vendredi 26 avril 2024

Back to Black de Sam Taylor-Johnson avec Marisa Abela

Je n’allais pas laisser passer un biopic sur la vie de l’immense Amy Winehouse. La réalisation par Sam Taylor-Johnson ("Nowhere Boy", "Cinquante nuances de Grey") était un atout supplémentaire.

Et surtout l’incarnation par Marisa Abela, qui après son rôle dans "Barbieinterprète à merveille elle-même les tubes que j’aime tant, "Rehab", "Valerie", "You Know I'm No Good", "Tears Dry on Their Own", "Love Is a Losing Game" et bien entendu "Back to Black", son plus grand succès, écrit et composé en 2006, paroles et musique en 2-3 heures, qu’elle dédie à Blake, alors en prisonqui donne son titre au film. Il faudra tout de même attendre une heure de projection pour entendre ce fameux morceau.

On dit que son père, Mitch, qui est aussi le producteur du film, a édulcoré sa responsabilité. On regrette que la création ne soit pas au coeur du récit. On dit que tout n’est pas dit et que le documentaire d’Asif Kapadia, sorti en 2015, était bien plus complet.

A quoi aurait-il servi de faire la même chose ? Marisa relève brillamment le double défi et j’ai beaucoup aimé son jeu. Elle réussit à rendre attachante cette femme dont elle a le même âge, 27 ans, et la même nationalité, britannique, qui n’a pas réussi à se sortir de la peau un amour toxique. Il y a tant de femmes qui souffrent de cette faiblesse que le film en deviendrait presque universel, excepté le dénouement, si tragique, et sur lequel le réalisateur fait une ellipse finalement judicieuse car là n’est pas le sujet.

En tout cas je conseille Back to black ne serait-ce que pour Marisa et la justesse des reprises qui a fait dire à sa propre mère en sortant de projection qu’elle venait de revivre deux heures avec sa fille.

J'ai trouvé le film plutôt pudique car, même si on constate les ravages de l'alcoolisme le scénario ne s'appesantit pas sur les addictions ni sur les coups de colère de la chanteuse. Elle avait un talent indéniable. Son instinct lui aura brillamment réussi sur le plan artistique puisqu’elle n’avait que 27 ans et avait été consacrée meilleure artiste féminine 2007 aux Brit Awards. Elle avait reçu le Prix Ivor Novello pour la meilleure chanson et la musique des textes en 2008. Avoir reçu 5 Grammy Awards la même année pour son second album est un record absolu. Elle aurait pu réaliser tant d’autres grands succès si elle n’était pas décédée prématurément.

Au début du film Amy est encore simple, chantant Fly me to the Moon, le standard de jazz américain, écrit et composé par Bart Howard en 1954 dont Frank Sinatra fut le grand interprète. Elle s’accompagne à la guitare et commence tout juste à écrire des paroles qui vont toujours être jetées sur le papier en réaction à de fortes émotions. Il suffit d’être attentif aux textes pour savoir tout de sa vie. C’est une excellente idée de les avoir sous-titrées (c’est si rare qu’il fait le souligner) car ils sont essentiels, à égalité avec les dialogues.

Les paroles de My destructive side sont pourtant on ne peut plus alarmantes. On ne comprend pas comment sa famille ait pu "laisser faire". Mais c’est malgré tout encore une Amy qui semble pleine de vie, et de promesses, qui déambule dans les rues et le métro de Londres, en sautillant et en slamant, avec des copines, commençant à affirmer son style. On reconnaît la capitale, et en particulier le quartier de Camden, dans le nord de la ville, où elle vécu en famille puis où elle acheta une immense maison, où elle fut trouvée morte en juillet 2011. 

Quelques plans montrent ce quartier où vécu Charles Dickens, réputé pour ses nombreux marchés aux puces et comme étant un haut-lieu des cultures dites "alternatives", et où une statue de la chanteuse a pris place, mais qui ne nous est pas montrée, pour des raisons évidentes puisqu'elle a été installée en septembre 2014.

Il est surprenant de découvrir qu’Amy n’a pas toujours porté une choucroute sur la tête. On la voit cheveux lachés, toute jeune femme, joyeuse, au sein d’une famille heureuse où chanter et faire de la musique est totalement naturel. Pourtant, on sent très vite combien elle souffre de la séparation entre sa mère et son père (chez qui elle vit le plus souvent et qui exerce sur elle une influence déterminante). On perçoit aussi son attachement à cette grand-mère, autrefois chanteuse à succès, et qui sortait avec le saxophoniste Ronnie Scott, tandis que son oncle était trompettiste.

