Publications prochaines :

La publication des articles est conçue selon une alternance entre le culinaire et la culture où prennent place des critiques de spectacles, de films, de concerts, de livres et d’expositions … pour y défendre les valeurs liées au patrimoine et la création, sous toutes ses formes.

samedi 8 février 2025

Olivier Morel expose Être forêt, être montagne à Châtenay-Malabry

Si la Maison des arts de Châtenay-Malabry a l'habitude d'accueillir des expositions collectives il est très agréable aussi de pouvoir appréhender l'oeuvre d'un artiste en en montrant davantage que quelques exemplaires.

On peut, en ce moment, y voir une trentaine de petites mais aussi d'immenses peintures d'Olivier Morel, essentiellement ses forêts et ses montagnes qui, bien que frôlant l'abstraction, sont si puissantes que notre regard y plonge avec fascination.

Le hasard fait que je connaissais un peu son travail pour avoir remarqué la commode Restauration qu'il avait sublimée à l'occasion de ma visite de l'exposition Les aliénés au Monument national.

Le rez-de-chaussée du pavillon est consacré aux forêts, ensuite on s'élève à l'étage aux montagnes. Il a tenu à intituler l'exposition en utilisant le verbe "être" parce qu'il implique une expérience réelle, physique et que l'artiste a pour objectif d'immerger le spectateur dans l'expérience de la marche dans la nature.
De fait, ses toiles sont d'une grande force et méritent d'être vues de près comme contemplées de loin tant elles brouillent la frontière entre réel et imaginaire. On pourrait les qualifier de "figuratives avec un désir d'abstraction".
Il travaille d'après des photos qu'il prend lui-même à l'occasion de longues marches dans la nature. Il réalise ensuite d'abord des dessins, souvent en noir et blanc, ce qui permet de travailler particulièrement la structure, puis effectue des petits formats préparatoires en quelque sorte aux oeuvres de grand format. Le changement de médium (de technique, en passant par exemple du crayon de couleur à la peinture) et d'échelle permet de ne pas épuiser le sujet. Toutes ces étapes sont à ses yeux indispensables.

Ce n'est pas un peintre abstrait, mais c'est une évidence que ses créations s'en approchent néanmoins. Il s'en explique lui-même, disant viser l'affirmation d'une forme de plus en plus épurée, la synthétisation de l'espace par élimination d'éléments superflus, la saturation des couleurs, l'impulsion d'un geste cherchant à transmettre l'énergie vitale de toute manifestation, caractérisent l'ensemble de ses œuvres.

Il est probable que son inclinaison pour la philosophie taoïste qui se concentre sur l'essentiel y est pour quelque chose tout comme sa fascination pour les massifs montagneux.

Il ne doute pas de la vocation de la peinture de témoigner de ce qui a été et qui peut-être une sera plus. Même s'il est difficile de mesurer des variations et a fortiori de les considérer comme définitives, il n'empêche qu'il voit combien les glaciers ont reculé en l'espace de 5-6 ans.
Sans avoir l'intention de représenter le moindre petit caillou il est important de témoigner que la montagne résulte de la superposition de strates après la projection de fonds marins à 8000 mètres d'altitude.

Il est rare qu'un artiste soit aussi transparent sur sa méthode de travail. Non seulement il répond à toutes les questions avec patience mais en plus il réalise fréquemment des vidéos filmant l'intégralité du processus créatif qu'il monte ensuite en gardant les moments le plus pertinents pour permettre au néophyte comme au professionnel de bien le comprendre. Il est aussi toujours partant pour mener des médiations culturelles avec différents publics.

Sa parole est vraie. Il prévient que si la video témoigne du processus de création elle doit être considérée comme une fiction. Cette mise en scène du travail pourrait donner une impression erronée d'apparente aisance. C'est le résumé de 5 à 10 séances de travail de chacune 3 à 4 heures. Le tout résumé à une dizaine de minutes. Malgré cet inconvénient cela reste un outil de communication et un moyen de désacraliser le geste créatif.
On comprend à travers ces deux exemples, qu'il s'agisse d'une montagne ou d'une forêt  (la forêt rose ci-dessous), que la photographie préalable est à portée des yeux (ou de la main) de l'artiste. Qu'il opère sans chevalet, sur une toile fixée sur le mur. Qu'il travaille par couches successives, en effaçant si nécessaire, quitte à reprendre la même couleur, l'effacer ensuite et l'appliquer encore une nouvelle fois, qu'il a recours au sèche-cheveux pour fixer l'acrylique (qui s'assombrit en séchant) et à l'éponge pour gommer, selon qu'il a envie que les peintures se mélangent ou pas, qu'il peint principalement de haut en bas, ou plus précisément du lointain au plus proche, qu'il emploie des bandes de papier pour protéger les endroits qui doivent rester intacts avant de recevoir la couleur définitive. Qu'enfin il a recours à un médium blanc qui rendra la peinture plus lumineuse.
Jamais son regard ne dévie de la toile. Ou fugitivement vers la photo ou le nuancier qui s'élargit à côté de l'oeuvre. On voit des zones disparaitre, d'autres surgir. la manière de peindre la montagne est différente de celle de représenter la forêt. Pour celle-ci la couleur appliquée sur le fond fournit la base chromatique. On remarque aussi que les gestes sont souvent effectués de bas en haut pour les arbres, ce qui correspond au sens de la croissance de la plante.

