En France on ne connait pas le nom de José Guadalupe Posada (1852–1913). Et pourtant ses dessins deviennent de plus en plus familiers au fil des automnes puisque la vague Halloween gagne sans cesse du terrain.Il est tellement habituel de voir ses oeuvres au Mexique, où son talent de cet immense graveur est totalement reconnu, que je n’ai pas immédiatement pris garde à la devanture de cette librairie de Coyoacan, spécialisée dans le livre d’occasion. A ma décharge, j’étais là-bas en pleine période de Toussaint.
Je me permets à ce propos un aparté car nous confondons Toussaint, Halloween et Fête des Morts, qui se traduit par Le Jour des Morts, El Dia de los Muertos et qui a lieu précisément le 2 novembre. Élevée au rang de fête nationale au Mexique elle célèbre le retour temporaire parmi nous des personnes décédées. Elle est si importante qu’elle a été inscrite au patrimoine immatériel de l’humanité depuis 2003. Elle est autant célébrée dans les rues que dans chaque maison où personne n’oublie de confectionner un autel des morts, décoré d’offrandes autour des photos des défunts qu’on veut honorer.
On voit des squelettes dans chaque devanture, à la porte de tous les restaurants, à chaque coin de rue et les centres commerciaux prennent de joyeuses allures de cimetières. Même les médecins accueillent leur parentèle avec un autel des morts en bonne place dans la salle d’attente.
Salon Posada est une immense boutique, avec une grande hauteur sous plafond qui contraste avec les librairies qui existent dans ce pays où l’usage veut que chaque livre soit soigneusement emballé, si bien qu’il est impossible de feuilleter avant d’acheter. Ici, on peut les ouvrir puisqu’ils sont d’occasion, parfois très anciens, et de toutes provenances. J’ai remarqué par exemple un Journal de Mickey des années 60. Je recommande l’adresse, que vous cherchiez des ouvrages en mexicain, anglais, français, allemand … Tous les classiques de la littérature mondiale y sont, et en général joliment reliés.
Tout au fond, plusieurs salles en enfilade rendent hommage au plus grand graveur mexicain, à qui l’on doit l’invention des calaveras, qui sont des représentations de squelettes universellement admirés durant les fêtes de Toussaint qui s’étendent (au moins) du 25 octobre au 3 novembre avec pour point culminant le Dia de los Muertos le 2 novembre
Est-ce parce qu’il avait commencé en illustrant des étiquettes de boites de cigares que ses squelettes masculins fument systématiquement des Havanes ? Il n’acquit en tout cas pas sa notoriété de son vivant. Il mourut dans la misère le 20 janvier 1913, à l’âge de soixante et un an, probablement des suites de sa consommation excessive de tequila, et dans l’indifférence générale puisque son corps fut jeté dans la fosse commune. Il est admis que c’est Diego Rivera, l’illustre artiste mexicain qui le redécouvrit dans les années 30, qualifiant son génie d’aussi grand que Goya ou que Jacques Callot, suivi par André Breton. Depuis, le succès ne faiblit jamais. Ses squelettes n’en finissent pas d’inspirer le monde entier à longueur d’année. Mais l’histoire est un peu plus compliquée que cela.
Posada est né le 2 février 1852 à Aguascalientes, à 450 km au nord de Mexico. Très doué pour le dessin depuis l’enfance il entre à l’Académie des Arts & Métiers puis dans un atelier de gravure et de lithographie, où il produit des estampes religieuses, des cartes de visite, des copies de tableaux célèbres, et dès 1871, une illustration pour un pamphlet politique intitulé El Jicote, caricaturant le gouverneur à la manière des portraits de Daumier. L’année suivante, alors qu’il n’a que vingt ans, il fonde un nouvel atelier dans la ville de León avec son patron José Trinidad Pedroza.
Malheureusement des inondations catastrophiques vont détruire l’atelier en juin 1888 l’atelier, comme des milliers de bâtiments et noyer quantité de personnes (parmi elles plusieurs membres de sa belle-famille). Posada représentera l'événement dans la revue La Patria ilustrada, éditée par Ireneo Paz (le grand-père du prix Nobel de littérature Octavio Paz).
