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jeudi 23 janvier 2025

Tatiana Wolska, Prix Drawing Now 2024, expose Belladone

Le vernissage de l’exposition Belladone au Drawing Lab intervient au moment où les médias se font l’écho d’un nouveau scandale. Offrir des fleurs coupées serait dangereux pour la santé en raison des multiples traitements avec des pesticides nécessaires à leur culture.

Louise Bourgeois n’avait pas attendu une telle annonce pour se débarrasser du moindre bouquet sur les marches de l’église voisine. Et c'est loin d'être un hasard si Tatiana Wolska, lauréate du prix Drawing Now 2024 fait référence à cette artiste.

Depuis toujours, la fleur peut autant être porteuse de vie que de mort. Si nécessaire en cardiologie et néamoins associée à la sorcellerie, la belladone en est un exemple archétypal.

L’exposition met en valeur des oeuvres que le spectateur interprète d’abord comme des aquarelles, peut-être des encres, et qui sont en fait exécutées aux crayons de couleur. Elles se meuvent et notre regard y voit des évocations florales, puis assez vite évocations du sexe féminin ou masculin.

La grande salle de l’espace d’exposition située au sous-sol est entièrement investie par une oeuvre produite spécialement. L'espace y devient une sorte d'agora qui sera foulée par les visiteurs. On a conscience que l’œuvre s’abîmera, c’est normal, mais elle ne se fanera pas complètement. Des fragments seront préservés et récupérés (et très probablement réinvestis ultérieurement).

Tatiana est née en 1977 en Pologne. Elle vit et travaille à Bruxelles. C'est peut-être la reconnaissance du Salon de Montrouge dont elle fut lauréate en 2014 qui aura été décisive dans sa pratique artistique. Je regrette de ne pas l'y avoir vue, mais je ne suis allée dans ce salon qu'à partir de 2015

Elle a l'habitude de pratiquer le recyclage et d'employer des matériaux de récupération. Ses sculptures le démontrent. Faire avec ce qu’on a ou ce qui est possible, ne pas dépasser le budget sont des contraintes qu'elle ne subit pas avec effroi et qui au contraire alimentent sa force créative.
 
Pour celle-ci, elle a travaillé sans maquette ni dessin préparatoire, par tâtonnement par ajouts, en tenant compte du noir du plafond et de l’éclairage horizontal au moyen de néons. Elle est restée vigilante tout au long du processus au rythme et à la gamme des couleurs de manière à ce que le résultat soit lumineux et vivant.

J'ai été saisie en descendant l'escalier par cet endroit qui pourrait  être considéré comme une extension du jardin des tarots de Niki de Saint Phalle. Tatiana (assise ci-contre au milieu de son oeuvre) est une artiste d’une simplicité touchante, très ancrée dans le quotidien, ne refusant aucune question mais trop fatiguée aujourd'hui pour répondre longuement à chacune, ce qui est tout à fait compréhensible quand on mesure l'ampleur du travail engagé.

Elle a cependant expliqué que cette installation était pour elle une "première" et que ce travail en volume faisait suite à une résidence l’été dernier en Sologne.

Mais c'est surtout Marianne Derrien, la commissaire, qui a pris la parole pour parler de cette artiste avec qui elle a d'abord noué un lien dans le domaine de la sculpture.

La jeune femme est commissaire indépendante, critique d'art et enseignante. Elle publie régulièrement des textes critiques. Elle est en résidence curatoriale au Wonder depuis 2020. Elle est lauréate, en 2023 du programme BMW Art Makers dans le cadre des Rencontres d'Arles et de Paris photo.

Elle a détaillé le processus créatif, auquel elle a participé activement pendant la dizaine de jours d'installation, positionnant et agrafant les morceaux de papier en suivant les directives de l'artiste qui elle-même s'activait tout autant.

Ce mode d'action est familier à Tatiana qui travaille souvent à 4 mains en invitant d’autres artistes.

