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vendredi 28 février 2025

Les enjeux du théâtre pour demain

Les Molières avaient lancé pour le lundi 24 février une invitation à une après-midi de Rencontres sur le thème : Les enjeux du théâtre pour demain au Théâtre du Rond-Point.

L’échange fut animé par Fabienne Pascaud, avec la participation de (de droite à gauche sur la photo) : 
  • Jean Bellorini - Directeur du Théâtre national populaire à Villeurbanne
  • Catherine Blondeau - Directrice du Grand T, théâtre de Loire-Atlantique à Nantes
  • Thomas Jolly - Directeur artistique des cérémonies d'ouverture et de clôture des Jeux olympiques et paralympiques
  • Sophie Zeller - Cheffe du service du spectacle vivant, adjointe du directeur général de la création artistique au Ministère de la Culture
  • Laurence de Magalhaes - Directrice du Théâtre du Rond-Point
  • Jean Robert-Charrier - Directeur des Bouffes parisiens et de la Porte-Saint-Martin (arrivé un peu plus tard en remplacement de Frédéric Biessy qui avait été annoncé, et qui donc ne figure pas sur la photo). 
Le sujet était fortement impliquant et les débats ont été riches, même si, dans la salle et par la suite, plusieurs personnes ont regretté une focalisation sur le théâtre public alors que des personnalités comptant dans le théâtre privé étaient dans les gradins et auraient eu leur mot à dire. Cependant, l'écart de fonctionnement entre les deux secteurs (malgré quelques porosités qu'il aurait été intéressant de souligner davantage) est tel qu'on comprend que les organisateurs aient cherché à éviter un affrontement.

Quoiqu'il en soit, je me répète, les échanges étaient de qualité et il faut saluer l'intuitive des Molières d'organiser ce type d'évènement. D'autant, qu'ensuite, un temps d'échanges "off" était prévu.

L'après-midi commença par une sorte de préambule, imposé en quelque sorte par l'actualité si cruciale touchant l'Ukraine. Il convenait de rappeler que, malgré les coupes budgétaires annoncées tout récemment, le théâtre français reste le plus protégé d'Europe. Et pourtant pendant la pandémie il n'avait pas été jugé comme "essentiel" à l'inverse du monde de l'édition.

Fabienne Pascaud a souligné que le premier à sabrer les crédits culturels fut en mai 2023 Laurent Wauquiez, alors président de la région Auvergne-Rhône-Alpes (il ne l'est pluspour cause de non-cumul des mandats). En deux ans, il aura supprimé quatre millions d'euros à 140 structures culturelles, ce qui ne provoqua pas tant d'écho que ça. En décembre 2024, Christelle Morançais, présidente de la région des Pays-de-la-Loire annonçait une réduction de 62 % dans le budget de la culture. Et voilà qu'en février 2025  le président du Conseil départemental, Kléber Mesquida (pourtant PS), a annoncé une baisse de 48 % des financements dédiés à la culture.

La question se pose par voie de conséquence : est-ce qu'il faut craindre que les baisses de l'Etat poussent les collectivités territoriales à arrêter les financements croisés, qui représentent tout de même les deux tiers des budgets ?

La valse des ministres (13 à la culture depuis l'an 2000) ne favorise pas la réflexion sur le long terme si on compare avec le temps qu'il faut pour, par exemple,  produire un opéra, en général plus qu'un mandat ministériel.

Oublierait-on qu'on a besoin du théâtre pour éclairer nos vies et leur donner du sens ?

Jean Bellorini a choisi la dérision pour commenter les faits en reprenant la parole de Jean Vilar : Tant que le théâtre est en crise, il se porte toujours bien.

Il n'empêche qu'il a décidé de ne pas renouveler son mandat au TNP et que l'an prochain il sacrifia sa propre création afin de pouvoir accueillir une programmation digne d'un théâtre national.

Profitant du classique "tour de table", il a rappelé qu'il a commencé avec Ariane Mnouchkine qui lui a permis très vite de monter plusieurs spectacles au Théâtre du soleil avant de devenir artiste invité du Théâtre national de Toulouse (de 2011 à 2013), puis d'être accueilli en résidence avec sa compagnie au Théâtre Gérard-Philipe de Saint-Denis où il est nommé directeur en novembre 2013. Il succède ensuite à Christian Schiaretti à la tête du TNP Villeurbanne à partir de janvier 2020. Il se reconnait dans une vision publique du théâtre au service de l'émancipation.

Catherine Blondeau a rappelé les grandes lignes d'un parcours hybride. Avant de prendre la direction du Grand T en 2011, cette agrégée de lettres avait  occupé la fonction de maître de conférences en littérature et arts du spectacle à l’Université de Rouen, puis directrice de l’Institut Français d’Afrique du Sud à Johannesburg, attachée culturelle à Varsovie, et conseillère artistique du festival Automne en Normandie. Depuis quelques jours elle a la joie (et l'inquiétude) de prendre la direction d'un nouvel EPCC (Établissement Public de Coopération Culturelle), qui porte le beau nom de Mixt, terrain d’arts en Loire-Atlantique, résultant de la fusion entre Le Grand T et Musique et Danse en Loire-Atlantique.

