Mieux vaut tard que jamais et j’espère très sincèrement que la pièce sera reprise pour ne pas avoir créé parmi vous des envies insatisfaites.
Ces dialogues de bêtes sont un bijou. Lara Suyeux a eu cette idée brillante à se risquer dans l’interprétation des textes de la grande Colette (1873-1954) qu’elle a adaptés pour le théâtre avec Elisabeth Chailloux à qui elle a confié la mise en scène. Quel régal !
L’œil de la comédienne fait d’incessants aller et retour entre la salle et la table du dessinateur auquel elle mime quelque confidence qui restera secrète. L’homme est très affairé.
Cyrille Meyer restera plusieurs scènes attablé, dessinant en direct et, comme il est gaucher, ce que le spectateur voit n’est pas caché par sa main ni son épaule. Le bénéfice est intéressant (ce qui me rappelle le martyre d’une de mes camarades de classe, gauchère elle aussi, envoyée su systématiquement au tableau pour y tracer les démonstrations de mathématiques sans provoquer d’agacement chez les élèves puisqu’ils assistaient en direct à la découverte de l’agencement des formules).
C’est lui qui nous annonce le premier chapitre 1. Sentimentalités qui se trouve être exactement celui de l’auteure. On est tout de suite nous aussi sur le perron inondé d’un soleil de plomb. Les noms des personnages sont d’une drôlerie insensée, qu’on les connaisse ou pas. On entend le bourdonnement en arrière-plan.
Cent vingt ans après leur publication, ces dialogues n’ont rien perdu de leur saveur. Très vite, Lara est le chien, puis la chatte. Le premier est ridicule, la seconde est féline. D’emblée elle est phénoménale.
Je me sépare du monde minaude Kiki-La-Doucette. Tu parles compliqué lui répond le dogue Toby-Chien. Il faut comprendre que les deux animaux vont souvent commenter les actions et pensées de leurs maîtres, désignés sous le terme des Deux-Pattes, ou encore Lui et Elle, c’est-à-dire Willy et Colette.
Comment résister quand on la voit faire la bayadère après avoir miaulé à l’oreille de lui (et elle désigne le dessinateur) alors que retentissent les premières notes de la Pavane de Gabriel Fauré ?
Le dessinateur fait bien davantage qu’illustrer les scènettes. Sa présence évoque celle de Willy aux cotés de l’écrivaine. Il est aussi un vrai partenaire pour la comédienne qui passe en un clignement de paupière d’un corps à un autre. Leur complicité fait mouche.
Elle excelle dans la tragédie : Adieu, mon fatal destin m’emporte. Elle nous ravit dans la complicité, cachant elle-même sa pelote de laine pour se faire une surprise. Un trait de plus et la tête devient sur la feuille blanche tout à fait différente.
Le spectateur adopte le point de vue de l’une, de l’autre, cherchant la vérité sur les maître-et-maîtresse dont il parait qu’ils nous cachent tant de choses. La grande scène de jalousie fait rire aux éclats les enfants sur les gradins.
Lara Suyeux est surprenante de naturel et de capacité à se faufiler d’une peau à une autre sans le recours à un masque ou à un accessoire. Tout est dans l’expression, la voix, l’intonation, le phrasé, la posture, la mimique. Elle ose se déployer en usant de ses membres avec une facilité totalement déconcertante.
Elle nous offre, comme elle le promet dans sa déclaration d’intention, le portrait en creux d’un couple, de leur rupture, l’histoire d’un affranchissement, d’une femme, d’une artiste portée par l’amour fou et vital de ses animaux, qui y puisera l’incommensurable force pour saisir sa liberté et qui apparaîtra au terme de la traversée.
Lara Suyeux a été formée au Cours Simon, à l’École supérieure d’Art Dramatique Pierre Debauche, au Studio d’Asnières, en stage avec Joël Pommerat, Philippe Adrien, Galin Stoev. Elle a joué dans une trentaine de pièces du répertoire classique et contemporain, notamment dans Le Roi se meurt avec Michel Bouquet. Elle avait déjà travaillé avec Élisabeth Chailloux et c’est sous la direction de Thierry Harcourt que je l’avais déjà appréciée au Poche Montparnasse dans le rôle de Beverly, dans Abigail's Party de Mike Leigh. Elle lit régulièrement au Festival de la Correspondance de Grignan et enregistre assidûment des livres audios pour Gallimard-Écoutez lire, Acte Sud audio, Audible, Audiolib...
Cyrille Meyer est un dessinateur, auteur, llustrateur et bédéiste qui a l’habitude des performances dessinées en direct. Son deuxième album BD devrait paraître en 2025.
Élisabeth Chailloux a fondé en 1984 le Théâtre de la Balance avec Adel Hakim, avec qui elle dirigera leThéâtre des Quartiers d’Ivry de 1992 à 2019. Je retiens particulièrement un de ses dernières mises en scène à Ivry, Les Reines de Normand Chaurette et plus récemment au festival d’Avignon Camus-Casarès, une géographie amoureuse d’après la correspondance entre Albert Camus et Maria Casarès.
Dialogues de bêtes de Colette
Mise en scène Élisabeth Chailloux
Adaptation Élisabeth Chailloux et Lara Suyeux
Dessiné par Cyrille Meyer
D’après une idée originale de Lara Suyeux
Avec Lara Suyeux (jeu) et Cyrille Meyer (dessin)
Mise en scène Élisabeth Chailloux
Adaptation Élisabeth Chailloux et Lara Suyeux
Dessiné par Cyrille Meyer
D’après une idée originale de Lara Suyeux
Avec Lara Suyeux (jeu) et Cyrille Meyer (dessin)
Du 13 novembre au 12 janvier 2025 dans la salle Paradis du Lucernaire
Du mardi au samedi à 19 h, le dimanche à 15 h 30
A partir de 12 ans
A signaler que le spectacle est disponible en tournée la saison 2025/2026. Contact de la compagnie : Élisabeth Chailloux- Théâtre de la Balance - 06 81 09 55 15 elisabeth.chailloux@gmail.com
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