Il a fallu beaucoup de scotch et ce sont près de 200 000 agrafes qui ont été nécessaires. Le résultat est graphique et structural, autant abstrait que figuratif. On prend compte de l'importance de ce matériau en s'approchant et il convient de remercier l'entreprise Raja pour son mécénat.
En déambulant dans l'installation on effectue un voyage physique et sensuel qui nous permet de prendre la mesure du défi et de traverser des mondes.
L'oeuvre n'est pas figurative. Elle est ouverte mais elle se ressent. La balade provoque une perte de repères qui nous conduit, par proximité sémantique entre beladone et Belledonne, dans le massif alpin de Belledonne, et on pourrait presque entendre belle dame.
C'est un point de vue partagé par Irène Laub, qui est la galeriste de Tatiana, installée à Bruxelles, et qui l'accompagne depuis 7 ans dans son cheminement.
Les dessins entrainent plus loin que la pratique graphique. Belladone relève autant d’une histoire botanique renvoyant aux connaissances des femmes qu'à une position politique. Tatiana se sent proche d’autres artistes, activistes, écrivaines… Voilà pourquoi on remarquera quelques livres dans la petite salle dite des Archives, surtout Hexes de Agnieszka Szpila, publié chez Notabilia. Il faut savoir que le titre est un mot polonais signifiant Sorcières.
Marianne Derrien a effectué une sélection resserrée de dessins dans la petite salle. Chacun agit sur nos perceptions avec quelque chose d’hypnotique. On croit reconnaitre un bouton floral puis très vite on remarque un visage de profil sur un petit dessin, intitulé Lion, et ensuite une prolongation par une queue de cheval.
Le mouvement est présent partout, dans chaque espace. C'est que Tatiana, qui pense démarrer un dessin dans une voie à la base abstraite, reconnait qu'elle "vire en mimétisme vers des personnages, avec un regard auto-caressant", et que sa main en fait des objets antropomorphiques. L'artiste ne pourrait pas dater son premier dessin, qui remonte très loin. Si elle a travaillé longtemps en noir et blanc au stylo elle a ajouté la couleur avec les crayons depuis 5 ans.

Elle sculpte aussi, à partir de matériaux recyclés, comme Traits d'union (ci-dessus) réalisé en 2022 en bois recyclé et vis, placée devant Renifleurs de centre (2024) en crayon de couleur sur papier.
Ou cette oeuvre sans titre (rouge en blanc) plus ancienne (2016) assemblées à partir de bouteilles plastiques rouges et blanches coupées et thermoformées.

Outre le Drawing Hotel de la rue de Richelieu il existe une Drawing House ouverte en 2022 au 21 rue Vercingétorix - 75014 Paris et comme l'a précisé Carine Tissot, présidente de Drawing Hotels Collection,  un troisième établissement a ouvert il y a six mois dans le XVII°. Il s'agit de l’hôtel Miss Fuller avec 48 chambres et suites, un bar lounge, deux salles de petits déjeuners, un espace bien être, une salle de sport et un espace affaires modulable.

Il a été pensé en hommage à Loïe Fuller, pionnière de la danse moderne de la Belle Époque et les architectes d’intérieur, Chiara Patrassi et Alexandra Bernaudin, de l’agence Nido, ont puisé leur inspiration dans l’Art nouveau pour concevoir chaque élément. 

Le Prix Drawing Now accompagne depuis 14 ans la création contemporaine et souligne le rôle défricheur des galeries, en récompensant le travail d’un·e artiste présenté·ée sur le stand de sa galerie lors de Drawing Now Paris parmi les artistes présenté·ée·s en "focus" par les galeries participantes à Drawing Now Paris.

Depuis sa création en 2011, le Prix Drawing Now a été remis a 13 lauréat·e·s : Catherine Melin (2011), Clément Bagot (2012), Didier Rittener (2013), Cathryn Boch (2014), Abdelkader Benchamma (2015), Jochen Gerner (2016), Lionel Sabatté (2017), Michail Michailov (2018), Lucie Picandet (2019), Nicolas Daubanes (2021), Karine Rougier (2022), Suzanne Husky (2023) et Tatiana Wolska (2024).

Dans la soirée nous apprenions les nommé·es pour l'édition 2025 :
— Mélanie Berger, née en 1979, représentée par Archiraar Gallery ;
— Susanna Inglada, née en 1983, représentée par Maurits van de Laar ;
— Farah Khelil, née en 1980, représentée par Lilia Ben Salah ;
— Violaine Lochu, née en 1987, représentée par Anales Forever ;
— Roméo Mivekannin, né en 1986, représenté la Galerie Eric Dupont.

Le nom du ou de la lauréat·e sera dévoilé lors du vernissage de Drawing Now Paris, le mercredi 26 mars à 18h30. Le prix, soutenu par la Drawing Society, est doté de 15 000 euros : 5 000 euros de dotation pour l’artiste, 10 000 euros d’aide à la production pour une exposition de 3 mois au Drawing Lab et l’édition d’un catalogue monographique.

Et je laisse la dernière parole à Tatiana Wolska : Il y a un aspect méditatif. Je m’éteins pendant des heures en dessinant.
Belladone, une exposition de Tatiana Wolska, Prix Drawing Now 2024
Commissaire d’exposition : Marianne Derrien
Drawing Lab, 17 rue de Richelieu - 75001 Paris
Du 24 janvier au 20 avril 2025
Du mardi au samedi, de 11 à 19 heures en présence d'un médiateur (hors jours fériés)
Entrée gratuite

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