Thomas Jolly se présente comme acteur, metteur en scène, actuellement sans plus aucune responsabilité en tant que directeur. Il s'affirme comme enfant du théâtre public. Il fonde sa compagnie La Piccola Familia à Rouen en 2006 à sa sortie de l'École nationale supérieure du théâtre national de Bretagne à Rennes (dirigée par Stanislas Nordey). Il se réjouit de devenir directeur du Centre dramatique national Le Quai d'Angers à partir du 1er janvier 2020 mais il doit vite fermer pour cause de pandémie. Starmania lui permet de faire quelques pas dans la production privée. En septembre 2022, il est désigné directeur artistique des cérémonies d'ouverture et de clôture des Jeux olympiques d'été et de celles des Jeux paralympiques d'été, de 2024, à Paris. Il demeure confiant car le théâtre, comme l'eau, trouve toujours un chemin

Sophie Zeller est Cheffe du service du spectacle vivant, adjointe du directeur général de la création artistique au Ministère de la Culture où elle travaille depuis 7 ans. Auparavant elle a eu des responsabilités culturelles à la ville de Rennes puis de Paris. Elle dit avoir découvert relativement tardivement le théâtre. Son credo est de faire au mieux, en se battant s'il le faut.

Laurence de Magalhaes a pris (avec Stéphane Ricordel) la direction du Rond-Point, le 1er janvier 2023, succédant à Jean-Michel Ribes (présent dans la salle). Elle a commencé dans une banlieue communiste où le théâtre était aussi essentiel que le sport. Elle a monté les Arts Sauts dans les années 90, a repris le Monfort en 2009 avec la mission de "remonter" l'établissement à propos duquel Bernard Faivre d'Arcier, ancien patron du Festival d'Avignon, avait pointé dans un rapport remis en 2005 combien les théâtres municipaux parisiens pouvaient souffrir d'une absence d'identité artistique, et de ce fait exercer une influence marginale dans le paysage culturel (son rapport louait cependant l'audace et la qualité du travail de Paris-Villette, et du Théâtre 13). Au bout de 13 ans de direction le Monfort n'avait plus rien à voir avec l'ancienne version. Son action et celle de son acolyte a également été puissante au sein de la direction du festival Paris Quartier d’Été pendant 8 ans (Marie Lenoir et Thomas Quillardet ont pris la direction de la manifestation devenue Festival Paris l'été à compter de septembre 2024). Le Rond-point marquera le commencement d'une nouvelle aventure.

Jean Robert-Charrier est entré au Théâtre de la Porte Saint-Martin en 2003 comme ouvreur pour financer ses cours de comédien. Il en est devenu directeur en 2008 à force de travail et cumula pendant 5 ans avec la direction de la Madeleine. Il est directeur artistique du Festival d'Anjou depuis 2021 il est aussi celui des Bouffes parisiens, où il succède en juin 2024 à Richard Caillat. Il brouille les lignes du spectacle vivant en conviant dans ses murs des metteurs en scène venus du théâtre public (Alain Françon et Joël Pommerat, notamment) peut-être pour contrer la disparition de la joie et du désir si vifs dans les années 90-2000 dans un système mis à mal … comme l'est le monde souligne-t-il.

Plusieurs éléments ont été pointé au cours des échanges :
- Le budget consacré aux créations (dit programme 131) a augmenté de 2,6 millions d'euros (cf Sophie Zeller).
- La chute du marché immobilier a des conséquences sur les finances départementales. La perte de ressources qui en découle amène les institutions à se retrancher sur leurs compétences "essentielles" (cf Jean-Robert Charrier).
- Le prix des billets va augmenter (cf Catherine Blondeau) en moyenne de 3 € par place avec aussi la création d'un tarif spécial à 33 € pour des spectacles d'envergure. 
- Redéploiement à travers des actions complémentaires comme par exemple un restaurant de quartier (censé être lucratif), un organisme de formation, diverses activités commerciales (cf Catherine Blondeau).
- Il conviendrait de renoncer à des dépenses inconsidérées et très onéreuses d'audit, rendues possibles consécutivement aux ordonnances Macron refondant la représentation du personnel, effectives depuis le 1er janvier 2018 et conduisant à une dérive très américaine d'études de marché sur tout et n'importe aux résultats peu productifs (cf Catherine Blondeau).
- La question se pose-t-elle qu'il y aurait "trop" de spectacles dans le théâtre subventionné ?  Il y a environ 300 spectacles par semaine dans l'ensemble des salles parisiennes, public et privé confondus.
- Trouverait-on des pistes de réponse en lisant Que peut Littérature quand elle ne peut ? de Patrick Chamoiseau, paru aux éditions du Seuil le 7 février dernier, en déclinant le propos de l'auteur au monde du théâtre …

Il n'y eu pas de conclusion. Peut-être parce que c'était impossible, du moins ce jour-là. Il était en tout cas important d'interroger ce thème qui devra trouver prochainement des réponses. On imagine que les compagnies ayant une licence d'entrepreneurs de spectacle et qui sont au nombre de 6000 en France attendent des mesures concrètes.

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