
En l'écoutant, on devine que cet auteur-compositeur-interprète est un oiseau d'une espèce rare, aussi authentique que véloce, féroce et ironique quoiqu'au coeur tendre pour ses semblables, pourvu qu'ils soient honnêtes et surtout pas de la race des rapaces.
Il est probable -car il en est coutumier- que pendant une semaine il dormira toutes les nuits sur la scène pour vivre les vibrations qu’il connaîtra avec son public. Il sera en concert à Paris pour la sortie de Drôles d'espèces le jeudi 30 janvier à 20h à l'Auguste Théâtre et je suis bien chagrinée de n'être pas libre pour aller l'écouter. Si vous loupez cette date il vous faudra patienter jusqu'au 7 février pour écouter cet album qui est son premier, et sans doute pas le dernier. Sachez aussi qu'il sera au Figuier Pourpre (Maison de la poésie) 6 rue Figuière pendant le festival d'Avignon 2025.
Petite fille qui danse (piste 1) célèbre sans doute notre monde d'aujourd'hui, tant qu'il en est encore temps car il se délite. La structure évoque le poème Liberté de Paul Eluard. A l’instar du poète qui dresse la liste de tous les endroits essentiels, le chanteur invite chacun de nous à protéger les sites mis en péril par nos erreurs logicielles … qui à la toute fin doivent être comprises comme autant d’horreurs.
C’est que Stéphane Barrière, alias l’Homme Héron, cultive l’art des métaphores, que ce soit celles des idées comme celles des mots, qu’il fait rimer et jouer pour le meilleur et pour contrer le pire.
Le coeur d’Ulysse (piste 2) compare notre existence à un voyage ponctué de travaux colossaux.
Dans La grande lessive (piste 3), le blanchisseur est celui des lobbies, des élites et des politiciens corrompus... La réflexion est amère sur notre monde en crise, sublimée par l’énergie de la musique et par une revanche d’humour noir quand, dans les eaux sales, on ne gagne pas à tous les coups. La chanson devient amusante … immorale et lucrative dans les coursives du monde qui gronde de peur ou de faim.
Alice rêve (piste 4) doit sans doute être comprise comme une référence au monde d’Alice au pays des merveilles. Ce prénom est devenu indissociable de l’univers du rêve même s'il s'agit de dérives cauchemardesques.
Dans Poudre blanche (piste 5), l’auteur déforme légèrement la célèbre formule de Pascal, Je pense donc je suis, en Je pense donc j'écris (…) j'explore la métaphore. On peut entendre je crie. L'homme aime les mots et jouer avec. Voilà sa poudre blanche, les mots le font rêver. Et nous avec par voie de conséquence.
L’accompagnement musical des Damnés de la terre (piste 6) installe une atmosphère religieuse que viennent perturber des sons évoquant le frottement de lanières de fouet. Il fera chanter le public après l'avoir entrainé à fredonner pa-pada-pada.
Manifestement l’artiste ne s’interdit aucun sujet. Olga (piste 7), l’archange infernal, est une chanson interprétée en grimpant dans les aigus, et à comprendre de toute évidence au second degré. Il est rare qu’on brosse ainsi des pratiques sado-masochistes.
Les ascenseurs (piste 8) donnent l’occasion à sa voix de prendre de la hauteur pour traiter, avec humour ironique ou tendresse, une phobie très courante chez les personnes qui ne supportent pas ce «monde à part». Les paroles ont ravivé chez moi le souvenir de moments précieux, totalement hors du temps, quand je prenais l’ascenseur qui conduisait spécialement à l’Espace Culturel Vuitton, 60 rue de Bassano dans le VIII° arrondissement de Paris, hélas fermé depuis la création du bâtiment de la Fondation et où j’ai vu tant d’expositions remarquables.
Se rendre à une exposition dans ce lieu commençait par le rituel de la montée en ascenseur qui avait pour objectif de nous préparer à changer de repères et consentir à la surprise. Ce bref voyage était vécu comme un rite de passage. La cabine, conçue par l’artiste Olafur Eliasson, était moelleusement capitonnée, totalement insonorisée et plongée dans une obscurité parfaite. Le visiteur n’y était jamais seul, sans doute pour éviter aux claustrophobes d’avoir peur et jouir pleinement d’une petite relaxation. Il fallait un certain temps pour accéder au 7ème étage, suffisamment pour s’être dépouillé du stress et avoir pu changer d’état d’esprit. J’adorais.
Même si la terre est ronde (piste 9) représente le film de toute une vie traversée de voyages, de bonheurs et de soucis jusqu’au dernier envol, à l’instar des amoureux de Chagall dans un ciel étoilé.
L’album s’achève sur une note pessimiste avec Passent les heures (piste 10) et nous laisse un peu désemparé. Tout est beau. Le regard est poétique. Les accompagnements musicaux sont soignés. Pourtant le constat écologique et sociétal est sans concession et son acuité si juste dépeint notre époque contemporaine comme un monde qui n'est décidément pas joyeux ni rassurant.
La formation de Stéphane Barrière est triple, en musique, chant et théâtre, ce qui fait qu’il a pu devenir un auteur-compositeur interprète accompli.
Il s’est, pendant plusieurs années, consacré au métier de comédien et il a accompagné, en tant que pianiste, des artistes tels que Oldelaf, ou Nordine le Nordec. Il a aussi écrit des musiques de courts métrages et de films documentaires, également de comédie musicale, ce qui l’amena à devenir Lauréat du Prix SACD en 2008 pour la musique des Aventures de la plus mignonne des petites souris produite par le Théâtre des Mondes, une compagnie au sein de laquelle il joue et met en scène régulièrement avec Aude Biren.
Côté spectacles, il collabore avec Pierre Debauche, Murielle Magellan, Daniel et William Mesguisch pour ne citer que des noms que je connais bien.
Le voilà qui ajoute une autre casquette à toutes les précédentes avec ce projet d’Homme Héron qui lui valut d’être lauréat du Prix Centre des Écritures de la Canson-Voix du Sud, décerné par Francis Cabrel, lequel ne tarit pas d’éloges à son égard. Ses multiples expériences catalysent sa tendance naturelle à pratiquer l’hybridation.
Certains le comparent à Jacques Higelin ou Narcisse, en partie parce qu’il a recours au parlé-chanté, ou chanté-parlé si vous préférez, ce que les gens du milieu désignent encore sous le terme de "chanson et spoken word". Sans doute également parce qu’il s’accompagne aux claviers, et que l’univers numérique lui est familier. Sans parler de son art pour écrire, ciseler les phrases pour les faire entrer dans les idées qu’il a a coeur de défendre.
L'univers musical est focalisé sur le piano et il s'est enrichi au fil du temps de sons et rythmiques électro, de synthés vintages choisis sans nostalgie mais pour le plaisir, et peut-être en écho à certains morceaux de Supertramp ou des Pink Floyd.
La participation amicale aux arrangements, sur quelques titres de l’album, de Georges Rodi pionnier des synthétiseurs en France, rendue possible grâce à Xavier Tribolet (directeur musical et pianiste de Bernard Lavilliers), intermédiaire précieux séduit par le projet, affirme dans cette collaboration une ambiance néo-vintage.
Drôles d'Espèces de L'Homme Héron
En concert à Paris le jeudi 30 janvier à 20h à l'Auguste Théâtre
Sortie de l'album chez Hasard des Mondes/Inouïe Distribution le 7 février 2025
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