vendredi 6 juin 2025

Toutes les autres de Clotilde Cavaroc

Je suis venue avant-hier voir spécialement la représentation unique de Toutes les autres en région parisienne, en avant-première du festival d'Avignon.
Clémence est en fauteuil roulant depuis son accident de voiture trois ans plus tôt. Souffrant d'une solitude affective, elle a recours à un accompagnant sexuel pour l'aider à se réapproprier son corps et redécouvrir les plaisirs charnels. Elle trouve chez Antoine non seulement un amant complice, mais aussi une oreille délicate. Antoine tombe sous le charme de cette femme drôle et touchante. Les sentiments prennent le pas sur le contrat de départ. Sentant qu'il a franchi la limite, Antoine décide d'interrompre les séances au grand désespoir de Clémence. 
Vous aurez compris que Toutes les autres parle de l'accompagnement sexuel des personnes en situation de handicap, un moyen parmi d'autres de répondre à la détresse affective et sexuelle de ces personnes souvent reléguées au rang d’ "asexué.es". Sans se vouloir tribune ou plaidoyer, l’intention de Clotilde Cavaroc est de lever le tabou sur la sexualité des personnes handicapées et sur les travailleur.se.s du sexe.

De rouille et d’os, Intouchable, Le scaphandre et le papillon, Gabrielle, Simon de la Montana, Mon inséparable, Patients (tous chroniqués sur le blog, catégorie 7ème art) … beaucoup de films touchent au handicap mais rares sont ceux, même documentaires, qui explorent le sujet tabou de l'accompagnement sexuel. La réalisatrice Kathie Kriegel s’était prêtée avec brio à l'exercice dans son film A fleur de peau, un court-métrage primé en 2023 mais dont aucun extrait n’est encore accessible …

Il n’est donc pas faux de considérer que le sujet reste méconnu et l’autrice a longuement enquêté avant de commencer à écrire dans la continuité d’un court-métrage qu’elle avait tourné en 2022 avec deux comédiens qui sont aussi distribués au théâtre. Primé dans plusieurs festivals, Toutes les autres est à ce jour référencé à l’Agence du court-métrage, au catalogue de L’Extra court, et sur la plateforme Educ Arte.

Sur la scène le décor est sommaire, composé de plusieurs tapis sur lesquels on devine une table et un fauteuil roulant à jardin. Une voix off nous donne l’essentiel des chiffres à connaitre sur le nombre de personnes formées à l’accompagnement sexuel : 150 personnes en 2015 et seulement une trentaine sur le terrain.

On fait connaissance avec les personnages. Antoine (Stéphane Hausauer), infirmier de 47 ans, bouille sympathique, marié, vivant à Strasbourg, bien dans sa peau, donne de son temps à des handicapées 2 à 4 fois par mois comme assistant sexuel. L’activité est légale en Suisse, pas en France où elle est assimilée à de la prostitution, mais peut-on imaginer une condamnation pour délit d’humanité à l’égard de celles qu’il appelle des bénéficiaires

Il fait connaissance avec Clémence (Kimiko Kitamura) au cours d’un entretien téléphonique marqué par l’humour où il la met en garde de ses limites et du tarif de la prestation. Evidemment leur rencontre restitue l’étrangeté de la situation. On se doute bien que malgré tout ce type de relation n’est pas anodin et peut difficilement se limiter à un cadre professionnel même si les assistants bénéficient de réunions de recadrage avec des superviseurs.

A ce stade j’ai pensé au film de Frédéric Fonteyne, sorti en 199, avec Nathalie Baye et Sergi Lopez, Une liaison pornographique dans lequel un homme et une femme conviennent de se rencontrer pour assouvir un fantasme sexuel. Mais insidieusement, des sentiments se font jour et une relation se crée. Le sexe n'est plus la seule chose qui les réunit.

Clémence elle aussi s’attache (un peu trop) et comprenant que des sentiments pourraient prendre le pas sur le contrat de départ et qu'il a franchi la limite, Antoine décide d'interrompre les séances au grand désespoir de Clémence, provoquant un cri déchirant. Mais l’histoire n’est peut-être pas terminée …
L’accompagnement musical est choisi avec pertinence. Avec d’abord Da pacem domineun morceau d’Arvo Pärt, musicien estonien né en 1935, et qui est l'un des plus importants compositeurs vivants. Ses explorations et transgressions musicales influencent beaucoup ses contemporains. La chorégraphie sur La grande cascade de René Aubry est juste magnifique et il faut saluer le travail de Ira Nadia Kodiche qui a parfaitement dirigé les comédiens.

Citons aussi Pointillism de Laurent Dury, Daylight and the Sun d'Antony and the Johnsons et Après la Neige d'Airelle Besson.
 
Je te laisserai des mots de Patrick Watson est une autre chanson qui s’accorde très bien avec le contexte. Enfin quelle autre que Mais je t’aime par Camille Lelouche et Grand Corps malade aurait mieux convenu pour soutenir la déclaration d’amour de la jeune femme ?

On sort conquis par le propos, le jeu et la mise en scène (d’Elise Noiraud). Nous avons vu une femme qui est bien comme "toutes les autres". C’est un spectacle qui mérite toute l’attention du public.
Toutes les autres de Clotilde Cavaroc
Commande de mise en scène Elise Noiraud
Avec Kimiko Kitamura et Stéphane Hausauer
Création lumière François Leneveu
Scénographie Fanny Laplane
Chorégraphies Ira Nadia Kodiche
Mercredi 4 juin 2025 à 16h au Théâtre de Belleville qui reprendra le spectacle à la rentrée
À partir de 12 ans
Au festival d’Avignon à l’Artéphile du 4 au 26 juillet à 15 h 55, relâche les dimanches

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