
Leo n’est pas rentrée et le printemps s’entête dans sa douceur. Leo ne reviendra pas. La shérif Lauren Hobler découvre son corps au milieu des iris sauvages. Autour de la mort soudaine d’une jeune fille se tissent plusieurs destinées.Pour élucider un mystère, mais lequel ? Celui de Leo, peut-être, et de ses silences. Celui de Lauren, coincée dans une petite ville qui ne la prend pas au sérieux. Il y a aussi Benjamin, le professeur de lettres, Emmy, sa meilleure amie, Seth, son père … et les autres…
Il en va des livres comme des plats cuisinés. La recette ne suffit pas. Autrement dit le sujet à lui seul ne permettra pas la réussite. Le succès tient à un équilibre entre style, phrases, lexique, rythme, ponctuation. Ce roman combine tous ces éléments à la perfection.
Je devrais ajouter que le succès est dépendant aussi de la puissance des uppercuts qu’on se prend au fil de la lecture. Le plus fracassant étant p. 173, mais je n’en donnerai pas le contenu. Et soyez certain que chaque saison du roman révélera le sien, chacune exprimant le point de vue d'un des personnages principaux.
Cette construction, qui permet de revenir en arrière et d'éclairer les scènes sous un autre angle, est absolument passionnante et menée avec brio. Elle offre aussi l'intérêt de permettre au lecteur d'éprouver colère ou empathie pour chacun des protagonistes. Ainsi Benjamin est touchant quand il se résout à renoncer : impossible d'oublier, impossible d'être oublié, alors pourquoi lutter ? (p. 92)
L'ampleur romanesque est digne des grands romans noirs américains et il est astucieux d'avoir choisi pour cadre une petite ville du Middle-West (mais c’aurait pû être aussi dans les Appalaches). Outre-Atlantique la culpabilité n’est pas envisagée comme en france. On le voit dans un film comme Sing sing ou Juré n°2 pour lequel j’écrivais que la vérité n’était pas nécessairement la justice. Nous emmener aux USA permet aussi d'insuffler des problématiques économiques comme la crise des subprimes qui a conduit des milliers de familles américaines à une extrême pauvreté suite à leur surendettement. Egalement de traiter de manière "naturelle" les questions de discriminations sociales.
A Mercy les gens pensent tous se connaître et en savent si peu sur eux-mêmes. Pourtant rares sont ceux qui vont chercher à creuser : Dans une si petite ville on ne se complique pas à essayer de percevoir les ombres, les demi-teintes (p. 93).
Dieu sait pourtant combien chacun a sa part d'ombre. Les liens familiaux sont difficiles, marqués par des rapports mères-enfants complexes et une certaine brutalité sexuelle, avec des relations de domination. L'auteure teinte sa démonstration de féminisme : On prépare les filles à avoir honte de tout (p. 184). Le lecteur est ainsi amené à s'interroger sur la place des femmes dans la société et ce qui pousse les hommes à envisager leurs relations sous l'angle du rapport de forces.
Les rouages humains sont décortiqués, tout en nuances, et ce n'est pas négligeable, en s'attardant aussi sur la question de l'attachement, qu'il soit filial, maternel ou amoureux.
Les âmes féroces de Marie Vingtras, éditions de l'Olivier, en librairie depuis le 19 août 2024
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