Publications prochaines :

La publication des articles est conçue selon une alternance entre le culinaire et la culture où prennent place des critiques de spectacles, de films, de concerts, de livres et d’expositions … pour y défendre les valeurs liées au patrimoine et la création, sous toutes ses formes.

mercredi 26 février 2025

Un déjeuner dans le cadre splendide et historique de la Brasserie Mollard à Saint-Lazare

Combien de fois, comme tant de parisiens, suis-je passée dans le quartier sans penser à entrer chez Mollard ?

Les parisiens oublient que les établissements emblématiques du patrimoine ne sont pas exclusivement destinés aux touristes étrangers.

C'est la Gare Saint-Lazare, toute proche, qui a inauguré le principe des transports en commun avec des horaires fixes, ce qui a considérablement impacté la vie des banlieusards. Deux mosaïques en témoignent à l'entrée du restaurant. On y voit une très jolie dame descendre précipitamment les escaliers de la gare à a descente de son train, pressée sans doute de faire ses courses avant de déjeuner … à la brasserie. Et sur l'autre on la voit repartir et on devine l'expression "grands magasins" marquant ses paquets.  La mention 1895 indique la date de construction.
Elle enregistre toujours le plus grand nombre de trains au départ, et est également la gare qui accueille le plus de voyageurs en semaine (360 000 utilisateurs quotidiens). Non content d'attirer les habitants des banlieues Mollard a fait courir le tout-Paris pour une raison toute particulière en étant un des premiers à séparer les toilettes femmes de celles des hommes en 1895. Si on songe aux tenues vestimentaires féminines on en mesurera tout l'intérêt.
Des panneaux ont été conçus pour célébrer ces zones de villégiature toutes proches qu'étaient alors Ville-d'Avray, Saint-Germain-en-Laye. Mais on honore aussi Trouville où l'on se rendait pour prendre des bains de mer (dans le costume de bains de l'époque, plutôt encombrant, que l'on voit sur le mur).
Le propriétaire étant patriote il a fait placer aussi dans un salon la Lorraine (à gauche) et l'Alsace (à droite).
D'autres sont presque japonisantes. Toutes sont splendides et donnent une classe folle aux alcôves.
La vue est tout autant sollicitée dans cet établissement que le sera bientôt notre palais. Il est indéniable que le décor est époustouflant, surtout avec les glaces qui démultiplient l'espace. 
On comprend que les hommes d'affaires appréciaient d'y donner rendez-vous pour conclure les marchés, principalement après la Seconde guerre mondiale quand les bureaux avaient été endommagés.

On peut venir ici pour toutes les occasions, déjeuner en toute simplicité, organiser un repas d'affaires, dîner en amoureux en partageant la formule langouste. Quoiqu'il en soit vous serez confortablement installés dans un fauteuil ou sur une banquette en cuir. On vous apportera les couverts (en argent) adaptés à vos plats, posés sur une serviette pliées, monogrammée comme la nappe du M de Mollard, qui est le nom des fondateurs, un couple de savoyards, en 1867. Le ballet des serveurs est un spectacle en soi, tout de noir vêtus, avec long tablier blanc, plateau ovale sur l'épaule.
J'imagine que vous salivez de savoir ce qui figure au menu. La carte est longue, comprenant de grands classiques d'une brasserie et ces créations. Vous pourrez y lire l'histoire de la maison pendant qu'on prépare votre entrée. Peut-être un Velouté de butternut, dés de foie gras et huile de truffe ou un Carpaccio de noix de Saint-Jacques à la coriandre fraiche sur purée de mangue … On se partagera un verre de Pouilly-Fumé A.C. Blanc fumé Penard & fils.
… à moins que vous ayez opté pour une assiette complète Nordique composée de thon fumé, espadon fumé, saumon fumé, tarama blanc, rollmop et oeufs de saumon et de lump. Tout sera servi dans des assiettes de porcelaine de Limoges, au liséré doré, portant le nom de la maison, assorti de la mention "Maitre restaurateur", un gage de qualité dont on peut être fier, parce que tout est fait maison, de A à Z avec des produits bruts qui arrivent chaque jour. Imaginez une pile de 5 mètres de haut de cagettes de fruits et légumes qu'il faudra trier, laver, tailler, cuire et mettre en place. 
Pour suivre on optera pour une demi-bouteille de vin d'Alsace, un Pinot noir Dopff et Irion qui bien entendu sera versé dans des verres idoines. Il n'y pas de sommelier si bien que les maitres d'hôtel ont la compétence de conseiller les convives.
En plat vous pourrez prendre une des spécialités, la Choucroute de poissons ou un Chateaubriand grillé sauce béarnaise. On vous apportera un Laguiole pour le découper mais sa tendresse n'aurait résister à aucun couteau.
La choucroute est délicieuse, avec dorade, flétan, saumon, lieu jaune nappés d'une sauce beurre blanc citronnée. La viande du boeuf est parfaite. Il est très agréable qu'on vienne interroger sur notre appréciation du degré de cuisson sans attendre quo'n ait terminé l'assiette. La béarnaise est succulente, les frites ne sont pas grasses et les haricots subtilement aillés.
A l'heure des desserts, on peut choisir une pâtisserie maison parmi celles qui occupent un très grand plateau et ce sera par exemple une Forêt noire, pour rester en Alsace, ou opter pour la spécialité maison, l'Omelette surprise Mollard qui sera servi avec tout le cérémonial qui s'impose.
Le flambage spectaculaire est effectué devant vous, après avoir versé la liqueur d'orange chaude. Une fois la meringue caramélisée la serveuse cloche l'assiette pour éteindre les flammes qu'on a laissé se développer un moment.
 La meringue est aérienne. L'omelette norvégienne est montée sur une boule de glace et un insert de purée d'orange sanguine amère. On peut féliciter le cuisinier qui faisait office de chef aujourd'hui Rached Araibia en l'absence du chef habituel Arnaud Regien.
C'est toute l'équipe qui mérite compliment. Parce qu'assurer un service continue de midi à minuit force l'admiration, même s'ils sont nombreux, 16 à 20 en salle et 10 à 12 en cuisine, pour assurer les repas de 200 clients au déjeuner en l'espace d'une heure trente, et 300 le soir en l'espace de 5 heures. Le travail est difficile mais il doit apporter des satisfactions parce que le directeur de l'établissement se félicite d'avoir de très bons apprentis qu'il a l'intention d'engager à la fin de leur contrat.
Difficile d'être plus passionné que lui quand il s'agit de parler de l'histoire de la maison qu'il connait depuis très longtemps. C'est que son arrière grand-père l'a achetée en 1938 pour y travailler avec ses fils et Stéphane Malchow se souvient très bien du professionnalisme de son grand oncle. A sa sortie de l'école hôtelière il a travaillé à ses côtés pendant une vingtaine d'années en bénéficiant des conseils de son grand-père.

