Il faisait doux ce soir. Des oiseaux paillaient haut dans le ciel, chahutant comme des mouettes en bord en mer. Si je n’avais pas la silhouette lumineuse de la Tour Eiffel en face de moi j’aurais oublié que je suis à Paris, dans le 15e arrondissement entre Volontaires, Cambronne, Sèvres-Lecourbe.
Les quelque tables qui sont posées sur le trottoir seront bientôt prises d’assaut. Tout le monde aura envie de dîner dehors à la nuit tombée dans le calme de cette petite rue où résonnent les cris des enfants et les oiseaux.
La fraîcheur se fait sentir. Il est prudent de rentrer profiter de la chaleur de la salle.
C’est la première fois que je viens au Troquet. J’ignorais qu’avant de devenir le restaurant de Marc Mouton c’était le domaine de Christian Etchebest, et de l’oncle de Christian à côté avant, et je comprends soudain l’origine du nom des restaurants La Cantine du Troquet. Je remarque d’ailleurs l’alignement des Guides Michelin à la couverture Bordeaux comme ceux que j’avais vus à Dupleix.
Marc Mouton a travaillé avec Christian et quand il a repris l’endroit il en a conservé les tables qui d’emblée instaurent une atmosphère qui fait penser au Pays Basque.
Elles sont sculptées de deux écussons et une fente permet d’y glisser le chemin de table traditionnel qu’on emploie dans cette région.
Aujourd’hui il n’est plus utilisé mais c’est bien dans du linge basque, rayé rouge sur blanc, qu’ont été taillées les serviettes qui sont posées sur chaque table.
Le décor est simple, dans un esprit bistrot, avec de multiples sculptures de taureau.
Le menu est écrit sur une grande ardoise. On peut lire parmi les desserts un soufflé qui est la spécialité du chef et qui est incontournable du menu, à longueur d’année. Mon choix ne pourra cependant pas se porter dessus ce soir. Je me suis « trop » régalée avec ceux de Excoffier pour tenter d’en commander ailleurs que chez lui.
Il est essentiel pour Marc Mouton qu’on vienne chez lui pour vivre un moment convivial et sans chichi. Ce sera effectivement sous ces auspices là que se déroulera le dîner.
En entrée nous nous sommes régalés de Rillettes de porc, parce qu’il était impensable pour moi de ne pas goûter la spécialité d’un fils de charcutier, et d’un Céleri rémoulade, caché sous un Croustillant de pied de cochon, parfaitement assaisonné d’une sauce savamment relevée. L’accord est inattendu et parfait. Les rillettes sont peu salées, inhabituellement fondantes, quasiment onctueuses. Et le pain grillé (de Jean-Luc Poujauran) est un délice, mais ça je le savais déjà.
Sur les tables voisines arrivaient des Chanterelles à la crème et leur œuf au plat, et un Saumon mariné, vinaigrette à l’aneth tandis qu’une Soupe de lentilles, croûtons, oignons et chips de poitrine patientait sur le bar.
D’autres convives se régalaient d’une belle tranche de foie gras accompagnée de pain toasté ou d’Asperges vertes en vinaigrette, les premières de la saison.
Ce fut le vin blanc du Languedoc de La tournée de Ferraton Père et Fils 2023, un assemblage de Vermentino et de Viognier qui donne un vin fruité, très agréable. C’est un vin qui est fidèle à la tradition bistrotière. Dont l’étiquette ne manque pas d’humour en faisant référence au véhicule de livraison d’autrefois. Les plats commencent à arriver autour de nous : un Ris de veau grillé sauce Morilles, des Saints Jacques poêlées, jus fumé, une Joue de bœuf braisée et sa poêlée de légumes …
Mais voici le Risotto aux calamars et chorizo qui nous est destiné.
C’est un délice qui a convaincu mon compagnon alors que je n’avais jamais pu lui en faire goûter jusqu’à maintenant. Ça ouvre des perspectives ! Le chorizo y développe sa puissance et ses saveurs sans s’imposer.
Les plats s’accordent avec un verre de Crozes-Hermitage AOP, domaine des Entrefaux 2022 et un autre de Saint Chinian AOP Petit Paradis 2022 des vignobles Foncalieu. Je comprends pourquoi il était apprécié de Louis XIV.
L’achoa (on prononce achoppa) est un plat basque En basque, axoa signifie "hachée". L'axoa la plus réputée et la plus courante est celle de veau, et c’est celle-là que le chef a préparée mais elle est tout aussi délicieuse avec du bœuf. Il est servi comme là-bas avec quelques pommes de terre vapeur. On accepta mon caprice de l’associer avec un légume qui me faisait davantage envie en m’apportant un gratin de chou-fleur.
