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jeudi 27 février 2025

Rencontre au musée de Cluny avec François Soutif pour Le chevalier à reculons

L’école des loisirs m’avait donné rendez-vous ce matin au musée de Cluny - musée national du Moyen Âge pour assister à une lecture dessinée de l’album Le chevalier à reculons ! En compagnie de son illustrateur François Soutif.

L’artiste s’est dit honoré et impressionné. Les enfants fascinés, ne perdant pas de vue le livre dont l’éditrice, Camille Guenot, tournait les pages tout en donnant vie à chaque personnage. Les adultes étaient davantage concentrés sur leur téléphone pour textoter et photographier.

Après un tracé fin au crayon le pinceau du dessinateur a fait apparaître l’armure, le casque et le chevalier prit totalement forme.
L’album joue avec le lecteur, l’invitant à tourner les pages ou à y rester. Le rapport texte-image dose suspense, peur et humour. L’histoire adopte bien sûr le lexique de la chevalerie tout en restant accessible.
François avait apporté plusieurs carnets de croquis préparatoires mettant en scène des chevaliers se promenant en forêt. Il nous confia que c’est le souvenir des tapisseries de la Dame à la licorne qu’il avait tant admirées quand il était parisien qui avait agi comme un déclic. Ce chef d’œuvre du genre de la tapisserie millefleurs serait sa principale source d’inspiration. Comme sur ces toiles, ses personnages seraient posés sans profondeur de champ sur un fonds saturé de végétaux et d’animaux.
Il ne s’est pas contenté de venir à notre rencontre avec ses carnets. Il y avait placé des marque pages pour guider notre regard. Il avait également apporté des planches de dessin et des essais de couleurs. Il nous expliqua la minutie (et le risque) de ce type d’opération puisqu’il faut deux à trois jours avant d’avoir terminé de poser les couleurs sur une planche avec la technique du glacis. On imagine le souci en cas de résultat insatisfaisant …
La question de savoir combien de temps il faut consacrer à chaque étape est un sujet qui taraude toujours les adultes.
Ce qui amuse l’illustrateur c’est la constatation que les Artisans d’autrefois (qu’il admire au plus haut point) ont pu faire preuve de fantaisie dans leurs représentations, ce qui témoigne d’une immense liberté que l’on ne soupçonne pas pour l’époque.

La formation du duo auteur/illustrateur suit divers chemins. Pour cette histoire, c’est l’éditrice qui a proposé le texte à François Soutif, persuadée qu’il serait sensible à sa dimension humoristique. Elle a reconnu avoir été surprise par ses premières maquettes qu’elle aurait pensé plus classiques. L’enrichissement qu’il a fait du texte de Sophie Lamoureux fut une très heureuse surprise pour sa créativité et l’abondance des références artistiques. On comprend en le lisant pourquoi le musée de Cluny s’est porté volontaire dans le cadre d’un partenariat.
Un an s’est écoulé entre les premiers croquis et le rendu des planches finales. Il travaille bien sûr sur un autre album pour lequel il s’est fixé la contrainte de n’utiliser que deux couleurs, l’indigo et le jaune orangé. Il nous a montré une première planche qui explose de tant de nuances qu’on mesure combien il est vrai que la contrainte rend créatif. Quelle chance puisque cet ouvrage comptera 80 pages, soit le double du Chevalier à reculons.

Nous avons été surpris d’apprendre que François n’a fait la connaissance avec l’autrice qu’hier. Il avait accepté de l’illustrer parce que son histoire l’avait fait rire.

Le grand exercice de l’illustration est de dire quelque chose de nouveau, de plus. Ici le foisonnement des plantes apporte une dimension supplémentaire. Et l'ajout d'animaux, en particulier un lapin tout autant. Je peux même dire que les tout-petits enfants, pas encore lecteurs, ont les yeux qui pétillent en scrutant les pages.

Dans un second temps, nous avons effectué une visite privée de quelques salles choisies par Aline Damoiseau en lien avec l’album.
Cette première peinture était dans la chapelle Saint-Rémi du choeur de Notre-Dame de Paris. On y remarque la coupe de cheveux dite au bol, identique à celle du chevalier. Nous sommes au XV°, donc à la fin du moyen âge qui a commencé au VI°. Les femmes quant à elles s’épilaient pour exhiber un front très haut. On est loin du début du Moyen Âge où la chevelure était signe de pouvoir allant jusqu’à volontairement ajouter quelques cheveux à la cire d’un sceau cachetant une pièce importante.

