
Evidemment chaque parution est à la fois une promesse et une inquiétude. Et comme l'auteure est plutôt du genre à douter d'elle-même elle me transmet ses affres avant chaque nouvelle lecture.
Les premières pages de La baronne perchée m'ont vite rassurée. Ce huitième roman est fort agréable à lire tout en ayant une profondeur appréciable.
On y retrouve les éléments constitutifs du jeu de cartes de Delphine : le poids des non-dits, un passé qui resurgit, des rendez-vous manqués qui ne vont pas le rester, des paysages de bord de mer.
Quelque chose d'impalpable m'a rappelé aussi la jeune fille de Twist (il faut reconnaitre que je suis fan de ce livre) même si Billie n'est pas enfermée dedans mais "dehors".
Inspirée par sa lecture du Baron perché d'Italo Calvino (qu'il n'est pas nécessaire d'avoir lu nous-mêmes), l'adolescente s'installe dans une cabane au milieu des arbres, dans un parc d'accrobranche désaffecté, face à l'océan. C'est l'été, ses camarades sont en vacances, son père au travail, à la conserverie. Personne ne remarque sa fuite, à l'exception d'un étrange rôdeur aux allures de Clint Eastwood dont le lecteur ignore les intentions.Le père finira par s'affoler mais, désemparé, il sollicitera l'aide de Nelly, une jeune journaliste habituée à mener des enquêtes. Sans certitude d'arriver à temps pour sauver Billie.
Je n'allais pas résumer l'intrigue en la dotant d'une happy-end. Quand on connait l'addiction de Delphine Bertholon pour les séries et son goût pour l'horrible on peut légitimement s'attendre à ce que son scénario ne soit pas imbibé d'eau de rose. De fait, il y a des choses terribles dans ce livre, que vous découvrirez le moment venu.
Faisons confiance à l'astrologie pour rester sereins. Billie est Lion, un signe de passionnés, de déterminés, toujours prêts à relever de nouveaux défis (p. 132) faisant d'elle une superstitieuse optimiste. Ou peut-être la fille de son père, Léo, qui, bien que porteur d'un prénom fort, est victime d'un grave alcoolisme. Pour construire un tel personnage, Delphine a pu s'appuyer sur Le Son de ma voix de Ron Butlin, publié chez Quidam éditeur, dans lequel le romancier et poète écossais raconte l'histoire d'un alcoolique écrite (et c'est peu fréquent) à la seconde personne.
Billie est orpheline de mère. On l'apprend très vite et on comprendra plus tard comment le passé à pu provoquer de si lourds dégâts. Une pathologie psychiatrique en est à l'origine et l'auteure s'est documentée à l'extrême pour garantir la véracité de ses propos. Ceci, combiné à son art du principe cliffhanger tant utilisé dans les séries TV (et qu'elle est habituée à pratiquer comme scénariste), procure à la lecture à la fois suspense, originalité et empathie.
Nelly - cette fille qui ressemble trop au pain d’épices (p 184) et vous comprendrez pourquoi le moment venu - le fait remarquer avec à propos : N’importe quelle folie inspirée par un roman est un truc merveilleux (p. 168). La robinsonnade est un point de départ abracadabrant qui va nous amener dans un univers, certes inhabituel, mais parfaitement construit et tout à fait plausible. Je ne suis pas étonnée que dans son obsession du détail Delphine soit allée jusqu'à vérifier qu'aucune tempête ne ravagea la côte au cours de l'été pendant lequel se déroule cette épopée.
Je ne suis pas davantage surprise de savoir qu'elle a écouté en boucle Crispy Bacon, un morceau de musique techno de Laurent Garnier, un maitre du genre, pour écrire en cadence la scène de la voiture (p.102).
Le roman est destiné à un public adulte mais je serais curieuse de connaitre les retours d'adolescents car, à plusieurs reprises, je l'ai senti écrit pour eux. Peut-être parce que le personnage de Billie semble totalement vrai et que ses interrogations sont celles qui peuvent secouer sa génération. Egalement parce qu'on croise des figures emblématiques de la littérature jeunesse comme Matilda, la gamine surdouée de Roald Dahl (on notera au passage, et c'est conscient pour l'auteure, que la mère de Billie s'appelle Mathilde, et que Malhamé n'est pas particulièrement bienaimé, signifiant le poids du choix des patronymes), Alice au pays des merveilles, et bien sûr Côme Laverse du Rondeau dont les aventures ont de quoi faire rêver (p 64). Encore aussi parce que la couverture (extrêmement élégante) nous rapproche de cet univers de la jeunesse et annonce le retour du printemps. Enfin parce que si le prénom de Billie fait penser à Holiday, la chanteuse de Solitude, il est aussi celui d'une artiste plus contemporaine, Eilish, l'interprète de Bad Guy.
Les adultes apprécieront d'autres références, à Victor Hugo, à Baudelaire et au Spleen, à L'Attrape-cœurs de J. D. Salinger (1951) que Billie a déjà lu et assimilé, du haut de ses douze ans, prévenant son père que les gens qui pleurent à s'en fondre les yeux en regardant un film à la guimauve, neuf fois sur dix, ils ont pas de coeur (p. 21).
Dans les nouvelles générations (hormis dans les familles monoparentales où les rapports sont forcément déséquilibrés), les pères s'impliquent fortement dans l'éducation et la vie quotidienne. Dans le roman, aucun des deux pères n'a voulu le devenir. La naissance de l'enfant intervient comme un accident de parcours. Ce qui ne signifie pas pour autant qu'ils aient renoncé à jouer leur rôle.
La relation entre Billie et Léo, dont le travail d'étripeur dans une sardinerie est contraignant, est d'ailleurs très touchante, ponctuée de codes, que ce soit les citations littéraires, ou musicales. Il annonce son entrée dans la chambre de sa fille comme Gainsbourg dans Hôtel particulier avant d’enlacer Melody (p. 70) :
Si vous frappez : À la porte / D'abord un coup, puis trois autres / On vous laisse entrer.

Taire les non-dits et les secret n'est jamais bon. Vaut mieux y coller un fil d'or.
Je mentionnais plus haut que tous les éléments constitutifs du jeu de cartes de Delphine étaient présents. Je pourrais ajouter, même si c'est anecdotique, son goût pour les nouilles instantanées (p. 26) et aussi -puisque nous sommes entre nous- son amour pour les pieuvres qui lui fait placer une douce Poulpatine en peluche dans le lit de Billie (p. 199).
Vous l'aurez compris. J'ai adoré cette gamine que je compte bien retrouver dans quelques années car il me semble que son histoire familiale pourrait connaitre un nouveau rebondissement.
En attendant, je vous souhaite à vous aussi une belle évasion par la lecture, qui est tout de même un bon moyen de le faire tout en gagnant en fantaisie.
Delphine Bertholon est l’auteur de Twist, L’Effet Larsen, du très remarqué Grâce, du Soleil à mes pieds, puis Les corps inutiles tous parus chez Lattès et plus récemment, Dahlia chez Flammarion.
La baronne perchée de Delphine Bertholon, chez Buchet Chastel, en librairie le 6 février 2025
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