes ses expressions en soutenant de très nombreux artistes et associations par l’organisation de concours, l’attribution de prix, le financement de résidences d’artistes et l’octroi de subventions à des projets et manifestations de nature artistique.
Kaléidoscope
Exposition annuelle des artistes de la 94e promotion de la Casa de Velázquez –Académie de France à Madrid : Assoukrou Aké, Daniel Alvarado Bonilla, Bahia Bencheikh-El-Fegoun, Vincent Cardoso, Nicolás Combarro, Bastien David, Manon Delarue, Olivia Funes Lastra, Bilal Hamdad, Gala Hernández López, Tereza Lochmann, Marta Pérez Campos, Regina Quesada, Camille Zéhenne.
Du 6 février au 9 mars 2025
Au Pavillon Comtesse de Caen de l’Académie des beaux-arts - 27 quai de Conti - 75006 Paris
Du mardi au dimanche de 11h à 18h. Dernier accès à 17h45
Entrée libre et gratuite
Entrée libre et gratuite
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