jeudi 25 avril 2024

En Jeu ! Les artistes et le sport (1870-1930) au musée Marmottan

Difficile à imaginer mais je n’avais jamais monté les marches du musée Marmottan Monet dont pourtant j’avais souvent entendu parler, en raison surtout de sa collection de tableaux de Monet. Il recèle bien d’autres richesses et je promets un article sur le fond permanent dans quelques jours.

Aujourd’hui, je focaliserai le regard sur l’exposition En Jeu! Les artistes et le sport (1870-1930) sur laquelle on avait attiré mon attention au cours du vernissage de celle qui est consacrée à L’atelier de Leonardo Cremonini, à l’Institut.

On a bien eu raison car on peut y voir des oeuvres étonnantes, et peu exposées comme cette Femme au podoscaphe (1865) de Gustave Courbet qui aura donc mis en valeur la femme autrement que par l’origine du monde, ou un tableau de Claude Monet (1840-1926) célébrant des patineurs dont j’ignorais l’existence. Je reviendrai sur ces oeuvres plus bas. Mon premier coup de coeur porte sur une magnifique Leçon d’escrime peinte par Alcide-Théophile Robaudi (1847-1928) en 1887, une huile sur toile de 223 x 157 cm, prêtée par la Knupp Gallery de Prague qui ouvre l’exposition.

Les Jeux olympiques et Paralympiques de Paris 2024, les premiers organisés depuis cent ans dans la capitale, ont donné au musée cette idée de puiser dans ses collections en les complétant par plus de 160 œuvres et documents significatifs provenant de collections privées et publiques d’Europe et des États-Unis (Peggy Guggenheim de Venise, Yale University Art Gallery de New Haven, Philadelphia Museum of Art, musée Fabre de Montpellier, Centre Pompidou, musée Bourdelle à Paris, musée d’Ordrupgaard au Danemark, Staatsgalerie de Stuttgart...).

La scénographie nous renseigne sur la société de la seconde moitié du XIX° siècle qui prend peu à peu plaisir à profiter de son temps libre pour exercer des activités de loisirs sur terre ou sur l’eau et assister à des représentations sportives.

Ces nouvelles pratiques ont fait leur apparition sous le Second Empire et leur engouement ne cesse de progresser. Elles tiennent une place centrale dans la production du groupe impressionniste mêlant éléments naturels et modernité. Certaines toiles impressionnistes du musée et certains des carnets de dessins de Monet conservés in-situ témoignent de cet engouement qui se popularise.
C'est un tableau de Ferdinand Gueldry qui a été retenu pour illustrer l'affiche de l'exposition. Passionné d’aviron qu’il pratiqua lui-même en amateur, il peignit à de nombreuses reprises, comme Thomas Eakins,  dont on peut voir aussi une oeuvre, les courses de rowing qui connaissaient alors une grande popularité sociale, comme le montre la foule des spectateurs qu’il n’omit pas de représenter. Son tableau montre la victoire, sanctionnée par l’arbitre, de l’équipe de la Société nautique de la Marne sur le Rowing club sur son adversaire britannique, lors d’une compétition organisée en 1882 sur la Seine, entre Boulogne et Suresnes. On remarquera plusieurs oeuvres sur ce thème, comme ci dessous Van Strydonck et Monet.
Les Canotiers (1889) de Guillaume Séraphin Van Strydonck (1861-1937)
Régates à Argenteuil (1872) de Claude Monet (1840-1926)

mercredi 24 avril 2024

Borgo, film de Stéphane Demoustier

Je n’avais pas besoin qu’on annonce Borgo comme étant le meilleur polar carcéral depuis Le prophète pour avoir envie de voir le film.

Savoir que c’était le réalisateur de La fille au bracelet me suffisait et je faisais complètement confiance à Stéphane Demoustier. En sortant de la salle je savais que j’avais amplement raison.

Annoncé comme une fiction inspirée de faits réels, le réalisateur a prévenu que son film ne saurait cependant représenter la réalité.

La première séquence est une scène de crime qui nous est donnée à voir sans commentaire. Evidemment aucun des personnages ne nous est encore connu et on pense légitimement que c’est une scène d’actualité ou voulue comme telle.

Tout de suite après, on passe sans transition dans l’univers de la prison et on pense que les coupables s’y trouvent, ce qui légitimait la première scène en tant que règlement de comptes et qui nous laisse penser que malgré tout les protagonistes y coulent des jours heureux.

Je ne suis pas très loin du compte parce que cet univers carcéral est très particulier, unique en France, puisque les cellules y sont portes ouvertes, avec (bien entendu) un grand drapeau corse en guise de décoration sur un mur. Impossible d’imaginer qu’un prisonnier continental (non corse) y soit incarcéré.

Bien qu’étant très masculin on y voit quelques femmes, en particulier Mélissa (Hafsia Herzi, que nous sommes nombreux à avoir trouvé exceptionnelle dans Le ravissement, et que j'avais déjà remarqué en temps que réalisatrice dans son premier film Tu mérites un amour) qui y exerce le métier de matonne. La seconde particularité de l’endroit est d’y pratiquer "la paix des braves". Tous ceux qui y vivent ont laissé à la porte l’appartenance à leur clan et approuvé implicitement un pacte de non agression. Du moins c’est ce qui est proclamé mais on constatera que ce n’est peut-être qu’une façade en entendant la mise en garde qui est sans doute aussi une menace : Nous (les corses) on n’oublie personne et personne ne nous oublie.

Stéphane Demoustier procède un peu comme pour son précédent film en alternant les flash-backs pour faire progresser la révolution de l’énigme, laquelle donne bien du fil à retordre aux policiers et le commissaire (Michel Fau, si différent de ce que à quoi il nous a habitué) est à deux doigts de lâcher l’affaire.

On revient à la scène de crime dont on avait peut-être sous-estimé l’importance. Les aller-retour seront fréquents jusqu’à ce qu’on comprenne sa légitimité et cela participe largement à l’originalité du traitement cinématographique. La construction est remarquable.

Le réalisateur a encore une fois construit son film autour d’une forte personnalité féminine. Il nous offre un beau portrait de femme évoluant dans un milieu d’hommes, dans un cadre dont elle connaît partiellement les règles et où elle n’a aucune racine. Elle ne bénéficie d’aucun soutien, ni de sa hiérarchie, ni au sein de son couple. Elle croit connaître les règles. Elle a une certaine déontologie mais son humanité lui fait sous-estimer les risques.

Mélissa a fait le choix, qu’elle pense raisonnable, de venir s’installer sur l’île de beauté avec son mari et ses deux jeunes enfants pour prendre ensemble un nouveau départ. Le moins qu’on puisse dire est que leur arrivée n’est pas vraiment saluée avec enthousiasme par les locaux. Les conflits de voisinage se multiplient, avec une violence qui monte crescendo. Question d’appréciation des problématiques confluera la directrice de l’établissement pénitentiaire (Florence Loiret Caille).