Rien d'étonnant à ce qu'il voue un véritable passion aux lieux. Il aime voir la couleur des sauces le matin. Il a l'oeil à tout. Il flambe lui-même ses crêpes lorsqu'il en désire comme desserts. Il est attentif au personnel comme aux clients. La preuve : il a diligenté les services de clients-mystères pendant 5 ans et même s'il pensait veiller à tout il y a eu, reconnait-il, un avant et un après. L'opération s'est concrétisée par une charte qualité de 63 points. Etant toujours animé d'un souhait d'amélioration il compte réitérer l'expérience.

Bien entendu il connait chaque détail de l'ornementation. Il m'a expliqué que les Mollard avait fait appel en 1885 à un architecte qui devint ensuite célèbre et marqua la Belle époque, Edouard-Jean Niermans (1859-1928). Après la Brasserie Mollard il dessinera le Casino de Paris, les Folies Bergère, le Moulin Rouge, le théâtre des Capucines, et le Théâtre Mogador, l'hotel du Palais de Biarritz et le Negresco de Nice.

Il a fait appel à un mosaïste italien Henri Bichi qui eut l'idée d'employer les émaux de Briare parce que les desselles vénitiennes se raréfiaient. Il fera aussi une parie des mosaïques du Sacré-Coeur de Montmartre, celles du magasin Félix Potin de la rue de rennes et de la samaritaine. Son nom figure à côté de celui de Niermans sur chaque pilier.

Si, du sol au plafond, les mosaïques datent de la Belle Epoque, des salons supplémentaires ont été ajoutés en 1930. Ils n'en subsistait que quelques mosaïques vertes et or. Elles ont été restaurés à la perfection, et complétées par des miroirs si bien qu'un néophyte ne pourrait pas imaginer qu'ils ont été gravés en 2024. C'est en tout cas un artisan-artiste qui les a conçus. Ces salons offrent une superficie supplémentaire fractionnable de 130 mètres carrés.
Cet ajout est très réussi mais ne détrône pas la beauté de la verrière qui a été refaite en 2017 d'après des photos noir et blanc, en remplacement d'un plafond de verre cimenté.
L'entretien de ce patrimoine est soigné et conséquent. C'est que l'ensemble a été classé dans l'inventaire supplémentaire des Monuments historiques en 1989, ce qui présente tout de même un peu moins de contraintes que le premier classement.
Vous aurez sans doute remarqué une étoile rouge sur le menu. Elle provient d'une de celles qui ornent les murs, évoquant sans doute tout autant l'engouement des bains de mer que la voute céleste. Ce symbole signifiant l'excellence et la célébrité méritait sa place sur le menu.
Le décor est impressionnant, démultiplié par les miroirs mais il est encore plus magique vu de près lorsque la clientèle a terminé son repas et que nous pouvons scruter chaque détail.
Pour vivre au mieux cette expérience, je vous conseille une des tables rondes si vous venez avec 6 ou 7 collègues ou clients. La configuration est idéale pour discuter. Si vous êtes seul et curieux de voir tout ce qui se passe demandez la table 5. Pour un dîner en amoureux, sollicitez la table 7 (ci-dessous à gauche) qui vous isolera de voisins indiscrets et qui vous offrira une vue sur la Tour Eiffel.
Les tables 84-85 sont idéalement situées pour profiter du décor, tout en étant à l'abri des bruits de la rue grâce à une vitre.
Au loin,  le réchaud vient d'être éteint. La chef de rang photographie un groupe de clients sous la verrière. Le temps est venu de quitter ces lieux mythiques. 
Brasserie Mollard - 115 rue Saint--Lazare - 75008 Paris - 01 43 87 50 22

Aucun commentaire:

Articles les plus consultés (au cours des 7 derniers jours)