Publications prochaines :

La publication des articles est conçue selon une alternance entre le culinaire et la culture où prennent place des critiques de spectacles, de films, de concerts, de livres et d’expositions … pour y défendre les valeurs liées au patrimoine et la création, sous toutes ses formes.

jeudi 29 février 2024

La fantaisie de Murielle Magellan

Voilà (déjà !) le septième roman de Murielle Magellan et je m'inquiète un peu de savoir si je vais autant m'enthousiasmer pour celui-là; drôlement intitulé La fantaisie, que je l'ai fait pour les précédents.
Sortant d’une cruelle et longue dépression où elle a failli perdre tout ce qu’elle aime, Mona tente de se reconstruire en s’installant dans un minuscule appartement d’une tour de banlieue parisienne. Les marches de l’escalier qui conduit au lit-mezzanine sont astucieusement aménagées en casiers de rangement mais l’un d’entre eux est scellé. À l’intérieur, elle découvre le manuscrit qu’un jeune homme a enfoui là vingt ans plus tôt. Insolent et drôle, le texte lui donne envie de retrouver l’auteur.
Mais que reste-t-il des jeunes gens audacieux après vingt ans de vie ordinaire ? Où ont disparu les désirs, les énergies, les fantasmes ? Où se sont perdus les éclats de rire et la rage de vivre ? Peut-on réinventer la fantaisie ?
C'était tout ce que je savais de l'intrigue avant d'ouvrir le livre qui, je dois le confesser, a été autant addictif pour moi que ne le fut le manuscrit découvert par Mona. Il faut dire que Murielle a la plume légère, vive, extrêmement métaphorique, n'hésitant pas à qualifier Jonas de poids plume devant l'éternel (p. 51). 

Le romantisme du personnage féminin m'a amusée parce que je m'y suis reconnue. Elle s’enflamme vite et ce sont bien davantage que des plans sur la comète qu’elle va tracer sans retenue. Force sera de constater que ses rêves seront tenaces autant qu’une tâche incrustée dans la nappe.

La couverture annonce la musique avec ce puzzle de façades d'immeubles qui composent une sorte d'oiseau en origami.

Il est certes question de "fantaisie" mais le mot n'est pas forcément à considérer au pied de la lettre parce que j'ai trouvé de profondes réflexions sur la mort (notamment p. 55) et je n'ai alors pas jugé le roman fantaisiste même si l'auteure répète le mot plusieurs fois (p. 150 et 166).

Il me semble qu'elle est plutôt sérieuse. En voici la preuve pour toi ô lectrice (ou lecteur, parce que je ne choisis pas l’une ou l’autre) il existe bel et bien un musée de la fleur à Olioules, ce qui justifie l’allusion relevée en bas de la page 115.

Murielle raconte une blague juive (p. 109), ce qui me donne l’occasion de m’interroger. Pourquoi n’existe-t-il pas de blague catholique ? A fortiori de blague protestante ? Quoique, à la réflexion, cette double question puisse être considérée comme une blague. J'en ai quand même trouvée une que j'ose donner ici (et qui est plus comique quand elle est dite à voix haute) : Que dit-on à Jésus lorsqu’il fait une blague qui n’est pas drôle ? Jésus, t’es naze, arrête !

Plusieurs passages sont immensément mélancoliques, à l'image du silence cathédrale qui s'installe entre Mona et sa fille (p. 17). Le lecteur est fermement invité à réfléchir parce que nous ne voyons pas les choses telles qu'elles sont, nous les voyons tels que nous sommes (comme nous en prévient le Talmud p. 192). Egalement parce que la fleur ne réfléchit pas au parfum qu'elle répand (p. 107). je vous conseille de mémoriser la phrase pour la ressortir dès que vous vous sentirez incompris.

Il sera également amené à se poser des questions sur le capitalisme (p. 124) et, c'est plus trivial, sur le mode d'emploi de la décalcomanie (p. 125). Entre temps il aura appris ce qui a justifié l'abandon du képi en 1985 (p. 28), l'origine de l'expression être né de la dernière pluie, comment bénéficier des bienfaits de la cryothérapie en cas de mal de tête (p. 84), employer à bon escient à chaque changement de saison le mot japonais nagori (p. 92), l'étymologie du mot négoce (p. 123). Le roman est foisonnant mais je n'ai pas dit les choses de cette manière à Murielle quand nous en avons parlé afin qu'elle n'ait pas à masquer l'insolite satisfaction narcissique du compliment, comme elle le formule si bien (p. 199).
Après ces réflexions sur ma lecture je peux compléter avec les confidences qu'elle a faites à un groupe d'amis venus à sa rencontre dans le cadre de la très accueillante librairie Maruani du 171 boulevard Vincent-Auriol - 75013 Paris. C’était le 29 février, preuve ultime de fantaisie en cette année bisextile.

Décrivant son héroïne, elle convient que c'est peut-être Marie-Line, vingt ans plus tard, au bout de sa life. Plus sérieusement, et avec une grande sincérité, elle confie avoir écrit ce livre à un moment où elle avait perdu l'envie de rire, s'interrogeant sur la source de ce mal être qui pouvait aussi bien provenir d'elle-même que de la morosité ambiante.

Elle se dit alors que si l'humour était un objet ce serait un manuscrit contenant le sens de la dérision qu'elle a perdu. Un texte à l'humour décalé, mais qui aurait le pouvoir d'interroger le monde, sans contourner le réel. Comme l'ont fait des auteurs comme Irving ou Vian. Ajoutez à cela la certitude que le passé prend son temps pour resurgir mais il le fait.

Et l'envie de se confronter à un double récit qui contraindra à trouver deux musiques. Car la forme doit nécessairement apporter une excitation à l'écrivaine dont la volonté demeure de nous offrir des histoires qui rendront notre monde plus doux.