Paradoxalement, la bienveillance qui est devenue vitale à la matonne lui sera prodiguée par un jeune détenu qu’elle a connu dans un poste précédent, à Fleury-Mérogis, Saveriu (Louis Memmi), qui semble influent et la place sous sa protection. La trentenaire est rigoureuse et semble aguerrie mais elle n’est pas dénuée d’empathie et ils vont être nombreux à en profiter. Jusqu’à ce que la machine se grippe. Confiance mal placée ? Engrenage ? Manque de prudence malgré la mise en garde qui lui est faite : Ici, on dit que ce sont les prisonniers qui surveillent les gardiens.

Je ne peux pas en dire plus mais Ibiza, car tel est le surnom qu’elle a accepté, va se retrouver d’un instant à l’autre dans une situation qui semble inextricable et dont on pressent que l’issue sera forcément fatale. On en a oublié que nous sommes au cinéma et pas devant un documentaire.

Borgo, film de Stéphane Demoustier
Avec Hafsia Herzi, Moussa Mansaly, Louis Memmi, Michel Fau, Pablo Pauly, Florence Loiret Caille
En salles depuis le 17 avril 2024

mardi 23 avril 2024

Les Grands Décors restaurés de Notre-Dame s'exposent au Mobilier National

Je me souviens parfaitement où je me trouvais le 15 avril 2019 après-midi, quand j'ai reçu sur mon téléphone la notification de l'incendie de Notre-Dame de Paris. J'étais en visite au musée des Armées avec d'autre journalistes et personne ne voulait me croire tant cela semblait irréel.

Pourtant la charpente était en feu et le désastre fut de grande ampleur. Il fallut une quinzaine d'heures aux pompiers pour calmer les ardeurs des flammes au prix d'un dévouement exceptionnel.

Pas une minute ne fut perdue pour décrocher et mettre à l'abri  22 tableaux dont 13 Mays (j’expliquerai plus bas ce qu’il en est) dont aucun n’a été touché directement par l’incendie. Il se serait cependant pas imaginable de les ré-accrocher sans leur apporter la restauration dont ils avaient besoin. Le tapis de choeur, rangé dans des caisses de bois, n'aura souffert que d’avoir reçu des tonnes d’eau. Mais il aura fallu tout de même aussi qu’on lui apporte des soins.

Ce travail est aujourd'hui achevé et les Grands décors restaurés de Notre-Dame seront dévoilés au public à partir du 24 avril 2024 au Mobilier national où j'avais été séduite par leur exposition intitulée Les aliénés en novembre dernier. Ils seront ensuite replacés dans l’édifice religieux pour le 8 décembre 2024.
   
J’ai été épatée par l’intelligence de la scénographie pensée par Clément Hado, le régisseur des expositions du Mobilier national, et dont quelques photos en plan large donnent un aperçu. C’est une chance considérable de pouvoir observer et admirer des oeuvres monumentales à hauteur d’homme dans la presque "petite" galerie. Les commissaires, Caroline Piel et Emmanuel Pénicault, n'ont pas ménagé leurs efforts de clarification pour faciliter la compréhension des tableaux d’histoire sacrée et pour rendre lisibles les processus de restauration.

L’enjeu était de révéler les grands maitres qui ont été accrochés dans Notre-Dame, de présenter des éléments de son histoire récente du XVII° comme les Mays et le Grand tapis de Savonnerie. L'exposition donne aussi l'occasion de révéler les premières maquettes du nouveau mobilier liturgique. Enfin elle s'enrichit de l'accrochage de la tenture de la vie de la Vierge, composée d'un ensemble de 14 tapisseries provenant de la Cathédrale de Strasbourg et qui retourneront ensuite en Alsace.

Quelques sculptures ont été ajoutées comme ce moulage de la Vierge du portail du transept nord de la cathédrale en plâtre patiné, datant de 1880 :

lundi 22 avril 2024

ici et là-bas, film de Ludovic Bernard

ici et là-bas commence avec des images de bord de mer hyper colorées. Et je peux vous promettre que le réalisateur va nous faire voir du pays, comme on dit.

Ludovic Bernard a réalisé un film d’une grande finesse qui réussit à faire rire autant que pleurer (si-si). Il traite avec intelligence les idées reçues à propos de l’identité et des a priori sur les gens de là-bas, au Sénégal, et d’ici, en France, en passant aussi en revue plusieurs clichés régionaux qu’il parvient à ne pas caricaturer. On voyagera dans des paysages magnifiques et on savourera les valeurs qui embellissent les relations humaines.

Adrien (Hakim Jemili) est installé depuis 15 ans au Sénégal avec sa compagne Aminata mais sans passeport sénégalais. Il est renvoyé en France en raison d'un problème de visa où il apparaitra comme un extraterrestre à vouloir un passeport sénégalaisEspérant régler son problème, il débarque chez un cousin éloigné de sa femme, Sékou (Ahmed Sylla), qui est commercial à Paris.

Sékou est contraint d'aller en régions afin de rencontrer des clients à la suite de la demande de sa patronne et doit relever le défi de faire signer un maximum de mandats en cinq jours. Il s'exprime comme, voire mieux, qu’un français de souche mais il s'angoisse à l'idée d'apparaitre tel qu'il est, en révélant sa couleur de peau à des clients avec qui il ne s'est entretenu que par téléphone. Il va devoir embarquer Adrien dans ce tour de France qui leur réservera bien des surprises, et à nous également.

On découvrira par exemple les superbes caves d’affinage de la Fromagerie Ganot installée à Jouarre et le site historique des forges de Paimpont. Ces deux références sont réelles et c’est encore un des points forts de cette comédie en lui faisant éviter l’écueil de la caricature et en démontrant que si, avec la mondialisation, on ne sait plus qui est qui, les valeurs patrimoniales subsistent en France.

Opposer un blanc qui se comporte comme un noir et vice versa n’est pas fondamentalement original. À ceci près que dans ce film l’effet comique ne vient pas de l'exagération mais de la justesse du changement de point de vue.

Adrien a adopté et accepté tous les modes de pensée de son pays d’adoption. Il ne s’étonne pas de devoir chercher l’oiseau qui chante sous les étoiles pour assurer une naissance de son futur enfant sous les meilleurs auspices. Par contre, la saveur du Brie noir ne passera pas. Je ne voudrais pas être désagréable ni donner l’impression que je vais chicoter mais pour l’avoir goûté récemment il est exact que ce fromage est un produit réellement segmentant.
Evidemment, le scénario (et j'ai remarqué qu'il avait été co-écrit par Sarah Kaminskyexploite tous les stéréotypes que nous connaissons bien, mais toujours avec bienveillance. Il est drôle et souvent émouvant. La tendresse apparait notamment à travers de beaux rôles féminins.

