En ce jour anniversaire de la catastrophe de Fukushima je voudrais revenir sur le livre que Dany Laferrière a écrit suite au tremblement de terre d'Haïti. On constate d'ailleurs que les dérèglements climatiques sont source d'inspiration pour les cinéastes et les écrivains ( Clint Eastwood avec Au-delà, Gilles Leroy avec Zola Jackson, Laurent Gaudé avec Ouragan dont j'ai démarré aussi la lecture dans le cadre du Prix du roman d'Antony).
Dany Laferrière a écrit là un entre deux, à mi-chemin entre journal, documentaire, brèves, nouvelles, critiques et dénonciations (comme cette diatribe contre les méthodes des photographes amateurs de sensations ou encore sur le mode opératoire des médias qui puisent tous à la même source des banques d’images les mêmes extraits qu’ils nous servent tous en boucle, modelant ainsi notre mémoire), charriant les souvenirs qui remontent à la surface dans un désordre apparent.
L'écrivain croise des réflexions intimes avec des faits publics, obéissant à l’injonction de son neveu (p.51) : vous pouvez écrire votre journal, mais pas de roman.
Du coup on a un peu l'impression que cela nous arrive en vrac, obéissant à un désordre dont on ne comprend pas la logique, même si le livre commence en de manière classique par « La minute » : on a eu 8 à 10 secondes pour prendre une décision. Quitter l’endroit (ce fut la bonne) ou rester.
Dany Laferrière revient à intervalles réguliers sur l'instant de la catastrophe, et sur les lieux où elle continue de se dérouler, nous disant que jusqu’à 16 heures 52 le 12 janvier 2010 on vivait dans l’insouciance. L'emploi de ce mot, insouciance, est curieux quand on connait l’histoire du pays.
Ici on dit le 12 janvier comme ailleurs le 11 septembre. (...) La mort en nous frôlant laisse en nous une frénésie qui nous pousse à défier les dieux (par exemple en se risquant à retourner dans sa chambre d’hôtel alors qu’une prochaine secousse menace).
On risque plus à fréquenter les supermarchés (qui ne sont pas construits selon les normes sismiques) que les marchés en plein air.
Haïti est entré avec fracas dans l’humanité de tellement de gens qui sont prêts à aider sans savoir où va leur argent. (p.94)
On pourrait multiplier les citations. Chaque phrase est lourde de sens même si elles s'empilent sans véritablement s'enchainer. Car l'analyse va au-delà de la simple narration. Les choses s’additionnent au lieu de se soustraire. L’auteur pointe le tempérament des Haïtiens, qu’il regarde comme « des conteurs-nés qui s’expriment aujourd’hui à l’écrit » (p.57). Il nous apprend qu'un nom a été donné localement au tremblement de terre, comme les autorités font avec les cyclones. On le désigne sous le terme de Goudougoudou, sorte d'allusion au bruit que la terre a fait en se dérobant.
Il souligne les difficultés à s’orienter pour ceux qui ont toujours refusé d’utiliser le nom des rues. Les gens emploient des éléments de l’ancienne ville avec des repères nouveaux. La ville est frappée par un double malheur (p. 175) : malheur individuel (on a perdu des amis ou des parents) et malheur collectif (on a perdu une ville).
Il ne peut s’empêcher de généraliser et d'envisager la situation avec un certain recul : Le Brésil a trois choses en commun avec Haïti : le café, l’amour du foot et le vaudou. Plus tard il ajoute la passion pour la musique. Dans ce pays (aussi) il faut arriver à l’hôpital avec ses médicaments. Alors on n’y va que quand la douleur est insupportable. La maladie est un luxe. On passe de la vie au trépas.
Il invoque la formule de Senghor qui pose un regard de marxiste sur l’histoire haïtienne : « l’émotion est nègre et la raison est hellène » (p.54).
De retour à Montréal et après avoir conversé avec sa mère au téléphone qui lui semble, à plus de 80 ans, être dans une forme « splendide », Dany Laferrière conclut (p.86) qu’il y a des gens qui retrouvent leur énergie quand tout s’écroule autour d’eux. Et c'est là sans doute à la fois la force et la faiblesse du livre, oscillant constamment entre analyse et synthèse. Sans jamais quitter sa posture d’écrivain, qui lui fait employer le « je », renvoyant du même coup au titre, à ce « moi » qui soudain explose dans son égocentrisme.
Difficile de le condamner, il fait son métier d’écrivain, mais pourtant lui aussi tire intérêt de la catastrophe. A l'inverse des autres auteurs que j'ai cités en début du billet on doit au moins lui accorder qu'il se trouvait au cœur du phénomène quand il s'est produit. Et que probablement cet ouvrage est à relier avec son précédent livre, l'Énigme du retour, écrit après la mort de son père, et qui était un magnifique roman, lui aussi déjà à la frontière de plusieurs genres littéraires, intégrant des textes poétiques d'une grande beauté.
Il revenait à Port-au-Prince après 30 ans vécus loin, surtout au Canada, sans pouvoir se douter qu'à la prochaine visite la ville serait secouée par un séisme. Rien d'étonnant à ce qu'il écrive ensuite sur la mise en perspective de ses repères.
