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dimanche 23 février 2025

A la recherche des profs perdus de Mathieu Bosque

Je n'avais peut-être pas très bien interprété le titre de ce livre en en lisant le résumé. Je pensais que Mathieu Bosque avait enquêté auprès d'enseignants tels que ceux que je connais, qui sont passés par les filières qui étaient "normales" disons jusque dans les années 2010 et qui sont en passe de baisser les bras parce que leur métier est devenu impraticable, du moins selon les objectifs qu'on leur avait fixés et qu'ils étaient d'accord pour atteindre.

A ma décharge, j'ai connu l'Education nationale de l'intérieur pendant seulement une vingtaine d'années et j'ai rompu tout lien en 2017. Donc avant les grands bouleversements que représentèrent d'une part la pandémie et d'autre part la suppression des IUFM et la pratique du job dating dont j'ignorais tout avant de lire cet ouvrage.

L'auteur se veut néanmoins encourageant en estimant que son enquête est nécessaire pour comprendre, et surtout pour agir. Il mène une réflexion passionnée pour retrouver l’espoir d’un avenir éducatif plus juste et ­inspirant.

Il est évident qu'un système qui place des enseignants sans formation face aux enfants qui ont la plus grosse probabilité de décrocher ne peut pas prétendre qu’il veut réduire les inégalités.

Un des gros intérêts de cet ouvrage est d'analyser les grandes périodes de crise des recrutements qui ont ponctué l’histoire de France. Elles furent nombreuses, à l'image des 38 personnes qui ont été, depuis 1958, ministre en charge de l’éducation, sous la responsabilité de 47 premiers ministres différents. Rappelons que Jean-Michel Blanquer, François Bayrou, Lionel Jospin et Luc Chatel ont été ministres en charge de l’Éducation à trois reprises dans la durée en conservant leur fonction lors de changements de gouvernement. Les ministres en pleine charge de l’éducation ne sont restés à leur poste que 186 jours en moyenne, soit un peu plus de six mois environ. Au cours de l’année 2024, ce seront pas moins de cinq personnes différentes qui auront exercé la fonction. Tout cela, l'auteur ne le dit pas mais cela explique pour partie l'échec de toutes les réformes.

Mathieu Bosque, qui est aussi le président de Picardie Debout, a une vision politique, et s'est donné pour mission de dévoiler des pistes pour réinventer l’école et redonner un sens fort à la vocation enseignante. Voilà pourquoi, entre autres, il reprend l'expérience (bien connue) de Serge Boimare s'appuyant dans les années 70 sur les mythes fondateurs pour déclencher l'envie d'apprendre (p. 109).

Il est utile de rappeler que (aussi) l’école a pour mission de faire de nos enfants des démocrates tolérants pour se prémunir contre l’approbation d’une dictature (p. 21) et je me souviens de prises de tête à propos de la différence philosophique entre éducation (nationale) et enseignement. Combien de fois ai-je eu le sentiment d’être piégée par une soit-disant loyauté à l’égard de mon employeur ?

Autant je n’avais jamais eu par le passé le moindre doute à appliquer les principes d’égalité du service public, auquel j’étais très attachée (et qui a volé en éclats) autant l’absence de critique (même constructive) m’a dérangée dans l’Education nationale.

Je doute vraiment de la volonté gouvernementale de revenir à un système qui fonctionne mieux. Il y a au moins dix ans, les hasards de la vie me plaçaient face à un homme politique qui avait le pouvoir d'agir. Il me faisait part de son immense regret de ne pas parvenir à établir de mixité sociale au sein des deux collèges de sa commune. Mon esprit pratique lui souffla immédiatement la solution : il suffisait de dédier toutes les classes de 6ème et 5ème à l'un, toutes les classes de 5ème et 3ème à l'autre pour obtenir 100% de mixité sociale sans même dépenser un euro. Il me répondit aussitôt : vous n'y pensez pas, les parents ne seraient pas d'accordJe crois avoir définitivement compris que la situation était "perdue" ce jour-là. et je ne suis pas surprise que Mathieu Bosque (qui arrive à semblable conclusion p. 134) souligne que les jeunes en difficulté sont concentrés dans certains collèges.

J'ai vu tant de dysfonctionnements que je ne pense pas qu'une ultime réforme puisse être salutaire. Il n'y a pas de volonté politique d'amélioration. J'ai suffisamment oeuvré (aussi) au sein d'autres institutions pour voir quand le système public est en panne.

Le crédit que j’accorde à cette institution est réduit à peau de chagrin. J'ai passé malgré tout quelques heures à lire cet ouvrage dans l'espoir de retrouver confiance.  Je dis bien institution car pour ce qui est des enseignants je continue à saluer leur dévouement chapeau bas. Je n’en connais aucun qui ne se préoccupe pas du devenir de ses élèves.

Mathieu Bosque brosse une école injuste, cruelle, sadique, enfin un système, et quelques comportements d'enseignants. Mais je ne suis pas d’accord. C’est la société qui est injuste, cruelle, sadique. L’école n’en est que le reflet.

A la recherche des profs perdus, enquête de Mathieu Bosque, éditions de l’Aube, en librairie depuis le 7 février 2025

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