Ludovic Bernard nous offre au final une leçon de vie dont les protagonistes sortent grandis. Il ne fait aucun doute que pour lui la famille c’est bien celle qu’on se construit ensemble.

Je terminerai avec une mention spéciale pour Guillaume Roussel qui a eu l'idée de faire chanter à Ahmed Sylla le tube de Francis Cabrel La Dame de Haute-Savoie (1983) dont les paroles décrivent à la perfection son état d'esprit : 
Quand je serai fatigué / D'un métier où tu marches où tu crèves
Lorsque demain ne m'apportera / Que les cris inhumains d'une meute aux abois
J'irai dormir chez la dame de Haute-Savoie …

Ici et là-bas, film de Ludovic Bernard
Scénario : Sarah Kaminsky et Kamel Guemra
Avec Ahmed Sylla, Hakim Jemili, Hugo Becker, Luisa Benaïssa, Annelise Hesse, Eric Ebouaney, Assia Said Hassan, Aaron Zach, Boubacar Kabo, Etienne Guillou-Kervern …
En salles depuis le 17 avril 2024
Présenté dans la sélection officielle du festival de l’Alpe d’Huez

Soupe de fanes de carottes

On connait (presque) tous la soupe de fanes de radis. Son petit goût de châtaigne est réjouissant.

Mais savez-vous qu’on peut aussi utiliser des fanes de carottes pourvu qu’elles soient "nouvelles", donc tendres ?

C’est simple, rapide, savoureux et c’est un bon moyen de varier les repas.

Evidemment on lave les fanes. Il est inutile de se débarrasser des tiges mais peut-être que le résultat aurait été plus fin. À chacun de voir.

J’ai utilisé les fanes de 7 carottes, ce qui n’a pas épuisé la totalité de la botte, me laissant l’opportunité de faire ensuite par exemple un pesto.

J’avais taillé en tranches deux oignons. Je les ai fait suer dans un filet d’huile d’olive en même temps que la verdure. Ensuite j’ai ajouté 2 petites pommes de terre coupées en morceaux.
J’ai choisi une cuillère à café de curry iranien pour donner du goût au lieu d’avoir recours à du sel. Mais là encore c’est vous qui déciderez. J’ai attendu un peu que l’ensemble ramollisse avant de mouiller d’eau bouillante additionnée d’un demi-cube de bouillon. Idéalement j’aurais préféré du bouillon de poule, mais je n’en avais plus sous la main.

Afin de disposer de légumes pour le dîner, j’ai posé un panier de manière à cuire vapeur les carottes et deux poireaux. Le temps de cuisson fut d’une quinzaine de minutes.
Le blendeur a permis d’obtenir un potage lisse et onctueux. J’ai servi sur des rondelles de saucisse grillées et une des carottes cuites vapeur pour apporter une touche de couleur. La saveur était intéressante, proche d’une soupe de cresson. Je sais déjà que je renouvellerai.

jeudi 18 avril 2024

Jeunesse, mon amour, premier long métrage de Léo Fontaine

C’est un hasard du calendrier. Jeunesse mon amour est le quatrième premier film que je visionne en l’espace de peu de temps. Cet enchaînement me rend plus exigeante car ce que j’ai vu récemment était de l’ordre de l’exceptionnel.

Jusqu’à maintenant, c’était surtout en littérature que j'accordais une attention particulière aux "premiers". Ce n’est pas parce que j’ai un esprit d’analyse que je manque de bienveillance mais il y a fort à parier que j’ai remarqué aujourd’hui, comme à mon habitude, des choses que le réalisateur n'a peut-être pas faites intentionnellement.

A titre d’exemple je donnerai une occurrence que j’avais pointée dans La page blanche, le premier film de Murielle Magellan. Pudique, la réalisatrice ne donnait pas la liste de ses livres dans la liste figurant au générique mais j’avais reconnu, dans un plan montrant un triporteur surmonté d’une grappe de ballons, l’image qui fait la couverture de N’oublie pas les oiseaux, un roman dont le titre comprend ce verbe oublier qui est si important dans ce premier film. Murielle me confirma par la suite que j’avais eu raison d’y voir un double lapsus.
Le synopsis du film -qui est annoncé comme appartenant au genre du drame- est bref : Après plusieurs années, un groupe de jeunes adultes se retrouve. L'époque du lycée est révolue, mais les amis tentent d'en raviver l'esprit et les liens. Lors de cet après-midi hors du temps, où les souvenirs et non-dits refont surface, chacun prend conscience de ce qui a changé et que certaines choses ne seront plus jamais comme avant.
Si j’ai beaucoup apprécié Jeunesse mon amour dont les qualités sont très nettes, je vais malgré tout commencer par indiquer ce qui a titillé mes neurones. Démarrons par le visuel de l’affiche. C’est une image du rêve que fait Alban (Yves-Batek Mendyà propos de Lila (Manon Breschdans un flash-back qui intervient au milieu du film et dont on ne saura pas s’il s’agit d’un souvenir réel ou fantasmé. En tout cas, que cette image ne corresponde pas à la réalité me semble symptomatique et ce choix nous renseigne aussi sur l’intention du réalisateur d’accorder une grande importance au passé, peut-être plus qu’au présent. Il apporte une note définitivement mélancolique alors que la bande-annonce du film (très bien faite et fidèle à l’ensemble du film) est plus joyeuse.

Je ne pense pas du tout que l’étoile qui apparaît de la même couleur que le titre soit anecdotique bien que nulle part elle ne soit reprise en tant qu’appartenant à ce titre, ni dans les communication du producteur que dans celle du distributeur Wayna Pitch. Sa présence est interprétable comme étant un astérisque. Placé après un mot, ce signe renvoie à une note de bas de page, ce qui n’a pas de sens ici, sauf à signifier qu’il conviendrait de fournir un commentaire mais ce sera au spectateur de trouver lui-même ce que cet amour a de particulier.

A moins que ce soit une marque pour signaler une information manquante comme il est d’usage de le faire dans les textes juridiques aux Etats-Unis. En tout cas la typographie en capitales, et de couleur jaune, fait référence à un autre couple. Elle est très proche de celle qu’Elio (Victor Bonnel) et Melo (Inas Chanti) vont utiliser pour marquer leur prénom à la bombe sur un muret de pierre au cours de leur promenade dans le bois. Et si vous êtes attentif vous noterez que Melo fait suivre son diminutif d'un astérisque qui là signifie que ce surnom n'est pas entier puisque c'est mélodrame mais on l'appelait aussi la collectionneuse

La fin ouverte du film à propos de ce qui va advenir au chien de Dim (Dimitri Decauxest en soit intéressante, mais elle laisse le public démuni. On se raccroche donc à tout ce qui est interprétable. Comme le choix de Johan Heldenbergh, un acteur et directeur de théâtre belge, à la filmographie impressionnante, et dont l’accent ajoute une note d’étrangeté, pour interpréter le promeneur que croise le groupe d’amis. L’histoire qu’il leur raconte est étonnante, et résonne comme un avertissement en rapport avec leur recherche du chien soudainement disparu. Elle apporte aussi une dimension un peu surréaliste, laissant entendre que parfois la passivité peut conduire à une catastrophe.

mardi 16 avril 2024

L’eau monte, premier album de Dynah

J’ai écouté Dynah, une chanteuse dont je ne savais rien et dont j’ai aimé la voix, posée sur des rythmes qui donnent envie de bouger.