C’est Nany qui l’encouragera dans la construction de son look, qu’on qualifierait aujourd’hui de "vintage", qui lui montrera comment se coiffer de cette façon si particulière, tout à fait années 60, (mais d'autres sources attribuent au célèbre styliste londonien Alex Foden d'avoir fait de son chignon choucroute un élément définitif de son look) et qui lui lèguera le collier qu’elle porte si souvent. Il est probable que son décès ait pesé dans le déséquilibre qui va ébranler Amy.

Le film nous invite à croire que la rencontre dans un pub avec Blake fera tout basculer. Il est vrai qu'ils se sont rencontrés là, qu'Amy adorait jouer au billard, et que son cocktail préféré était le Ricksaty (trois doses de vodka, une de Southern Confort, une de liqueur de banane et une de Bailey’s). Son côté fleur bleue, romantique, et un penchant pour l’alcool (elle deviendra dépendante peu après) la fragilisent. Quoiqu’elle oppose à son amoureux rock’ roll sa préférence pour le jazz, elle va se jeter à corps perdu dans cette relation.

Le mariage, presque secret, aura lieu à Miami. Les jeunes mariés ont-ils réellement dit que Gordon Ramsey pouvait aller se rhabiller en savourant leur brunch ? La référence à ce chef anglais et qui fut célèbre pour ses créations culinaires osées est assez amusante.

Le film montre quelques moments heureux, en particulier dans la séquence au zoo, avant de nous faire connaître une dégringolade qui ne trouve pas de répit, sans doute exacerbée par le harcèlement des paparazzis et on se souviendra de leur rôle joué une dizaine d’années auparavant dans la vie d’une autre anglaise, Lady Di.

Sur le plan musical son instinct est infaillible. Sur le plan personnel elle se laisse guider par son coeur et le choix semble mauvais. Il y a chez elle un côté Liz Taylor qui lui sera fatal. Elle est donc loin d’être unique à avoir souffert d’une relation toxique. Souvenons-nous aussi de Frida Kahlo qui après un divorce tumultueux reprendra la vie commune avec Diego Ribera. Ou, plus près de nous, d’une actrice comme Béatrice Dalle, à laquelle on pense parfois fugitivement au cours de la projection.

Qui aurait pu sans aide particulière résister à la pression médiatique, à la triple dépendance (amoureuse, alcoolique et toxicologique) ? Love is a Loosing Game. Elle a beau le comprendre, elle l’admet et plonge.

Il y aura bien un sursaut la poussant à demander à son père de l’emmener en cure de désintoxication. Mais il suffira d’une réflexion d’un photographe (est-elle exacte, mais c’est probable) pour la faire replonger. Une forte consommation d’alcool après une longue période d’abstinence ne pouvait qu’être fatale.

On peut regretter que le film se satisfasse de se concentrer sur une romance, la dépendance et le harcèlement des paparazzis, exact au demeurant puisqu'il ne se passait pas un jour sans que le Sun ne publie une information scandaleuse à son égard. La personnalité et le rôle de Blake Fielder-Civil ne sont pas traités. Pas plus que le rôle déterminant de son père, beaucoup plus négatif dans le documentaire de 2015, le montrant refusant à plusieurs reprises une cure de désintoxication, mettant l'accent sur l'abandon du domicile conjugal. Sur sa mère aussi qui n’a pas su lui dire stop. Sur les prescriptions dès l'adolescence d'anti-dépresseurs. Sur sa boulimie qui ne fut jamais prise au sérieux par ses parents (et sur laquelle le film fait l'impasse).

Dans son livre, L’infernale Diva, aux éditions des étoiles en 2010, donc avant sa mort, Philippe Margotin écrivait (p. 153) qu'elle poursuit sa route "un pied au sol, l’autre au bord du précipice". Tout laisse à penser qu'elle fut victime de la prescription The show must go on et d’un entourage nocif, y compris familial …

On surprend à plusieurs reprises l'image d'un canari jaune. Il finira par s'envoler, métaphore pudique de la disparition de la chanteuse qui affirmait écrire des chansons pour transformer le mal en bien.

Back to Black de Sam Taylor-Johnson
Scénario : Matt Greenhalgh
Avec Marisa Abela (Amy Winehouse), Eddie Marsan (Mitch Winehouse), Lesley Manville (Cynthia Winehouse) …
Dans les salles françaises depuis le 24 avril 2024

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