Pressentant le potentiel du graveur, cet éditeur l’accueille à Mexico et lui prédit un bel avenir. Cependant c’est avec Antonio Vanegas Arroyo (1852–1917), fondateur d’une maison d’édition populaire, que Posada va travailler pendant plus de vingt ans sur un papier de mauvaise qualité, pour un lectorat d’artisans et d’ouvriers. Il a pour collègues un autre graveur mexicain et caricaturiste, Manuel Manilla (1830-1895) que l’on considère comme précurseur dans le domaine des calaveras et qui l’inspira de toute évidence. Un livre paru en octobre 2025 chez les éditions Hobo rend compte des influences qui ont permis à Posada de concrétiser son style en plaçant cote à cote des oeuvres des deux graveurs.
Posada effectuera plus de 10 000 xylographies terrifiantes ou burlesques, toujours agrémentées de motifs originaux. Il se moque de toutes les classes sociales, que la mort réunit dans un mouvement on ne peut plus égalitaire et sans jamais être morbide.
José Guadalupe Posada, Calavera de la Catrina, 1910
Tout l’imaginaire déployé dans le film d’animation Coco des studios Disney en 2017 était déjà présent au début du XX° siècle dans les représentations de Posada. Son oeuvre la plus célèbre est un crâne de femme portant un immense chapeau orné de fleurs et de plumes. Cette calavera très particulière a été surnommée la « Catrina ». Mais dans l’estampe originale elle est la Calavera Garbancera, un titre faisant référence aux paysannes indigènes qui vendaient dans les rues des haricots garbanzo (le pois chiche était consommé aussi bien par les nobles que par les classes populaires).
En l’habillant de vêtements voyants Posada dénonce la manière dont ces femmes tentaient de faire croire à une appartenance à une classe supérieure en se poudrant le visage et en portant des vêtements français à la mode. Elle-même est donc une caricature, et ses orbites écarquillées et ses dents en avant ne trompent personne. L’affiche a été publiée un an après sa commande par Vanegas Arroyo en 1912, un an avant la mort de Posada, et est restée longtemps dans l’ombre bien que sa silhouette a été recyclée en plusieurs autres personnages.
Au milieu des années 1920 le français Jean Charlot se penche sur l’œuvre de Posada, retrouve son éditeur, publie des articles et alerte des artistes comme Diego Rivera et la critique Frances Toor, spécialiste de la culture mexicaine. Ensemble ils ont publié en 1930 le premier livre de gravures de Posada dans lequel la Garbancera est renommée Catrina. L’exposition Posada à l’Art Institute of Chicago en 1944 lui confère la célébrité en la plaçant sur la couverture du catalogue.
Rivera la placera au premier rang de sa fresque Songe d’un dimanche après-midi dans les jardins de l’Alameda (1947-48, principale oeuvre exposée de façon permanente au Musée Mural Diego Rivera depuis 1986), longue de près de 16 mètres et rassemblant plus de 400 personnages. On le voit devant Frida Kahlo, de taille enfantine, tenant la main de la Catrina vêtue d’une longue robe blanche et d’un boa rappelant autant la Belle époque que le serpent méso-américain Quetzalcoalt, avec une paire de bésicles pendant à son cou, accompagnée de son créateur José Guadalupe, habillé en bourgeois et lui tenant lui aussi la main.
Depuis, la Catrina a le statut de figure centrale de la culture mexicaine, a été intégrée dans de multiples autres oeuvres de nombre d’artistes, et s’est internationalisée, notamment dans el cadre du Mouvement Chicano défendant les droits civiques des Américains d’origine mexicaine dans les années 1960-70.
L’adresse est bien moins connue que celle de la Casa Azul mais elle mérite largement votre intérêt quelle que soit la période de l’année de votre séjour. Ne manquez donc pas la visite du Salon Posada si vous vous trouvez dans le quartier richement culturel de Coyoacan.
Salon Posada
Tres Cruces 99, Coyoacán, 04010 Ciudad de México, CDMX, México, 5556593765