Mais comment fait-elle pour rester de marbre sur sa propre musique ? Et stoïque face à l’annonce de la catastrophe car on le sait, l’eau monte … trop haut et la tentation est forte de s'accorder vite un dernier verre avant que l'eau de la mer ne déborde.

L’eau monte est le titre de l’album éponyme de Dynah et c’est son tout premier. Enfin si on ne considère que ce qu'elle révèle en français. En effet, sous le nom Melody Linhart, elle avait sorti un album en anglais avant de rejoindre le groupe Why Elephant.

Elle abandonne le domaine du rock pour écrire, en français, en continuant à signer les textes du nom de Melody Linhart, mais en prenant celui de Dynah en tant qu'artiste, avec l’appui du producteur et compositeur Nicolas Gueguen.
Sur scène, elle s’entoure de Manon Iattoni, aux choeurs et aux percussions. Et Kahina Ouali aux claviers et aux chœurs.

La chanteuse est modeste, se qualifiant de Fille à coquille (piste 2), et se jugeant Toute petite (piste 5). C'est dans une piscine de balles qu'elle engloutit son corps sur la pochette.

Prenons de la hauteur, dans son corps de femme si tu savais comme elle se sentNouvelle (piste 9). Dynah affirme des principes féministes sans se départir de la douceur dont elle nous avait gratifiés juste avant.

Je suis d'accord avec ceux qui qualifient la pop de Dynah d'élégance et d'intimisme, avec un pied dans le rêve, un autre dans le réel, de la force et du minimalisme dans le texte comme dans la musique.

Les textes alternent revendications joyeuses et émotions de l’intime. Ses chansons questionnent la féminité, la fragilité du monde, le lien mère-fille... Elles sont des images, des situations dans lesquelles on devine des histoires en pointillés.
L'eau revient comme une marée dans Pas encore l'heure (piste 10). Ne la prenons pas au mot, elle ne s'évaporera pas. Elle n'a sans doute pas fini d'être encore là.

Les influences de la culture pop-folk anglo-saxonne restent musicalement bien présentes. Les mélodies sont riches et les harmonies sont bien contemporaines, offrant des nuances et une palette de sentiments. Et surtout une furieuse envie de danser, d'un titre à un autre.

Elle joue avec les mots, se morcelle et s'ensorcelle, étant celle qui pourrait se noyer dans un verre d'eauLe sel (dernière piste) est un bijou de délicatesse.
L’eau monte, premier album de  
Sortie le 26/04/2024 sous le label Musigamy
Article illustré de photos prises dans la baie du Mont-Saint-Michel, au milieu du Grand Canal du Parc de Sceaux, en bateau sur le Courpin qui traverse le domaine de Cheverny, et enfin dans les marais salants de l'Ile d'Oléron.

samedi 13 avril 2024

D'or et d'oreillers de Flore Vesco

Après m'être tant régalée avec De délicieux enfants, je n'allais pas m'arrêter en si bon chemin. J'ai voulu croquer le petit pois de la princesse, même si je savais qu'avec Flore Vesco il fallait que je m'attende à ce qu'elle nous ait mitonné autre chose.

Le titre, déjà, D'or et d'oreillers, me donnait une piste et la couverture, encore une fois si merveilleusement illustrée par Mayalen Goust, me menait directement sur la route des rêves.
C’est un lit vertigineux, sur lequel on a empilé une dizaine de matelas. Il trône au centre de la chambre qui accueille les prétendantes de Lord Handerson. Le riche héritier a conçu un test pour choisir au mieux sa future épouse. Chaque candidate est invitée à passer une nuit à Blenkinsop Castle, seule, dans ce lit d’une hauteur invraisemblable.
Pour l’heure, les prétendantes, toutes filles de bonne famille, ont été renvoyées chez elles au petit matin, sans aucune explication. Mais voici que Lord Handerson propose à Sadima de passer l’épreuve. Robuste et vaillante, simple femme de chambre, Sadima n’a pourtant rien d’une princesse au petit pois ! Et c’est tant mieux, car nous ne sommes pas dans un conte de fées mais dans une histoire d’amour et de sorcellerie où l’on apprend ce que les jeunes filles font en secret, la nuit, dans leur lit…
On retrouve le style de l'auteure et son appétence pour les créations lexicales, comme ce verbe emmitonner (p. 81) qui est si juste. Ce qui est très malin c'est qu'elle ose ne pas dire, et même ne pas créer de nouveaux mots quand les suggérer se révèle plus puissant. Cette astuce permet de passer outre la censure car -il faut le savoir- ce roman est infiltré d'une sensualité épanouie. Elle libère aussi la pensée du lecteur qui pourra se projeter un peu, beaucoup, passionnément, ou pas du tout s'il est très jeune sans que pour autant il se sente perdu.

Elle joue malgré out avec la rhétorique, usant d'anacyclique (p 210) quand le palindrome ne lui suffit plus. Elle reprend des figures classiques qu'elle déplace légèrement ou qu'elle transforme à peine pour leur conférer davantage de modernité. Ainsi le classique jeu "Action ou vérité" prend une nouvelle saveur en devenant "Gage ou aveu" (p. 86).

Flore puise largement dans le monde des contes et en premier lieu dans la Princesse au petit pois. Plusieurs hommages sont notables, dans la couleur dominante de la couverture, dans le nom du village Greenhead (p. 9) et celui du nom du Lord Handerson (qui ressemble furieusement à celui d'Andersen). Elle coud sur la courtepointe qui recouvre le lit vertigineux des motifs empruntés à Cendrillon, Alice au pays des merveilles, au Petit Chaperon rouge, au mythe de Frankenstein et à Barbe bleue. L'allusion à l'interdiction (p. 71) d'ouvrir la petite pièce en bas dans les sous-sols est assez claire et pourtant vous verrez que l'auteure en renverse le principe.

Ses personnages féminins sont tels qu'on les connait en littérature, une mère prête à tout pour marier ses filles, ou à l'inverse, déterminé à conserver son fils. Des soeurs qui sont en position de rivalité. Une héroïne un peu outsider, à la beauté de Shéhérazade, la force de Fifi Brindacier, le courage de Jeanne d'Arc.

On nous mettra en garde car on n’a pas idée de ce qu’une mère est prête à faire pour son enfant (p. 209). On nous rassurera aussi en nous insufflant de l'optimisme parce qu'on ne reste pas éternellement mutilé par une déception amoureuse (p. 227). 

