lundi 21 avril 2025

Et la lauréate du Prix Drawing Now 2925 est Susanna Ingleda

J'avais annoncé il y a quelques jours que je parlerais dans un même article des 5 galeries des artistes nominés pour le Prix mais je veux tout d'abord saluer la lauréate (et ce fut encore une femme) dont le nom a été dévoilé lors du vernissage de Drawing Now Paris, le mercredi 26 mars à 18h30.

J’avais croisé Susanna Inglada le matin dans les allées et il n’y avait pas eu que son sourire et sa bonne humeur qui m’avaient impressionnée mais son intérêt pour le travail des autres.

Soutenu par la Drawing Society, le prix est doté de 15 000 euros : 5 000 euros de dotation pour l’artiste, 10 000 euros d’aide à la production pour une exposition de 3 mois au Drawing Lab et l’édition d’un catalogue monographique. La lauréate bénéficiera également du soutien de la Maison Caran d’Ache qui lui offrira le matériel utile pour la réalisation de son exposition personnelle.
Alboroto (Emeute), fusain sur papier coloré, 205 x 187 cm, 2025
La galerie Maurits van de Laar l'annonçait comme artiste en focus avec une présentation installative de ses dessins collages, représentant des personnes impliquées dans des interactions intenses. En utilisant ces figures expressives Suzanna cherche à analyser les mécanismes de pouvoir existant dans notre société, et ce n'est pas un hasard si l'œuvre ci-dessus signifie "Emeute".

Née en 1983, Susanna Inglada a d’abord fréquenté l’école d’art de Tarragone, puis a suivi deux années d’études théâtrales à La Casona à Barcelone, qui expliquent en partie l’expressivité et la théâtralité de ses dessins et installations. Elle décide ensuite de se consacrer aux arts visuels et étudie à l’université de Barcelone, à l’académie Willem de Kooning de Rotterdam, à l’institut Frank Mohr de Groningue aux Pays-Bas et enfin à l’HISK de Gand en Belgique.

Susanna aime élargir le champ de sa pratique artistique avec des animations, des oeuvres textiles et des céramiques (comme celles que l’on aperçoit, posées au pied de son immense dessin). Elle a exposé dans des musées et des foires d’art aux Pays-Bas, en Belgique, en France, en Italie, en Espagne, au Maroc et en Autriche. Elle a effectué des résidences à Rome et à Stuttgart. 
Quién Diría (Qui l'aurait cru), 2025 charbon de bois, pastel sur papier coloré 248 x 136 cm
Elle a déjà été primée, remportant en 2018 le Generaciones Prize, de la fondation Montemadrid, Madrid et le prix international de la fondation Guasch Coranty, Barcelone. Ce fut l’année suivante le prix De Scheffer, décerné par la Vereniging Dordrechts Museum NL.
Mon travail explore le pouvoir, l’autorité, la corruption et l’inégalité entre les sexes, en s’inspirant de la culture, de l’histoire et de la politique qui m’entourent. Avec mes dessins collages je crée des installations théâtrales et immersives où le spectateur devient partie d’un narratif complexe où les distinctions entre oppresseur et opprimé s’estompent. Anonymes mais expressifs, mes personnages incarnent la complexité du comportement humain et des luttes partagées. Les chaises, souvent symboles de repos et d’appartenance, sont rejetées dans l’oeuvre Alboroto, reflétant un refus de se conformer ou de rester inactif face à des luttes inachevées. Influencé par des artistes comme Goya, Paula Rego et William Kentridge, mon travail affronte la violence et l’ambiguïté, incitant le spectateur à considérer son rôle dans ces dynamiques.
Depuis 14 ans, le Prix Drawing Now célèbre la création contemporaine en mettant en lumière le rôle de pionnier des galeries en récompensant le talent d’un·e artiste présenté·e lors de Drawing Now Paris. Les noms des artistes pressentis avaient été révélés au Drawing Lab lors du vernissage de l’exposition Belladone de Tatiana Wolska, lauréate du Prix Drawing Now 2024. Les quatre "concurrents" de Susanna étaient :

Mélanie Berger, née en 1979, représentée par Archiraar Gallery (Stand A16 du circuit général)
Roméo Mivekannin, né en 1986, représenté par la Galerie Eric Dupont (Stand B4 du circuit général)
Farah Khelil, née en 1980, représentée par la Galerie lilia ben salah (Stand IN2 du circuit Insight au sous-sol)
- et Violaine Lochu, née en 1987, représentée par la Galerie ANALIX FOREVER (Stand PR4 du circuit Process au sous-sol)

Archiraar Gallery, fondée en 2012 par l’architecte Alexis Rastel et installée dans un bâtiment brutaliste de Bruxelles présente le travail de Mélanie Berger depuis 2019 à Drawing Now.

Née en 1979 à Grenoble, elle vit et travaille à Bruxelles. Elle est en recherche d’une image fulgurante et profonde, qui tisse un lien entre la surface - l’arrière plan - et le premier plan de l’instant, fugitif et ténu.

L’artiste a retrouvé des piles de documents agrafés entre eux dans la maison de ses grands-parents au moment de devoir la vider.

L'emploi des agrafes -depuis 5/6 ans- est un point commun notable avec Tatiana Wolska, lauréate du Prix Drawing Now 2024. Je me suis d'ailleurs interrogée sur la probabilité de distinguer deux ans de suite deux artistes qui travaillent de façon comparable, même si Mélanie Berger emploie beaucoup moins d'agrafes que Tatiana.

