dimanche 15 décembre 2024

Célèbre de Maud Ventura

Trois ans après le succès de Mon mari, son premier roman, Maud Ventura, fait le portrait d'une chanteuse qui s'est autoprogrammée pour acquérir la célébrité, dans un roman intitulé Célèbre, qu'elle dédie … à son mari.
La célébrité est ma vie. Est-ce que j'étais préparée à un tel succès ? Bien sûr que oui.
Cléo grandit dans une famille dont elle déplore la banalité. Dès l'enfance, elle n'a qu'une obsession : devenir célèbre. Au fil des années, Cléo saute tous les obstacles qui s'imposent à elle, arrachant chaque victoire à pleines dents, s'entaillant la cuisse à chaque échec.
À la surprise de tous, sauf d'elle-même, Cléo devient une star mondiale, accumulant les millions de dollars, les villas à Los Angeles et les récompenses.
Ce second roman aborde un thème qui avait déjà été traité par Olivier Bourdeaut dans Florida. J’attendais donc que le sujet soit abordé sous un autre angle. 

On découvre Cléo Louvent épuisée et retirée du monde dans une île déserte (un séjour qui coûte malgré tout une fortune) quelque part dans l’hémisphère sud. Elle fait allusion à des cicatrices qui zèbrent son corps et du coup attire notre sympathie quand elle confie qu’il y a un prix à payer pour la célébrité et il se paie chaque jour (p. 23). On se doute qu’il ne s’agit pas d’argent. Mais on ne se doute pas à quel point elle va payer cher, non pas vraiment sa célébrité, mais le comportement qui lui est associé.

Pourrez-vous néanmoins la croire puisqu’elle prévient qu’elle a romancé sa vie (…), fabriqué de faux souvenirs (…) il suffit de raconter un même évènement plusieurs fois. Au bout de la troisième ou de la quatrième occurrence, le passé commence à se recomposer (p. 31) et on comprend qu’elle a réécrit sa vie.

On se sent un peu mené en bateau car un peu plus loin elle nuance : A strictement parler, ma célébrité n’est pas un mensonge, ce n’est pas encore vrai. J’anticipe (p. 92).

On la découvre très vite plutôt dédaigneuse à l’égard de son entourage, voleuse, envieuse, déjà aigrie mais on remarque aussi qu’elle n’a pas davantage de compassion pour elle-même puisqu’elle s’écrase une cigarette sur le bras pour se punir de n’avoir pas réussi ce qu’elle aspirait à faire.

Les “punitions » ne cesseront pas. Elle se taillade bientôt la cuisse au rasoir en représailles de n’être pas à la hauteur d’une certaine Jane Cabello dont elle a étudié la réussite. Je ne connais même pas cette starlette et je sens que je vais avoir du mal à poursuivre la lecture jusqu’à la 541ème page. On sait très bien que,  quoique écrit à la première personne, Maud Ventura n’est pas le personnage en question. Puisque tout a été inventé alors pourquoi y croire ?

Comment plaindre Cléo d’éprouver l’exact contraire du syndrome de l’imposteur ? Je pense que j’ai un talent fou et je me demande quand le monde entier finira par s’en rendre compte (p. 79). Je veux bien apprécier si c’est du second degré mais rien n’est moins sûr. Le doute s’évanouit quand je lis (p. 119) : je ne suis ni riche ni célèbre à 25 ans, comment pourrais-je me réjouir ? Et je pense à cette homme politique qui associait la réussite au port d’une Rolex au poignet. 

Et je ne suis pas certaine qu’elle ait raison d’affirmer que le seul moteur des grandes réussites est la frustration (p. 108). Beaucoup d’assertions résonnent joliment mais sonnent faux. Elle prétend pleurer en silence sous sa douche (p. 112) quand au même moment j’entends chanter Gaëtan Roussel (album Eclectique - piste 1) : On ne pleure pas dans l’eau.

Je ne suis pas psy mais je pense que cette femme a un très grave trouble de la personnalité. Je lis un peu vite le mot scarification et je comprends starification. Maud Ventura aurait-elle cherché à nous offrir un livre de développement personnel dévoilant la meilleure méthode pour devenir célèbre tout en nous prévenant qu’il vaudrait mieux ne pas mettre le petit doigt dans cet engrenage ? Je déteste les injonctions paradoxales. Me voilà servie.