Flore Vesco nous apprend à regarder minutieusement. Ainsi la couverture nous montre une jeune fille endormie dont la chevelure est répandue sur l'oreiller. Scrutez l'image et vous remarquerez une ombre enveloppante qui gouverne ses rêves.

Elle nous enseigne à lire entre les mots et les points de suspension, en remplissant les vides et découvrir l'essentiel du désir et du plaisir féminin. D'or et d'oreillers est à mettre entre toutes les mains, de tous les âges.

D'or et d'oreillers de Flore Vesco, Ecole des loisirs, collection M +, en librairie depuis le 3 mars 2021
Grand Prix SGDL du roman jeunesse 2022
Prix de la Voix des Blogs Ados 2022
Prix Sorcières 2022 - catégorie carrément passionnant maxi

jeudi 11 avril 2024

Saint Romain, second album de Nicolas Réal

J'ai été charmée par le second album de Nicolas Réal (dont je n'avais pas entendu le premier). Ne connaissant rien de lui je suis allée sur son site pour lire sa biographie. La voici telle que l'artiste l'a rédigée :
Il y a, au fond du bar, un dandy décalé habillé de rose, de tendresse et d’auto-dérision. 
Il y a une mélodie qui remplit le lieu et l’esprit, les accapare tout entier, un mélange de sucré-salé entraînant et entêtant.
Il y a au Portugal, le mot "saudade", qui désigne une délicieuse mélancolie, et au Japon le "natsukashii", un vague à l’âme heureux. 
Il y a en France un mot qui manque pour exprimer la possibilité d’une nostalgie heureuse, mais il y a l’univers de Nicolas Réal : la gratitude à l’enfance, passée en Afrique dans les années 80, l’attachement à l’adolescence et à la jeunesse en France puis en Angleterre, le temps qui passe et les amis qui restent, les grands huit des fêtes foraines et ceux de l’existence…
Après un premier opus remarqué en 2022, Gommettes, c’est en Belgique, où il est installé depuis 12 ans, que Nicolas Réal a peaufiné son deuxième album, Saint Romain, annoncé comme un voyage acidulé dans ses souvenirs de jeunesse.

Cet album est plein de surprises, alternant séquences groove et pop, et cela participe à son charme. Il se laisse écouter avec plaisir et c'est sa chance parce que je me demande comment on peut signer le BAT (bon à tirer) d'une pochette sont les textes sont si peu lisibles. Munissez-vous d'une loupe été d'une lampe torche sinon vous passerez à coté. Ces serait dommage car les paroles de Laisse le vent (piste 1) sont très belles et ce n'est pas l'écoute de l'album qui les fait connaître : seule la musique de ce morceau est interprétée au début, et uniquement en piano seul. Il faudra attendre plusieurs minutes pour l'entendre en version chantée (piste 10). Et sans doute davantage l'apprécier car elle arrive après plusieurs chansons fort différentes qui chacune aura travaillé une facette de la voix de Nicolas réal. L'orchestration confère alors une tonalité qui fait penser à la fin à certains morceaux de Christophe.

Le texte de Strip-tease sur Mars a bougé légèrement. Il est question de coeurs sans émotion. ON la retrouve ensuite plus loin (piste 12).

La fête foraine qui sert de décor et d'inspiration au titre éponyme Saint Romain (piste 3) évoque de multiples artistes. Avec cette alternance de voix parlée et chantée, et les ascensions soudaines dans les aigües, illustrant parfaitement les looping du manège.

Pandy Box (piste 4) raconte une bluette hivernale. Rupture de ton et de style avec le Statistype (piste 5) qui fort humoristiquement met en exergue le français moyen? toujours en alternant voix parlée et chantée, nous révélant donc un Nicolas Réal "plus que normal".

Suggestion d'amie (piste 6) poursuit dans la critique sociétale en raillant les réseaux sociaux, avec une évocation discrète d'intonations à la Vincent Delerm.

Tous les cris, les SOS est si éloignée de la version originale que ce n'est qu'à la troisième écoute que j'ai relié avec la chanson écrite et composée par Daniel Balavoine. Le résultat est magnifique. C'est une excellente idée de l'interpréter avec une voix féminine.

Paranormal (piste 8) explore d'autres tonalités.

Masqué (piste 9) est habillé de jolis effets musicaux.

Le petit chemin (piste 11) renoue avec la tradition de la variété française.

On veut bien croire que ce second album est furieusement autobiographique, allant jusqu’à mettre en scène sa propre fille dans le dernier titre, Où est je ? mais avec plus de tendresse et moins de provocation que ne le fit un certain Gainsbourg. Ce titre, écrit par Laurent Bazin et composé par Nicolas Réal est interprété par le père avec sa fille Inès (huit ans) et le clip reprend l'album photos de leurs meilleurs souvenirs de famille.
Saint Romain, second album de Nicolas Réal, dans les bacs le 19 avril 2024

mardi 9 avril 2024

Vampire humaniste cherche suicidaire consentant, un premier long métrage très réussi

Vous connaissez la chanson de Juliette Greco à propos de l’amour tendre d’un petit oiseau pour un petit poisson, nous interrogeant sur la manière de vivre une relation amoureuse quand on est deux personnes ne vivant pas dans le même milieu.

La chanteuse ne donnait pas de réponse. Ariane Louis-Seize reprend la métaphore dans le film qu’elle réalise et qu’elle a coécrit avec Christine Doyon et le moins qu’on puisse dire est qu’elle ne nous laissera pas sur notre faim.

Vampire humaniste cherche suicidaire consentant est un film totalement déroutant. Il combine les codes du film d’horreur, du récit d’apprentissage et de la comédie dramatique comme de la comédie noire avec, pour nous autres français, un bonus puisqu’il est interprété dans une langue que nous comprenons et qui nous est pourtant souvent étrangère, le québécois.

Ce n’est pas si anecdotique de le pointer parce que l’effet de surprise de nombres d’expressions courantes employées outre-Atlantique apporte une note d’exotisme et un décalage qui gomment sensiblement la dimension tragique et renforcent le second degré, un peu à l’instar de Simple comme Sylvain qui a remporté un très grand succès récemment et dont je rappelle qu’il a obtenu cette année le César du meilleur film étranger.
Sasha (Sara Montpetit) est une vampire adolescente qui vit un conflit moral concernant la nécessité de tuer des gens pour se nourrir de leur sang. Sa compassion pour le genre humain empêche ses canines de pousser, ce qui la met en danger. Elle s'alimente grâce à ses parents qui chassent pour elle et lui fournissent des pochettes d’hémoglobine.
Un jour, elle rencontre Paul (Félix-Antoine Bénard), un garçon suicidaire et dépressif, au moment où il s'apprête à se suicider… Lorsque ses canines ont enfin poussé et que ses parents excédés s'en rendent compte, ils l'envoient vivre chez sa cousine, Denise (Noémie O'Farell), peintre portraitiste, qui va tenter de lui apprendre à tuer et se nourrir par elle-même. La jeune fille refuse toujours de sacrifier des vies. Paul est disposé à lui rendre service. Sasha pourrait accepter, mais à condition de l’aider d'abord à réaliser ses dernières volontés, parce qu'elle trouve que c'est vraiment important.
Je ne suis absolument pas fan de films d’horreur, ni même de tout ce qui touche au fantastique. Mais ce film là m’a conquise je suis surprise que, pour son premier long métrage, Ariane Louis-Seize ait si vite pu être aussi précise, sur le plan technique comme scénographique sans parler de la direction d’acteurs qui est parfaite, elle aussi. C’est une réussite qui a été saluée par de nombreux prix et récompenses à des manifestations internationales où il a été projeté en avant-première. J’attends son prochain film avec enthousiasme.

