
La pampa était d’ailleurs le nom du terrain où le réalisateur Antoine Chevrollier a passé des heures à suivre des courses.
C’est un monde que ne connais pas du tout. Pas plus que ce territoire rural de l’ouest de la France, au coeur de l’Anjou, à environ 35 km d’Angers, réputé surtout pour sa route des lavoirs.
Le réalisateur n’en brosse pas un portrait touristique. L’endroit suinte d’ennui et Willy et Jojo, deux ados inséparables, passent leur temps à s’occuper comme ils peuvent, malgré l’injonction de réussir le bac pour l’un et de remporter un trophée de plus pour l’autre. Ils se sont fait une promesse : ils partiront bientôt pour la ville, une fois qu’ils auront satisfait les objectifs de sa mère pour le premier, de son père pour le second. Mais Jojo cache un secret. Et quand tout le village le découvre, les rêves et les familles des deux amis volent en éclat.
Antoine Chevrollier n'est pas du sérail et n'a pas fait d'études cinématographiques. Il a longtemps travaillé pendant ses vacances, en faisant de la manutention (à l’usine qu’on voit dans le film). Il enchaina les missions alimentaires pour subvenir à ses besoins et réussir à pénétrer le monde du cinéma.
Il accepta un poste d'assistant sans même savoir comment élaborer un plan de travail (il apprit dans la nuit) puis de fil en aiguille devint assistant réalisateur sur le clip de Midi 20 de Grand Corps Malade. Dès lors, il va enchaînerons missions et apprendre son métier sur le tas. Comme premier assistant sur d’autres clips puis assistant réalisateur sur Americano de Mathieu Demy (qui tient un petit rôle dans La Pampa) et beaucoup d'autres suivront. L’étape suivante sera la réalisation avec la chance de mettre en scène le clip de Texas Switch, du groupe Bagdad, qui lui permettra de se faire repérer par Eric Rochant qui lui confie quelques scènes "nerveuses" de la première saison du Bureau des légendes. Il réalise ensuite Baron noir, puis créé Oussekine, qui lui semblait indispensable à raconter.
L'idée de La pampa vient du souvenir de ce terrain de moto-cross qui s’appelle la pampa et qui se trouve dans le village de Longué-Jumelles, tout à côté de l’ancienne maison de ses parents où il a grandi. C’est un sport qui coûte cher mais qui ne rapporte pas grand chose. Ceux qui comme lui ont des parents qui n'ont pas les moyens de payer une moto regardent les autres à travers les grilles. Les courses génèrent beaucoup de fantasmes alimentés par un patriarcat, et une masculinité toxique.
Il développe un scénario avec Bérénice Bocquillon et Faïza Guène, qui avait déjà travaillé sur Oussekine (est dont j'ai lu il ya quelques semaines le livre Kiffe, kiffe, hier ?). Les deux projets parlent de la violence du collectif. Violence étatique pour Oussekine et violence des habitants du village dans La Pampa face à tout ce qui sort d’une prétendue norme. Et je ne dévoilerai évidemment pas quel est ce secret qui va provoquer des dérives violentes.
Pour cette première réalisation pour le cinéma, Antoine Chevrollier dit avoir adopté la méthode Eric Rochand. Ne rien laisser au hasard, absolument tout valider, faire en sorte de penser étalonnage, montage, musique dès l’écriture et que tous les départements se côtoient, se parlent.
Les jeunes acteurs sont hurlants de vérité. Aussi bien Amaury Foucher (Jojo) que Sayyid El Alami (Willy), le héros d’Oussekine, vu récemment dans Leurs enfants après eux. Mais aussi Artus Solaro qui endosse un rôle à des années lumières de son film Un p'tit truc en plus.
Les femmes ne sont pas absentes et les mères font ce qu’elles peuvent pour insuffler du positif et un peu de douceur dans un univers masculin suintant la testostérone mais pas forcément si puissant qu'on pourrait le croire (Au pieu c’est la Loire en Août dira la mère de Jojo). Et pourtant l'homme, manifestement insatisfait de la seconde place de son rejeton, n’aura pas un regard encourageant, se limitant à une nouvelle exigence : Faut rien lâcher. Au grand désespoir de la mère qui comprend que ça risque de mal tourner : Ça lui couperait la bouche un putain de bravo.
Les engins rugissent comme des fauves. Le propre de la jeunesse est de se penser invulnérable et de se lancer des défis que James Dean auraient pu relever. Un des deux potes semble gagner, l’autre perdre. S’il fallait parier on s'interrogerait sur ce qui pourrait être plus "grave" que couper une route nationale à grande circulation.
Il faut absolument souligner la musique composée par Evgueni et Sacha Galperine (après avoir collaboré sur la série Oussekine). Dans sa discordance, elle magnifie admirablement la détresse de cette jeunesse.
Enfin, et ce n'est pas un détail, la jeune fille avec qui sympathise (et ans doute plus) avec Willy est une jeune étudiante aux beaux-arts qui travaille sur la tapisserie de l'Apocalypse commandée en 1375 par le duc Louis Ier d’Anjou, conservée au château d'Angers. Ce trésor inscrit à l'Unesco est la plus grande tapisserie héritée du Moyen Âge. Constituée à l’origine de 6 grandes pièces textiles de 23 mètres de long sur 6 mètres de haut chacune, elle se déploie sur près de 140 mètres de longueur que l'on entrevoie fugitivement dans le film. La symbolique de l'apocalypse est très forte mais on peut espérer qu'un renouveau sera ensuite possible.
Depuis sa première projection à Cannes, en mai 2024 à la Semaine de la Critique et récompensé du prix du public au festival Premiers Plans d’Angers en janvier dernier, La Pampa collectionne les prix à travers les festivals.
La pampa, film de Antoine Chevrollier
Avec Sayyid El Alami, Amaury Foucher, Damien Bonnard, Florence Janas, Artus Solaro, Léonie Dahan Lamort, Axelle Fresneau, Mathieu Demy, Hadrien Heaulmé, Marlon Hernandez, Yannis Maaliou …
Scénario Antoine Chevrollier, Bérénice Bocquillon et Faïza Guène
En salles depuis le 5 février 2025
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