Arrive le moment du dessert. Comme on pouvait le pressentir de multiples soufflés sont préparés en cuisine. Nous optons pour une assiette de fromages des Pyrénées (et il est très rare de pouvoir se régaler d’un si bon fromage, il faut le souligner) qui est servi avec une poignée de salade de roquette, et un Feuille à feuille chocolat, mangue, ananas, artistiquement architecturé.
L’assiette est visuellement très élégante mais sans excès de sophistication. Les nougatines sont fines et croquantes, le crémeux chocolat fondant à souhait. Les fruits sont taillés en brunoise pour apporter une acidité qui tranche avec la sucrosité du chocolat. C’est une idée dont je me souviendrai.
La promesse de convivialité a été largement tenue. L’heure a tourné au cadran de la grande pendule qui surplombe le bar. Nous avons eu du mal à quitter le restaurant face aux sollicitations de goûter un dernier verre, un Madiran puissant ouvert par le frère de Marc. Le Troquet est un lieu où on se sent bien. Au bar, un habitué dînait "comme à la maison".
Ce qui est particulier et très appréciable, c’est cette sensation d’avoir fait un (petit) pas de côté, hors du temps tout en demeurant dans le traditionnel. Avec la cuisine personnelle de Marc qui reste respectueuse de la tradition. Je me souviendrai de sa mise en valeur du pied de cochon qui rebute quand il n’est que cartilage. De la fraîcheur de l’association de la mangue avec l’ananas qui taquinent si pertinemment le chocolat qui est un des ingrédients phare de la cuisine basque, on l’oublie trop souvent, et qui a été introduit en France en 1615, lors du mariage de Louis XIII et Anne d'Autriche, à Bayonne. C’est dire son ancrage. Quel chemin depuis son pays d’origine, le Mexique !
La maison a changé de patron en conservant son décor de bistrot parisien où se maintiennent les souvenirs du Sud-Ouest. Les marqueurs basques sont bien présents avec les serviettes, les photos de taureau, les cordes de piment d’Espelette qui pendent dans la salle (et qui ornent la carte de visite du lieu), les ingrédients de plusieurs recettes. Mais ils se font discrets. Nous ne sommes pas dans un restaurant de spécialités régionales où chaque assiette serait saupoudrée de poudre rouge sans discernement et c’est très agréable.
Les hommages se laissent deviner. La couleur sang de bœuf de la peinture est en touches parcimonieuses. Les jambons fumés ne pendent plus à la barre de crochets de boucher. Ils ont été remplacés par une série de casserole de cuivre. Le chistera en osier, inventé pour remplacer le trop lourd gant de cuir d’origine pour renvoyer les pelotes, est posé sur un buffet de la seconde salle.
Les carreaux de ciments sont d’époque et s’accordent avec le bois. Le zing a été réalisé par la maison Nectoux. Au mur un petit cadre rappelle les vertus de l’amitié.
Le paillasson a gardé la marque de la maison.
Marc n’est pas obnubilé par le sud-ouest. Il aime autant le bœuf bourguignon que la blanquette ou la choucroute. Et pourrait faire quelques kilomètres pour un pigeon crapaudine rôti au barbecue ou une cuisse confite de canard col vert. Il apprécie la truffe mais se satisfera d’un "bon" plat de pâtes aux morilles. Il n’est pas un bec sucré mais ne résistera pas longtemps devant le gâteau (peu cuit) au chocolat de sa grand-mère.
Marc Mouton est né en région parisienne de parents charcutiers – traiteurs installés à Rueil-Malmaison (92). Ses grands-parents eux originaires de Bretagne, étaient aussi charcutiers. Il s’est orienté naturellement vers son métier pour lequel il s’est préparé en suivant l’école Bocuse à Lyon. Il a ensuite fait ses armes auprès de Pascal Barbot à l’Astrance et dans le restaurant gastronomique Gaya de Pierre Gagnaire avant de travailler au Troquet avec Christian Etchebest. En 2011 Marc a 25 ans. Il prend la suite de Christian en poursuivant dans la lignée d’un bistrot authentique où le produit est mis en avant et où les vins petits producteurs sont privilégiés.
La viande et le foie gras viennent du Comptoir corrézien, les asperges de la famille Boyer à Baucaire dans le Gard, le pain de Jean-Luc Poujauran. Les recettes sont simples mais joliment présentées et elles actualisent agréablement les standards du sud-ouest. L'ardoise change en fonction des saisons et au gré des arrivages. On y trouvera cependant toujours les Rillettes, la côte de boeuf pour deux personnes et le Soufflé.
Le Troquet - 21 rue François Bonvin - 75015 Paris - 01 45 66 89 00
Fermé les dimanche et lundi
Du mardi au samedi de premiers services à 11 heures et 19 h 30
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