Depuis La peau sauvage, (2016), la réalisatrice avait jusque là tourné des courts métrages qui certes s’étaient démarqués à l’étranger comme en France, sans doute en raison de l'étrangeté de personnages mais qui n'étaient alors qu'en position d'observation. Ici ils restent évidemment étranges, mais avec quelque chose de familier et de poétique qui les rend attachants. L'aspect comique est souvent prédominant ce qui rend l'ensemble tout à fait accessible à un large public.

L'histoire commence presque comme un récit initiatique alors que les codes des films de vampire sont discrètement en place. C'est à peine si on s'étonnera que toutes les scènes se déroulent dans la pénombre ou nuitamment, afin de respecter le code de noirceur typique du genre. Parfois les lampes de chevet clignoteront, apportant une touche surréaliste au récit. Le travail sur les lumières entrepris par Shawn Pavlin, qui reste le directeur photo depuis le premier court métrage, est subtil, instaurant davantage de mélancolie, un peu à la manière de l’expressionnisme allemand plutôt que de l'angoisse. Certaines scènes sont cadrées dans une symétrie parfaite et la caméra est économe de mouvements de manière à vivre dans l'intimité des personnages.

C’est le cinéaste Stéphane Lafleur, connu pour son humour pince-sans-rire qui a monté le film avec finesse.

Le tournage a eu lieu en octobre-décembre 2022 à Montréal et ses environs. Au tout début, la scène d'anniversaire est étrange aussi en ce sens qu'on souhaite au Québec "une bonne fête". Par contre on "fait le parté" pour dire qu'on va à une fête. Le verre de boisson sera appelé "pichet". De la même façon que la tournure des interrogations comme "aimes-tu … ?" est strictement inverse du français qui dira "tu aimes… ?". "Tu sais il est où ?" sera donc équivalent à sais-tu où il est ? On utilisera "en vrai" pour en fait. On demandera "es-tu correct ?" au lieu de "ça va ?". "Prendre sa chance" signifie courir le risque. Il est question de runnings pour désigner les chaussures de sport. On porte un chandail et pas un pull-over (mot d'ailleurs anglais signifiant retirer par dessus la tête). On niaise quand on déconne. "Aucune chance" signifie pas question. On sort "peignée" pour dire coiffée. ll y a une vraie richesse linguistique. Les dialogues sont parfois colorés, toujours mesurés et riches de sens, laissant la place aux silences dès que nécessaire.

Les parents semblent mener une vie "normale" excepté leur mode d'alimentation. La mère se plaint d'une charge mentale lourde à porter, préoccupation tout à fait contemporaine. On verra que les deux mères se révèleront désemparées.

La première scène de dévoration est quasi plus surréaliste qu'angoissante. On retrouve ensuite Sasha lisant un ouvrage philosophique alors que ses parents se gavent de films d'horreur. Elle écoutera le trompettiste québécois Jack Kuba Seguin sur un vinyl (peut-être la Trilogie des odeurs) après avoir posé un gâteau sur le centre du tourne-disque. On remarquera que la musique réveillera des états d'âme chez la jeune fille comme chez le garçon.

La pauvre Sasha est hors normes. La mort stimule sa compassion et pas sa faim. Pourtant elle ne se nourrit que de sang. La psychologue conclut à un état de stress post-traumatique. Finalement Sasha tombera sur un panneau d'information des DSA (Dépressifs Suicidaires Anonymes, dont l'équivalent est en France SOS Amitié). 

Interrogée sur la raison de sa venue dans le groupe de paroles la justification de Sasha est large : je vis une situation délicate qui me force à faire du mal sinon je meurs. Pour Paul, un garçon martyrisé, victime de harcèlement scolaire et professionnel, dans certaines situations la mort pourrait être une option intéressante. Il s'affirme prêt à donner sa vie pour une bonne cause. La réalisatrice interroge avec finesse jusqu'où on pourrait aller par amour. Ne dit-on pas "je donnerais ma vie pour toi" ?

Ces deux là sont faits pour se reconnaitre et s'entendre. Paul a une collection de vinyles d'où il tirera celui qu'il estime idéal pour mourir. Suivra un ersatz de scène d'amour reprenant tous les codes du genre qui est un petit bijou. Allongés sur le lit, ils écoutent Emotions de Brenda Lee, une chanson de 1961 dont les paroles (malheureusement nous n'en avons pas la traduction en sous-titrage) collent parfaitement à la situation :
Émotions, qu'est-ce que tu fais ? 
Emotions, what are you doin'? 

Oh, tu ne sais pas, tu ne sais pas que tu vas être ma ruine ? 
Oh, don't you know, don't you know you'll be my ruin? 

Tu me fais pleurer, pleurer encore 
You've got me crying, crying again 

(…) Émotions, s'il te plaît, libère-moi
Emotions, please set me free.

Sasha n'ose pas passer à l'acte. Paul non plus lorsqu'on lui manque de respect. Et c'est Sasha qui va l'aider à s'entrainer à cela. Au bout du compte elle le vengera et se sauvera du même coup.

La musique tient une place essentielle dans ce film. Sasha avait reçu en cadeau un clavier et on avait compris qu'elle a la musique dans le sang puisqu'elle sait d'emblée en jouer. Lorsqu'elle se produit en extérieur c'est L'hiver de Vivaldi qu'elle fait résonner. Chacun des choix musicaux est judicieux. Pierre-Philippe Côté a placé des airs qui tombent à pic. Mysterious Night de TurchaWoW accompagne très bien la scène de l'hôpital avec la mère de Paul, qui elle aussi vit la nuit, mais comme infirmière. Et qui mieux que Andrés Pajares aurait pu accompagner le générique de fin avec son Drácula "Ye-ye" (2007) ?