Elle apprécie l'agrafe qui correspond à la nécessité d’assembler des dessins entre eux tout en réalisant des assemblages qui ne soient pas pérennes. Il est troublant à cet égard de constater que les dessins gardent (garderont) l’historique de leurs assemblages, ne serait-ce que par les marques de la lumière et du soleil.
Après avoir longtemps employé les crayons de couleur, elle s’est tournée vers les lavis : aquarelle, huile de lin mélangée à des pigments et diluée, qu'elle montre parfois sur leur envers de manière à révéler les premiers gestes.

Elle exprime l’impression "d’être en dialogue avec le papier". Ils sont tous différents, faits ou pas pour le dessin. Il faut dire qu’elle l’expérimente comme une entité physique qui évolue, s’altère, interagit avec l’air, la lumière, les bactéries et le contact avec les autres dessins. Elle est attentive à l’inadvertance, ne projette jamais une image et pourtant ses oeuvres composent un ensemble cohérent.

Créée il y a 33 ans par Éric Dupont, la galerie défend depuis toujours des artistes qui partagent des valeurs humaines et un intérêt pour la forme. Elle présente à son ouverture de jeunes artistes préoccupés par la recherche formelle dans le domaine de l’expression picturale, tels que Damien Cabanes, Didier Mencoboni, Siobhan Liddell, Carlos Kusnir, Hyun Soo Choi, Eric Poitevin et Paul Pagk. L’évolution de la galerie se poursuit au début des années 2000 avec l’arrivée de nouveaux artistes, utilisant différents supports. Dans les années 2010, elle s'ouvre à des artistes photographes internationaux et français. Toujours soucieuse de saisir un regard neuf, elle accueille aussi de jeunes artistes femmes.

Elle élargit aussi le spectre de sa ligne directrice et présente des artistes du continent africain, animés par un désir de parler de leur héritage, de leur culture et de se réapproprier une part de l’Histoire de l’art. C’est notamment le cas du peintre béninois Roméo Mivekannin qui appartient à une nouvelle génération d'artistes.

Il présente ses œuvres inédites sur papier, utilisant des lavis à l'encre noire ou au brou de noix. Il propose une relecture alternative de l’esclavage et du colonialisme, subvertissant le récit dominant avec une ironie critique.
Il exposait surtout à Drawing Now des visages de femmes africaines, tous réalisés à l’encre de Chine et graphite sur papier de 100 x 70 cm, qui se détachaient de manière sous-jacente de la toile avec une grande finesse. Voici deux oeuvres de la série Vera Icona, à gauche princesse Mangbetu, 2023, à droite sans titre.

Établie à Paris depuis 2022, dans le quartier de Matignon, la galerie lilia ben salah se distingue par son engagement en faveur de l’hybridation et la promotion d’artistes dont les pratiques transcendent les frontières aussi bien géographiques que culturelles et s’inscrit dans une dynamique internationale.
A droite, Porte document en aluminium, document, cyanotype, aquarelle, acrylique sur toile et impression sur papier transparent d’environ 23 x 33 cm, 2023

Farah Khalil est une artiste avec qui il est très agréable de parler parce qu'elle explique volontiers son processus de création. Il est passionnant de l'écouter. S'il fallait résumer on pourrait dire que pour elle une oeuvre d'art est un document tout autant que les ombres portées appartiennent à ses installations. Ses oeuvres nous font voyager entre histoire officielle et histoire personnelle entre académisme et transmission intime.
Histoire en flottaison (grisaille) #1, Papier mâché, corde à piano et acrylique,
diamètre de 15 à 25 cm chaque, 2017- 2023

Pour réaliser Histoire en flottaison elles broyé des livres d'histoires de l'art qui, une fois transformés en papier mâché et reliés par des cordes de piano, semblent flotter dans une grisaille d'où s'échappent quelques mots. La démarche résulte d'une entrée dans l'art occidental par la théorie avant un retour au plastique et au sensible.

NALIX FOREVER est une galerie d’art indépendante et pionnière fondée en 1991 par Barbara Pollo à Genève. Elle est dédiée à la liberté de création et à la liberté artistique pourvu que le dessin tienne une place essentielle. En tant que dessinatrice, musicienne (autodidacte) et performeuse, Violaine Lochu y a toute sa place.
On est tenté de dire que cette artiste est complète. J'ai eu la chance d'assister à une de ses performances et elle y est vraiment étonnante. Je ne serais pas étonnée d'apprendre que c'est là qu'elle se déploie pleinement. Sa voix y devient dessein, chemin, manifeste pluriculturel. Sa manière de chanter emprunte beaucoup aux techniques de beat-boxing.

Elle aussi effectue un travail sur la mémoire. Elle a recueilli différents chants yiddishs en Pologne et manifeste un intérêt pour des femmes comme Fréhel, Björk, Nina Simone, Janis Joplin.
Les tableaux ci-dessus sont des transcriptions de dîners qui se sont déroulés sous forme de performance, au cours desquels elle a enregistré les conversation qu'elle dessine ensuite en posant la feuille à même le sol. Leur précision est remarquable, faisant apparaitre les apartés entre les convives, et se déployant de manière rhyzomatique comme les racines d'un arbre.
Drawing Now Paris
Le Salon du dessin contemporainDu 27 au 30 mars 2025
Carreau du Temple, 4 rue Eugène Spuller — 75003 Paris
drawingnowparis.com

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