L’œuvre représente La famille Jouvenel des Ursins en prière (vers 1445-1449). Jean Jouvenel a été prévôt des marchands de Paris et président du Parlement de Poitiers. Troyes de ses fils sont archevêques de Laon et de Reims et chancelier de France. On le voit à côté sa femme en deuil car la peinture a été réalisée après sa mort. La répétition des armoiries et le luxe des parures (coiffure à cornes) proclament la réussite de cette famille nouvellement anoblie. En effet, l'objectif était de signifier par ce tableau l’importance de cette famille à la Cour royale.
Deuxième salle dédiée aux arts du combat. Elle renferme de très belles épées au décor gravé qui étaient portées pour les défilés et cérémonies. Celles qui étaient utilisées au combat étaient un peu moins lourdes (moins de deux kilos) et plus simples. Pour se faire une idée de l’harnachement d’un chevalier on peut estimer qu’il supportait le même poids qu’un pompier aujourd’hui. En haut à droite on remarquera un casque en fer dit Bassinet au mézail en bec de passereau, proche de celui dont François Soutif a doté son chevalier.
Il n’existe que deux ou trois exemplaires de ce traité de combats de par le monde. Ce manuel était destiné aux jeunes nobles pour leur apprendre à maîtriser les différentes techniques y compris contre les femmes. On y remarque l’articulation entre texte et illustration. 

On passe à côté d’une dînette composée d’objets minuscules qui témoignent que de tous temps les enfants jouent aux mêmes jeux. Par contre le musée démonte aussi des idées fausses que nous avons sur l’époque. La propreté n’était pas discutable. Pour preuve, trois aquamanilles pour se laver les mains avant les repas.
Nous admirons plusieurs tapisseries réalisées selon la technique millefleure avec leurs personnages placés de manière irréelle, plaqués sur un décor de végétaux et d’animaux. Le Triomphe et la Mort de l'Honneur (ci-dessous) provient des Pays-Bas.
La production était quasiment proto-industrielle car ce type de tapisserie était très en vogue au XV° parce qu’il correspondait tout à fait au mode de vie des princes en continuels déplacements. Facilement transportables, les toiles étaient vite déroulées et suspendues. Le nombre de tapisseries caractérisait le niveau de richesse de leur propriétaire.

Plusieurs motifs se répètent d’une toile à une autre par souci d’économie. Les années ont modifié la couleur du fond qui de vert a bleui.
La série de la Dame à la licorne a probablement a été tissée en Flandres. Elle fait exception avec ses fonds rouges. Elle doit le début de sa renommée à George Sand qui eut l’occasion de les voir au château de Boussac dans les appartements du sous-préfet et fit plusieurs allusions dans son œuvre à l’émerveillement que lui causa cette découverte.

Prosper Mérimée, inspecteur des Monuments Historiques, ayant dès 1842 attiré l’attention des pouvoirs publics sur les tapisseries, la série fut finalement achetée par l’État en 1883 et installée au musée de Cluny. Elles firent l'objet de plusieurs campagnes de restauration et d'entretien, la dernière en 2012.

La première photo illustre le goût. La femme saisit une friandise dans la coupe portée par la demoiselle pour l’offrir au perroquet posé sur sa main gantée. Devant, le singe mime le geste de la dame en portant un fruit à sa bouche. Le lion brandit l’étendard, la licorne porte la bannière.
On retrouve les petits lapins gambadant d'une toile à l'autre. La dame est habillée différemment à chaque fois, toujours entourée d’une licorne et d’un lion, souvent accompagnée d’une dame de compagnie. Malgré l’absence de traces écrites, on pense que chaque oeuvre représente un des cinq sens, le sixième, plus intellectuel, celui du cœur, serait justifié par la bannière À mon seul désir. On remarquera aussi que nous sommes dans un univers exclusivement féminin.
La matinée s'est achevée sur une séance de dédicaces.

Le chevalier à reculons de François Soutif, Ecole des loisirs, Kaléidoscope, en librairie depuis décembre 2024
Musée de Cluny, musée du Moyen Âge, 28 rue Du Sommerard, 75005 Paris. Métro Cluny-La Sorbonne (ligne 10), Saint-Michel (RER B), Odéon (ligne 4).
De 9 h 30 à 18 h 30 sauf le lundi, le 1er janvier, le 1er mai et le 25 décembre.

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