Je ne connais pas les comédiens qui sont peut-être célèbres au Québec. En tout cas ils avaient déjà tourné avec la réalisatrice. Par contre Sara Montpetit, qui est parfaite dans ce rôle de jeune fille de 68 ans, venait de gagner l’Iris de la révélation de l’année au gala Québec Cinéma pour Maria Chapdelaine de Sébastien Pilote, avec une profondeur qui avait décidé Ariane Louis-Seize à lui proposer le rôle de Sasha. Elle possède une étrangeté naturelle, tout comme Félix-Antoine Bénard (Paul) qui l'exploite d'une autre manière. Ce sont deux êtres marginaux par rapport à leur milieu social, qui sont très différents, mais qui partagent les mêmes combats intérieurs. Et pour nous, spectateurs, il y a une dimension supplémentaire avec nos propres effrois face à la mort, même si, encore une fois, je dois souligner que l'accent québécois apporte à nous autres une tonalité humoristique additionnelle.

Quant à la fin, que je ne raconterai pas, elle satisfait notre envie de happy end car le spectateur ressent trop d'empathie pour l'un et l'autre pour accepter une issue tragique. Même le personnage de Denise nous était devenu sympathique, les parents également. On est loin de la caricature de la Famille Adams. Ce film finit par devenir paradoxalement une ode à la vie.

Vampire humaniste cherche suicidaire consentant d'Ariane Louis-Seize
Scénario : Ariane Louis-Seize, Christine Doyon
Avec Sara Montpetit : Sasha, Félix-Antoine Bénard : Paul, Steve Laplante : Aurélien, le père de Sasha,Sophie Cadieux : Georgette, la mère de Sasha, Noémie O'Farrell : Denise, la cousine de Sasha, Marie Brassard : la tante de Sasha, Gabriel-Antoine Roy : JP, Madeleine Péloquin : Sandrine, la mère de Paul, Marc Beaupré : le clown, Patrick Hivon : le prof d'éducation physique, Micheline Bernard : la directrice de l'école, Ariane Castellanos : Claudie (Dépressifs et suicidaires anonymes), et Geneviève Boivin-Roussy, Emma Olivier, Arnaud Vachon, Isabella Villalba, Sylvie Lemay, Lilas-Rose Cantin : jeune Sasha …
Musique : Pierre-Philippe Côté
Direction artistique : Ludovic Dufresne
Costumes : Kelly-Anne Bonieux
Maquillage : Tania Guarnaccia et Coiffure : Jean-Luc Lapierre
Montage : Stéphane Lafleur
Sortie en Italie : 3 septembre 2023 (première mondiale au 80e festival international du film de Venise)
Canada : 10 septembre 2023 (première canadienne au Festival international du film de Toronto (TIFF))
Canada : 13 octobre 2023 (sortie en salle au Québec)
En salle en France depuis le 20 mars 2024

dimanche 7 avril 2024

Le Rouge et le Blanc, de Harold Cobert

Combien de fois ai-je entendu que, dans la vie, rien n’est jamais ou tout blanc ou tout noir !

Harold Colbert a choisi de nous raconter le XX° siècle à travers le destin tragique de deux frères désunis par une vision politique différente, le premier libéral et le second révolutionnaire, mais liés par l’amour d’une femme.
Russie, 1914. Tout oppose soudain Alexeï et Ivan Narychkine, deux frères issus de l’aristocratie. Alexeï, l’aîné, a hérité de leur père son tempérament déterminé et réfléchi. Libéral, il prône la modernisation et la démocratisation de la Russie. Ivan, lui, ressemble à leur mère : d’un naturel tourmenté et exalté, il épouse volontiers les pensées anarchistes et marxistes.
Quand, en 1917, la Révolution éclate, tous se déchirent et chacun choisit son camp, au risque de devoir un jour s’affronter…
Natalia, leur sœur de lait, fille de leur gouvernante et de l’administrateur des terres familiales choisit d’œuvrer auprès d’Yvan de son propre frère Kolya. Mais oubliera-t-elle les sentiments qu’elle avait (aussi) pour Alexei ?
Je ne peux pas davantage résumer près d’un siècle d’histoire. Car nous allons suivre l’évolution de la Russie à travers le parcours de ces trois personnages, ici fictifs, mais bien entendu sur fond historique réel. Je dirais juste pour vous convaincre de le lire que Le Rouge et le Blanc est construit comme une série télévisée, en six parties, de plusieurs chapitres relativement courts, qui se lisent sans aucune lassitude et qui, s'achevant chacun sur une énigme, donnent envie d'en dévorer le suivant, même quand on a parfaitement deviné la réponse (comme par exemple p. 170 où le nom masqué est évident). On a beau connaître l’enchaînement des évènements dans leurs grandes lignes on se prend au jeu de comprendre comment les deux frères ont traversé les années.

Bref, on est dans l'esprit des feuilletonistes du XIX° : Balzac, Maupassant, Dumas … mais il n’est pas nécessaire d’être familier de ces grands auteurs, ni de littérature russe pour apprécier, même si cela peut aider d’avoir lu auparavant les oeuvres de Dostoievski, en particulier son dernier roman, publié d’ailleurs sous forme de feuilleton, Les Frères Karamazov, dont l’un d’entre eux s’appelle justement Yvan. L’analogie s’arrête là avec le fait que l’action se déroule dans le même pays.

Il n’est pas davantage indispensable d’avoir lu L'Archipel du Goulag. 1918-1956, l’essai d'investigation littéraire d'Alexandre Soljenitsyne publié en 1973. Mais ce sont malgré tout des lectures additionnelles essentielles.

La couverture du livre est magnifique. Ce personnage vu de dos, que j’imagine féminin, pourrait être Natalia, face au monument le plus emblématique de la Sainte-Russie dont chaque tour symboliserait l’homme Rouge et l’homme Blanc, à savoir Yvan et Alexei.

Je salue le travail de l’écrivain qui signe ici une oeuvre majeure. J’ai dans les mois qui viennent de s’écouler, fait l’effort de me rendre au musée de la Grande Guerre, à deux reprises car je sais combien il est important de ne pas oublier. La dernière fois j’ai même été surprise de constater les liens très forts entre la Russie et la France avant et pendant le conflit. Je me suis arrêtée devant cette Boite à musique offerte par le tsar aux officiers de haut rang et dignitaires français en bois, métal, biscuit et verre. Cet objet commémore l'alliance franco-russe et la visite du tsar en 1896. Les deux personnages en porcelaine sont Nicolas II et le président français Félix Faure. La boite joue La Marseillaise et l'Hymne des tsars, hymne de la Russie impériale. Et plus loin j’ai remarqué les uniformes des soldats russes.
Mais au fil de ma lecture du roman, j’ai eu du mal à passer outre les horreurs des combats et la violence des faits. Je sais qu’en ce moment même il se déroule des atrocités comparables et cette lecture m’a constamment renvoyée au contexte géopolitique actuel qui est tout simplement horrible. J'ai apprécié de suivre les différences de points de vue entre Lénine et Trotski, puis des autres grandes figures de l’histoire. J’aurais envie d’adhérer au principe qu’il faille s’oublier pour permettre un avenir meilleur aux plus démunis, mais quand on sait que cet avenir est un autre bain de sang la justification ne passe pas.