Ses pinceaux sont fins ou très larges, en fonction de ce qu'il cherche à produire. C'est une sorte de buisson de brosses qui émerge d'un énorme pot dans son atelier. Il peut en utiliser une vingtaine simultanément. Sa palette est un simple morceau de carton récupéré car l'artiste est sensible au recyclage.
Après avoir visionné ces vidéos le spectateur éprouve le besoin d'aller revoir les oeuvres de près, guetter les coulures qui ont été conservées, apprécier la trace des brosses, lire en se reculant la présence d'un écureuil caché entre les brindilles …
A propos de la "beauté" d'un dessin Olivier Morel fait remarquer qu'un joli dessin n'a pas de sens puisque c'est juste un outil (une étape de travail). On admire néanmoins ses forêts, à différentes saisons avec l'impérieuse envie d'y mettre le pied.
On peut y voir de jolis paysages aux couleurs chatoyantes mais que pensera le public quand il apprendra que des forêts ont brulé, que d'autres ont été détruites par les pluies acides, que les lacs se sont asséchés, que les glaciers ont disparus ? Nous souviendrons-nous avoir été poussières d'étoiles nées de la forêt ?
S'il s'agit d'une série il n'y a cependant jamais de répétition tout comme dans la réalité le sous-bois prendra chaque jour des tonalités différentes, loin des stéréotypes que nous avons en tête quand nous pensons à un arbre dont le tronc -si on l'observe de près- n'est jamais parfaitement marron ni la ramure d'un vert uniforme. Un massif de hêtres mélangés à des conifères dont le fût sera partiellement recouvert de mousses ou de lichens présentera une richesse chromatique. Les couleurs des toiles sont des couleurs vraies, à peine accentuées.

Le peintre a beaucoup arpenté la forêt de Montfort-sur-Risle qui est la plus petite (2077 hectares), la plus vallonnée et la plus "vosgienne" des forêts domaniales de Normandie. On y trouve une grande variété d’essences où dominent les résineux : pins sylvestres, épicéas et douglas. Mais, de plus en plus, les feuillus reprennent leurs droits : outre le hêtre et le chêne déjà bien implantés viennent le merisier, l’aulne blanc ou l’alisier qui se développent grâce à la politique de biodiversité menée par l’Office National des Forêts chargé de la gestion de cette forêt.
La gestualité rend compte de la vie, du souffle, du vent, de l'aspect labyrinthique qui pourrait susciter l'angoisse comme le font les contes pour enfants.

Olivier Morel est entré aux Beaux-Arts en 1989 après un cursus scientifique au cours duquel il étudia la physique quantique et la théorie des trous noirs. Gravure, peinture, et sculpture nourrissent sa création et il reste admiratif de la peinture chinoise.

L'artiste rapproche la pratique de la peinture de celle du zen. Comme il le précise sur son site, peindre signifie "être le motif", ne faire qu'un avec lui afin de restituer ce qui le constitue, son énergie interne, sa structure, sa nature. Être forêt, être montagne, c'est sentir en soi la puissance des arbres et des roches, la circulation de la sève, la sédimentation, le déploiement des feuilles, le roulement des eaux, l'obduction des plaques tectoniques.

Les noms des oeuvres apparaissent comme des codes. Ainsi la première à gauche à l'étage est Sixt 67 · Année : 2023 · Acrylique sur toile de lin · Taille : 130 x 162 x 2 cm . Toutes les montagnes appartiennent à la série Sixt et les futaies à la série Forêt.

N'hésitez pas : il est rare de bénéficier d'une exposition de ce niveau en accès libre. L'endroit est précieux en ces temps d'annonce de réductions budgétaires dans le domaine de la culture. J'ajoute que l'artiste sera présent pour assurer de nombreuses médiations, programmées pour tous les âges, de la petite enfance aux séniors. Renseignements sur le site de la ville.

Sa gravure Labyrinthe 2K2 a été acquise en mai 2019 par le Mobilier National en vue de la réalisation d'un tapis dont le tissage a débuté en novembre 2021 à la Manufacture de la Savonnerie à Paris. 

Être forêt, être montagne d'Olivier Morel 
Du 4 février au 1er mars 2025
Vernissage le vendredi 7 février à 19h
Pavillon des Arts et du Patrimoine
98 rue Jean Longuet, 92290 Châtenay-Malabry
Entrée libre

1 commentaire:

Marie a dit…

Merci pour ton article, si bien documenté et au plus près de l œuvre de ce peintre.
Il m apporte des précisions pour mieux comprendre ces peintures, et j y retrouve les émotions procurées par ma première visite.
Bravo !

Articles les plus consultés (au cours des 7 derniers jours)