mercredi 7 mai 2025

Madelaine avant l'aube de Sandrine Collette

J’étais prévenue de la dureté de Madelaine avant l’aube tout autant que de la beauté du récit que Sandrine Collette inscrit dans une atmosphère de conte des siècles passés, ancré dans un monde paysan qui ignore la révolte. Nous sommes dans un minuscule hameau, qu’on appelle Les Montées, et qui est un pays à lui seul. Les jumelles Ambre et Aelis, et la vieille Rose y sont coupés du monde par le fleuve Basilic et leur liberté d’aller et venir dépend d’une passeuse.

Ici, l’existence n’a jamais été douce. Les familles travaillent une terre avare qui appartient à d’autres, endurent l’injustice en serrant les dents. Mais c’est ainsi depuis toujours.

Jusqu’à ce que surgisse ce qu’on appelait « une fille de faim », terme désignant les enfants errants ayant perdu leurs parents suite à des famines. Madelaine sort de la forêt, évidemment affamée et sauvage. C’est comme un cadeau du ciel pour la jumelle qui n’a pas eu d’enfants et la fillette est adoptée par tout le hameau. Rodée à survivre et ignorant la peur, Madelaine n’hésitera pas à se servir de bois ou de gibier dans les forêts interdites. Sa sauvagerie et son animalité parviendront-elles à faire changer les rapports de forces ?

Madelaine avant l’aube nous est raconté d’un point de vue inhabituel et ce ne sera que page 95 que l’identité du narrateur apparaîtra. Celui qui parle s’appelle Bran mais il faudra encore patienter jusque la page 138 pour savoir qui il est réellement. En attendant nous devrons nous contenter de ce qu’il nous dit de lui : Je suis un papillon qui ouvre ses ailes pour les (Eugène et Rose) cacher au monde le temps de quelques mots et de quelques sourires, même s’ils n’ont pas besoin d’être dissimulés, ils ne font rien de mal  (p.31).

Et de ce qu’il dit de cette époque : La moitié des enfants ne passe pas les dix ans (p. 38). Que la vie soit mal faite, nous le savons tous (p. 58). Comme ce qu’il énonce à propos de Madelaine : Déambuler dans la forêt occupe nos journées vides. La petite est sauvage et tendre, fière et sanguine, mais dangereuse (p. 84). Si nous avions des ailes, elle nous les brûlerait (p. 103). Le lecteur n’a pas encore vraiment idée du péril qui pourrait advenir. Et ce qui est déroutant c’est par contre sa capacité à être poétique : Le bleu est la couleur du bonheur. C’est le ciel qui promet, c’est l’eau qui nous désaltère, c’est un reflet sur un nuage qui nous fait sentir étrangement bien (p. 79).

L’auteure nous narre pendant des pages et des pages la rudesse de l’hiver, le froid et la faim qui va avec, pour ne pas dire la famine qu’ils affrontent avec un courage insensé. Peut-on imaginer une telle misère que celle qui nous est mise sous le nez page 175 ? Travailler les endette davantage (nous ne sommes pas loin hélas de la situation de bien des paysans français contemporains) parce qu’ils n’ont pas les sous pour acheter les graines. Chaque année en fait dix quand chaque jour est une épreuve pour vivre. Y aura-t-il un avenir pour eux ?

Je sais combien il est nécessaire de ne pas occulter certaines misères. L’écriture de Sandrine Collette est soignée. Mais très franchement la description de l’emprise du tétanos sur l’un d’entre eux est insoutenable. J’avoue avoir promptement tourné quelques pages.

Ce livre, qui a été distingué par le Prix Goncourt des lycéens 2024, figure dans la sélection du Prix des lecteurs de Vallée Sud Grand Paris.

Madelaine avant l'aube de Sandrine Collette, JC Lattès, en librairie depuis le 21 août 2024

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