Le séjour sur l’île déserte est un cauchemar mais bien entendu, notre vaillante héroïne se “promet d’aller jusqu’au bout des trois semaines convenues, pas un jour de moins“ (p. 150). Et … je fais comme elle, je poursuis la lecture …

On ne s’isole pas volontairement sur une île déserte si on n’a pas de sérieux comptes à régler avec soi-même (p. 154). Nous y voilà, nous allons savoir enfin quelle est sa motivation profonde et connaître la nature de la vengeance sous-jacente : La célébrité n’est pas une victoire. C’est une vengeance (p. 38).

En fait, non. On aura juste confirmation de son égocentrisme, de son côté calculateur par intérêt, de sa gentillesse pour mieux manipuler l’entourage et faire avancer sa quête absolue de perfection (sauf d’elle-même car elle est le contraire d’une personne parfaite). C’est toujours moi-moi-moi.

On apprend quand-même qu’aux États-Unis les interviews sont scriptées (p. 225) évitant soigneusement d’aborder les 207 sujets interdits au cours d’un enchaînement non-stop de 14 heures d’entrevues. Pour le reste, on sait bien qu’on ne prête qu’aux riches et que les sollicitations abondent par effet boule de neige quand on gagne en notoriété.

On pourrait considérer qu’être célèbre c’est être dispensé d’accomplir des tâches triviales (comme vider le lave-vaisselle et vous vous amuserez du recensement qu’elle liste p. 428) à tel point que le réel parait parfois si loin (p. 314). C’est l’instant où je pourrais m’attendrir un peu car il est vrai qu’on peut vite décrocher de la réalité quand on est soumis à un mode de vie qu’on ne maitrise pas et qui nous est dicté par des conditions extérieures échappant à notre volonté. J’ai expérimenté cette situation quand j’ai travaillé en cabinet ministériel. Tout y est si surréaliste qu’on perd (hélas) le sens du concret en l’espace d’une semaine.

Mais je ne la suis pas quand elle cherche à nous apitoyer en pleurnichant que le succès est plus difficile que l’échec (p. 355) ni lorsque je m’aperçois qu’elle méprise cette classe sociale à laquelle elle n’a eu de cesse d’appartenir. Être pauvre n’est pas une chance, non !

La comparaison avec Miranda, l’exigeante et harcelante patronne du Diable s’habille en Prada, satisfait son orgueil (p. 477). Mais elle est pire que ce personnage qui s’adoucit à la fin. Elle, jamais. Elle reconnaît à son amie Aria (on se demande d’ailleurs au passage comment ses amies font pour la supporter) n’avoir plus beaucoup de tendresse à donner (c’est un euphémisme) en particulier à son conjoint.

Et ce n’est pas le détour qu’elle a fait pour lui acheter des gaufres chez Meert, (dont l’auteure précise que la boutique se trouve rue Elzévir, ce qui est bien entendu exact, et qui me fait penser qu’elle aussi se livre à du placement de produit, quand cela vaut le coup, … sans doute pas avec la marque de luxe française qui -elle- n’est pas citée).

Je m’en veux aussitôt de raisonner ainsi car j’ai moi-même donné les trois adresses du fabricant dans un de mes articles -ici- sans avoir négocié aucune contrepartie). 

Que penser aussi de la façon de Cléo de gagner des instants de tranquillité en se fracturant la cheville ? Est-ce pour nous faire rire (ou pleurer) que l’auteure raconte ses multiples tentatives ? La maladie mentale est de plus en plus évidente. Elle est en plein délire paranoïaque (p. 489) et j’ai peur de finir par effet de contamination par voir mes facultés de jugement altérées.

La lecture des remerciements n’estompe pas du tout mes doutes. Je finis par tout prendre au troisième degré tant le dernier chapitre était insoutenable. Mais voilà que Maud Ventura écrit quelques mots à la toute fin pour rendre hommage à Sophie de Sivry, la fondatrice de sa maison d’édition, L’Iconoclaste, et connaissant cette personne hors normes je ne tergiverse plus. Je sais que sa sincérité est absolue … du moins dans ces dernières lignes.

Célèbre de Maud Ventura, chez L'Iconoclaste, en librairie depuis le 22 août 2024

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