Il m'est très difficile d'admettre que les caractéristiques de ce qu'on appelle "l'âme russe" capable de passer de l'amour à la haine en une fraction de seconde, n'acceptant pas les demi-mesures et vivant d'excès puisse excuser quoi que ce soit mais je pense que la lecture du roman d’Harold Colbert est une nécessité en vertu du conseil de Karl Marx : Celui qui ignore l’histoire est contraint à la revivre.

J’espère que l’avenir sera de nouveau paisible et qu’il sera alors envisageable de parler du roman uniquement d’un point de vue littéraire et le coeur léger. Ce n‘est pas le cas aujourd'hui et encore une fois cela n’a rien à voir avec le résultat dont je sais qu’il est le fruit d’une quinzaine d’années de recherches.

Harold Cobert, docteur ès lettres, est l’auteur de plusieurs romans, dont Un hiver avec Baudelaire (Héloïse d'Ormeson, 2009 ; Le Livre de Poche, 2011), Lignes brisées (Héloise d'Ormesson, 2015), La Mésange et l’Ogresse (Plon, 2016 ; Points, 2017), Belle-amie (Les Escales, 2019 ; Pocket, 2020) et Périandre (Robert Laffont, 2022).

Je l’avais rencontré au Salon du Livre, en mars 2019 (ci-dessous avec Catherine Bardon et Brice Homs) et j’avais bien compris que les défis d’écriture le stimulaient. Je ne suis pas étonnée qu’il nous ait offert une oeuvre d’une telle prouesse littéraire que ce dernier roman.
Le Rouge et le Blanc, de Harold Cobert, Les Escales, en librairie depuis le 7 mars 2024

vendredi 5 avril 2024

Combattre loin de chez soi, exposition au musée de la Grande Guerre à Meaux

Je n’avais découvert le musée de la Grande Guerre à Meaux qu’en novembre dernier, à l’occasion de la présentation au public de deux wagons, dont un spécimen unique, blindé, en acier riveté, destiné à acheminer des munitions au plus près du front.

Je m’étais promis de revenir tant j’avais été impressionnée par l’immensité des collections. Il faut compter un minimum de deux heures pour les visiter et on pourrait leur consacrer une journée entière sans en avoir épuisé les ressources.

Le musée propose régulièrement de nouvelles expositions. Celle qui ouvre au public demain, Combattre loin de chez soi. L'empire colonial français dans la Grande Guerre, m’a donné l’occasion d’en apprendre davantage sur ce musée qui, je le rappelle, est le plus important dans son domaine.

Lors de ce déplacement, nous avons été accueillis par Franck Gourdy, vice-président de la Communauté d'agglomération du Pays de Meaux et Audrey Chaix, directrice du musée qui ont rappelé que si le thème s’inscrit dans l’actualité la volonté du musée remonte à plusieurs années, en raison de la volonté de faire vivre la richesse des collections puisque le parcours permanent ne permet de montrer qu’environ 5 000 pièces sur les 70 000 objets et documents composant les collections. Les visiteurs découvriront à 90% des pièces sorties des réserves, de la collection Jean-Pierre Verney, d’autres dons et de la politique d’acquisition.

Après avoir présenté l'exposition, je me rendrai dans les collections permanentes et je mettrai l'accent sur quelques pièces, en complément de ce que j'ai écrit en novembre dernier. C’est Johanne Berlemont, responsable du service de la conservation, qui assura les deux visites.

L'exposition s’attache à expliquer la portée et les particularités de la participation de l’Empire colonial français au premier conflit mondial dans les multiples registres de l’engagement, des conséquences et des héritages. Elle entend faire connaitre et analyser le rôle des hommes de l’Empire engagés dans la guerre en mettant en avant une histoire partagée.

Elle apporte des clés de compréhension de l’histoire et des mémoires des anciennes colonies et territoires français. En effet, cette histoire entre la France et son Empire est à la fois ancienne et éminemment contemporaine dans le contexte particulièrement sensible de l’écriture de l’histoire coloniale. Le musée a choisi d’adopter une position mesurée, rigoureuse qui s’inscrit dans la continuité de sa collection permanente, bâtie sur les aspects sociétaux et militaires de la Grande Guerre.

L’approche, qui est pluridisciplinaire, donne à saisir les enjeux des récits historiques à travers la présentation de figures, de données scientifiques, d’oeuvres, de documents et d’objets issus des collections du musée ou de celles de partenaires institutionnels.
Nous serons invités à suivre quatre personnages fictif, Adama, Edouard, Phan et Jean-Charles, représentatifs du vécu des hommes issus des différents territoires de l'Empire colonial français. Le parcours de visite est didactique sans prétendre à l’exhaustivité avec plusieurs espaces élargis pour accueillir un public spécifique comme les élèves, qui pourront poser leurs questions et trouver des réponses s’organise autour d’un fil rouge à la fois chronologique et thématique avec trois sections principales.

Il faut rappeler que la guerre de 1870 se termina par une défaite française qui eut pour conséquences la chute du Second Empire français et de l'empereur Napoléon III, suivie de la proclamation de la Troisième République. Sur le plan du territoire, la France est amputée de l’Alsace et d’une partie de la Lorraine. Mais elle conserve l’héritage d'un empire colonial constitué sous l'Ancien Régime (îles Caraïbes, île de la Réunion, comptoirs en Inde), sous la monarchie de Juillet (prise d'Alger en 1830) et enfin sous le second Empire (implantation en Indochine). Bientôt auront lieu la colonisation de Madagascar et d’une partie de l’Afrique (où plusieurs pays européens seront récents). Un ministère des colonies est créé en 1894.

Un des premiers objets présentés est cette Assiette historiée "Madagascar" représentant des tirailleurs haoussas datée entre 1881et 1919, provenant de Utzschneider & Cie, Manufacture de Sarreguemines
Les troupes de la Marine changent de nom pour s’appeler à partir de 1900, Troupes Coloniales. Elles s’ajoutent à l’Armée d’Afrique (sous-entendu, Afrique du Nord). Chacun a son uniforme et le tombeau (nom donné à la pièce entourée d'un galon effectuant une boucle simulant une fausse poche) est d'une couleur distinctive du régiment (garance au 1er, blanc au 2°, jonquille au 3°).  La veste se porte au dessus d'un gilet ("sédria") en drap bleu avec galon garance autour du col et au milieu de la poitrine.
Comme mentionné précédemment, le tombeau rouge est celui du premier régiment. A ce moment là les magasins vendent des panoplies pour que les enfants puissent s’habiller de la même manière que les soldats. Un exemple est présenté en vitrine (cf photo de gauche). Sur l’uniforme des Tirailleurs sénégalais (beige sur la photo de droite) on remarque les lettres T et S brodées d’or sur le revers du col.