Dany Laferrière a écrit là un entre deux, à mi-chemin entre journal, documentaire, brèves, nouvelles, critiques et dénonciations (comme cette diatribe contre les méthodes des photographes amateurs de sensations ou encore sur le mode opératoire des médias qui puisent tous à la même source des banques d’images les mêmes extraits qu’ils nous servent tous en boucle, modelant ainsi notre mémoire), charriant les souvenirs qui remontent à la surface dans un désordre apparent.
L'écrivain croise des réflexions intimes avec des faits publics, obéissant à l’injonction de son neveu (p.51) : vous pouvez écrire votre journal, mais pas de roman.
Du coup on a un peu l'impression que cela nous arrive en vrac, obéissant à un désordre dont on ne comprend pas la logique, même si le livre commence en de manière classique par « La minute » : on a eu 8 à 10 secondes pour prendre une décision. Quitter l’endroit (ce fut la bonne) ou rester.
Dany Laferrière revient à intervalles réguliers sur l'instant de la catastrophe, et sur les lieux où elle continue de se dérouler, nous disant que jusqu’à 16 heures 52 le 12 janvier 2010 on vivait dans l’insouciance. L'emploi de ce mot, insouciance, est curieux quand on connait l’histoire du pays.
Ici on dit le 12 janvier comme ailleurs le 11 septembre. (...) La mort en nous frôlant laisse en nous une frénésie qui nous pousse à défier les dieux (par exemple en se risquant à retourner dans sa chambre d’hôtel alors qu’une prochaine secousse menace).
On risque plus à fréquenter les supermarchés (qui ne sont pas construits selon les normes sismiques) que les marchés en plein air.
Haïti est entré avec fracas dans l’humanité de tellement de gens qui sont prêts à aider sans savoir où va leur argent. (p.94)
On pourrait multiplier les citations. Chaque phrase est lourde de sens même si elles s'empilent sans véritablement s'enchainer. Car l'analyse va au-delà de la simple narration. Les choses s’additionnent au lieu de se soustraire. L’auteur pointe le tempérament des Haïtiens, qu’il regarde comme « des conteurs-nés qui s’expriment aujourd’hui à l’écrit » (p.57). Il nous apprend qu'un nom a été donné localement au tremblement de terre, comme les autorités font avec les cyclones. On le désigne sous le terme de Goudougoudou, sorte d'allusion au bruit que la terre a fait en se dérobant.
Il souligne les difficultés à s’orienter pour ceux qui ont toujours refusé d’utiliser le nom des rues. Les gens emploient des éléments de l’ancienne ville avec des repères nouveaux. La ville est frappée par un double malheur (p. 175) : malheur individuel (on a perdu des amis ou des parents) et malheur collectif (on a perdu une ville).
Il ne peut s’empêcher de généraliser et d'envisager la situation avec un certain recul : Le Brésil a trois choses en commun avec Haïti : le café, l’amour du foot et le vaudou. Plus tard il ajoute la passion pour la musique. Dans ce pays (aussi) il faut arriver à l’hôpital avec ses médicaments. Alors on n’y va que quand la douleur est insupportable. La maladie est un luxe. On passe de la vie au trépas.
Il invoque la formule de Senghor qui pose un regard de marxiste sur l’histoire haïtienne : « l’émotion est nègre et la raison est hellène » (p.54).
De retour à Montréal et après avoir conversé avec sa mère au téléphone qui lui semble, à plus de 80 ans, être dans une forme « splendide », Dany Laferrière conclut (p.86) qu’il y a des gens qui retrouvent leur énergie quand tout s’écroule autour d’eux. Et c'est là sans doute à la fois la force et la faiblesse du livre, oscillant constamment entre analyse et synthèse. Sans jamais quitter sa posture d’écrivain, qui lui fait employer le « je », renvoyant du même coup au titre, à ce « moi » qui soudain explose dans son égocentrisme.
Difficile de le condamner, il fait son métier d’écrivain, mais pourtant lui aussi tire intérêt de la catastrophe. A l'inverse des autres auteurs que j'ai cités en début du billet on doit au moins lui accorder qu'il se trouvait au cœur du phénomène quand il s'est produit. Et que probablement cet ouvrage est à relier avec son précédent livre, l'Énigme du retour, écrit après la mort de son père, et qui était un magnifique roman, lui aussi déjà à la frontière de plusieurs genres littéraires, intégrant des textes poétiques d'une grande beauté.
Il revenait à Port-au-Prince après 30 ans vécus loin, surtout au Canada, sans pouvoir se douter qu'à la prochaine visite la ville serait secouée par un séisme. Rien d'étonnant à ce qu'il écrive ensuite sur la mise en perspective de ses repères.
Dany Laferrière, Tout bouge autour de moi, Grasset, 2011
Dany Laferrière, l'Énigme du retour, Grasset, Paris, 2009
3 commentaires:
Je veux découvrir la plume de Dany Laferrière depuis un petit moment déjà mais je ne suis pas sûre de vouloir lire cet "essai-témoignage". Intéressant de voir également comme la catastrophe a marqué la scène littéraire du pays. Récemment, j'ai lu Noires Blessures de Dalembert qui s'est un peu distingué des auteurs haitiens en publiant un livre se passant en Afrique, histoire de prendre de la distance.
Merci pour la référence que je vais découvrir dès que possible.
en lisant ce livvre j ai l impression d'etre sur une autre planete,, tout est accomplit le style la langue.. wow c est beau felicitation
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