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samedi 1 février 2025

Sing sing, film de Greg Kwedar

Le titre reprend le nom de la plus célèbre des prisons américaines, construite en 1825 à une cinquantaine de kilomètres au nord de New York. Sing Sing semble être un établissement modèle dans le film de Greg Kwedar. Il est vrai que c'est là que fut lancé par Katherine Vockins en 1996 le premier programme de réhabilitation à travers les arts (RTA) à destination des prisonniers, visant à donner à certains des cours d'art dramatique, dans le but de monter des pièces et de leur offrir une formation qui pourra leur servir une fois sortis de prison. Face à son succès il a été étendu à cinq autres prisons new-yorkaises.

A l'origine cette prison a pu être autosuffisante grâce aux profits de l'exploitation du marbre. Elle fut à ce titre considérée comme une prison modèle mais se distinguait aussi au XIX° siècle par la rigueur de ses règles de détention, imposant la loi du silence et le port d'uniformes rayés et autorisant les châtiments corporels. On y pratiqua la torture par l'eau à partir de 1848. Elle ne fut abolie qu'en 1969 à la suite de violentes émeutes.

Classé comme établissement de sécurité maximale cet endroit a été le lieu d'exécutions capitales jusqu'en 1963. Sing Sing avait donc bien besoin de gommer sa mauvaise image. Tout en étant le personnage principal du film le tournage n'a pas eu lieu dans cet établissement. Il a été réparti (en juillet 2022) entre trois lieux principaux du nord de l'État de New York : le centre correctionnel désaffecté de Downstate et le complexe sportif Hudson voisin, tous deux doublés pour différents extérieurs et intérieurs du vrai Sing Sing.

A l'inverse, Emmanuel Courcol a filmé Un triomphe au Centre pénitentiaire de Meaux-Chauconin, où il avait réalisé son documentaire Douze cordes en 2019 (centré sur un spectacle de huit détenus imaginé par Irène Muscari, coordinatrice culturelle du Service pénitentiaire d'insertion et de probation).

Je le signale parce que, malgré l'intérêt du scénario de Clint Bentley et Greg Kwedar et l'exceptionnelle interprétation des acteurs (dont beaucoup jouent d'ailleurs leur propre rôle) j'ai eu beaucoup de mal à me sentir dans un univers carcéral. Il est rare qu'on aperçoive un gardien. La vie quotidienne y est fortement occultée. Malgré la mort d'un prisonnier, tout est lisse. Même le réfectoire est calme. Ce n'est certes pas le propos principal mais j'ai davantage eu l'impression de regarder une fiction qu'un film inspiré de faits réels alors que j'avais été prise au jeu dans le film Un triomphe, lequel traite (avec une issue différente) du même sujet.

Il faut ajouter que la justice américaine fonctionne différemment de la nôtre. Les juges y sont élus, ce qui serait une aberration en France. La présomption d'innocence y est reconnue, mais l'application n'est pas la même qu'en Europe. Les enquêteurs enquêtent à charge, et font donc tout pour avoir un accusé sans chercher à savoir si la personne est innocente. L'enquête à décharge ne se fait que par l'avocat de l'accusé.

C'était d'ailleurs flagrant dans un film bouleversant comme The visitor, de Tom McCarthy en 2008. Un universitaire dépressif y retrouvait une certaine joie de vivre au contact de Tarek, un musicien doué, qui lui apprenait à jouer du djembe. Les deux hommes devenaient amis, les différences d'âge, de culture et de caractère s'estompaient. Malheureusement Tarek prête sa carte de métro à Walter et il est arrêté par la police qui ne croit pas son histoire, d'autant qu'il est immigré en situation irrégulière. Il est emprisonné et Walter ne parviendra pas à le faire libérer.

Que Divine G (Colman Domingo) ait pu être incarcéré pour un crime qu’il n’a pas commis est totalement plausible aux USA, mais il l'est moins pour un public français.

La réhabilitation par le théâtre n'est pas un sujet nouveau. Outre Un triomphe on pourrait citer Le quatrième mur, récemment adapté au cinéma d'après le roman de Sorj Chalandon, par David Oelhoffen en 2024. Il s'agit de mettre en scène Antigone, en confiant les rôles à des acteurs venant des différents camps politiques et religieux présents au Liban, afin de démontrer qu'un moment de paix y est possible au cœur de la guerre grâce à l'art dramatique.

On peut remonter beaucoup plus loin, en 2004 avec la construction d'un partenariat entre le Festival d'Avignon et le Centre pénitentiaire d'Avignon-Le Pontet. Dix ans plus tard et à la demande d'Olivier Py, ce partenariat s'intensifie grâce à la mise en place d'un atelier de création qu'il dirige avec Enzo Verdet. Tous deux proposent alors aux acteurs, avec l'aide de l'administration pénitentiaire, de se produire hors les murs.

Ce fut Hamlet en 2016 avec des détenus permissionnables qui se retrouveront à la Maison Jean Vilar sur une scène qui leur est dédiée. J'ai vu pour ma part Macbeth Philosophe en juillet 2019 à la Chartreuse de Villeneuve-les-Avignon, joué dans des conditions absolument professionnelles. Bien sûr tout n'est pas facile. Il faut gagner la confiance de tout le monde, avoir les autorisations à temps. Le groupe n’est jamais constant, certains prisonniers sortent en cours de projet, d’autres abandonnent, les conditions sont très dures. C’est un combat de chaque semaine et tout est émotionnellement surdimensionné en prison. Les moments de défaite comme les moments de victoire sont très forts.

Le jeu en vaut néanmoins la chandelle. Le film de Greg Kwedar en témoigne tout à fait.
Et pour revenir à la situation française, Tiago Rodrigues (qui a succédé à Olivier Py à al tête du festival) poursuit les ateliers de théâtre, à la demande des détenus.

L'intrigue américaine est pimentée par la sollicitation d'un des caïds du pénitencier, Divine Eye (Clarence Maclin) de passer une audition pour intégrer  le groupe. Cela permet d'élargir le sujet en instaurant du suspense par rapport à la résolution du dossier d'appel de l'un et de l'autre et d'introduire une interrogation sur les rapports humains. Peuvent-ils évoluer vers la solidarité et l'entraide ? Suffit-il que le prof de théâtre dise : devenez vos personnages, mais écoutez-vous et soutenez-vous (sous-entendu sur scène) pour que cela soit possible aussi dans la vie ?

Le film retrace bien aussi comment on devient acteur, en se montrant vulnérables. Les acteurs professionnels comme les "amateurs" qui sont des prisonniers forment une troupe cohérente. Tout le monde est admirablement dirigé. Il se dégage une très forte humanité qui participe au succès du film, unanimement salué.

Sing sing, film de Greg Kwedar
Scénaristes : Clint Bentley, Greg Kwedar
Sur les écrans français depuis le 29 janvier 2025

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