Et qui au passage nous feront pour le moins sourire. J'ai imaginé Jonas en biche traquée en quête d'issues sylvestres (p. 68). Je me suis approprié la formule Passe-moi le dico en cas d'énigme lexicologique (p. 58). C'est un réflexe qu'elle a en commun avec un des personnages d'Eclipses, un roman de Daphné Vanel, chez le même éditeur, et que je chroniquerai bientôt. J'ai failli le dire en tombant sur le mot thaumaturgique que je ne voyais pourtant pas pour la première fois mais qui là me semblait hors contexte.

Et puis, régulièrement au fil de la lecture, j'ai repéré des incohérences (c'est presque maladif) qui quelques lignes plus tard étaient résolues. A peine ai-je le temps de m'étonner que Jonas ne se soit pas rendu compte de la disparition du manuscrit que Murielle explique qu'il faudrait être maraicher pour apprécier la variation de poids. Je ne m'offusque pas longtemps que Misery soit attribué au cinéaste Bob Reiner (p. 135). Murielle s'empresse de préciser qu'on doit ce chef d'oeuvre à Stephen King. Et je dois aussi la remercier pour sa jolie description d'Enghien qui me rappelle que je m'étais engagée à y faire un reportage.

Murielle Magellan née à Limoges, est une écrivaine et réalisatrice. Elle a grandi à Montauban. Après une formation de chanson (Studio des Variétés), de comédienne (École du théâtre national de Chaillot), et universitaire (maîtrise de Littérature moderne), elle se consacre à l’écriture sous ses diverses formes, ainsi qu’à la mise en scène de spectacle vivant. J'ai adoré son premier film, en tant que réalisatrice, La page blanche (2022) et j'ai hâte d'en voir un second.

Depuis Le Lendemain, Gabrielle (2007), elle a publié Un refrain sur les murs (2011), N’oublie pas les oiseaux (2014), Les Indociles (2016) et Changer le sens des rivières (2019) tous chez Julliard puis chez Mialet-Barrault Géantes (2021). La Fantaisie est son septième roman.

Puis-je oser un regret ? L'absence de play-list à la fin de l'ouvrage, parce que c'est plus commode de s'y référer plutôt que de noter les morceaux au fur et à mesure de leur citation. Ça se fait de plus en plus en littérature, toujours pas au théâtre (cela devrait être répréhensible, et je ne plaisante pas) alors que c'est naturel au générique des films.

Par contre, en bonus (comme on dit dans le milieu du cinéma) je vous offre ces clichés de murs peints dans le quartier où la librairie est installée et qui, au printemps ne seront pas aussi nettement visibles, une fois que les arbres auront reverdi.

La fantaisie de Murielle Magellan, Mialet-Barrault Éditeurs, en librairie depuis le 3 janvier 2024

mercredi 28 février 2024

Une histoire irlandaise de et interprétée par Kelly Rivière

Peu importe qu’on l’appelle Une histoire irlandaise ou An Irish Story, c’est du très bon spectacle. Et vous constaterez en sortant que vous êtes devenu bilingue en moins d’une heure trente.

Et même plus parce que Kelly Rivière jongle avec les accents comme elle joue avec les mots. Rien d’étonnant à ce que le public avignonnais se soit tant régalé à l’Artéphile l’été dernier.

Elle nous raconte l’enquête qu’elle a menée pour tenter de retrouver son grand-père, Peter O’Farrel, né dans les années 30 en Irlande du Sud, parti s’installer en Angleterre dans les années 50 et qui disparaît dans les années 70.

L'autofiction est un genre à la mode mais risqué. Or, en traversant les époques, les frontières géographiques et linguistiques, la comédienne polymorphe propose un voyage au cœur d’une famille, avec ses secrets et ses non-dits et livre une histoire marquée par l’exil si intime qu’elle en devient universelle.

Le décor vise (forcément car la scène est réduite) l'efficacité et c'est parfait. Une pile de livres annonce l'importance de la littérature. Un plaid écossais évoque la Grande-Bretagne au sens large, mais aussi la douceur d'un cocon familial. Les photos de famille sont accrochées à des fils comme du linge (propre) après la grande lessive de printemps et au début du spectacle Kelly est assise, dos au public, perdu dans la contemplation …
Il faudrait vous dire, mais comment le narrer avec exactitude … l’énergie de cette jeune femme qui change de personnage (je crois qu'ils sont 25) sans modifier son costume, qui se fait à la fois conteuse et tisseuse, enquêtrice et juge, française et étrangère, … et qui nous captive avec une histoire quasi insensée, pleine d'émotions, et avec ce qu'il convient d'humour pour que la soirée soit inoubliable.

Qui avoue ses faiblesses et ses erreurs en nous rassurant. Elle a raison : on ne sait jamais où ,vous ment nos ratages.

Ce spectacle est essentiel aussi pour nous rappeler que le racisme et la xénophobie sont hélas des pratiques qui peuvent toucher tout le monde, partout. Des affiches prévenant "No Blacks, no Irishs, no dogs" ont été placardées en Irlande sur les vitrines de pubs, cafés ou magasins. Il faudra attendre la Race Relations Act de 1965 pour que de telles pratiques deviennent illégales.
Comédienne d’origine franco-irlandaise, formée en danses classique et contemporaine au Conservatoire régional de Lyon puis au cours Florent, Kelly Rivière est également traductrice … et formidable comédienne.
An Irish Story / Une histoire irlandaise
Texte, mise en scène et jeu Kelly Rivière
Collaboration artistique Jalie Barcilon, David Jungman, Suzanne Marrot, Sarah Siré
Scénographie Grégoire Faucheux et Anne Vaglio
Costume Elizabeth Cerqueira
Du 3 mars au 19 juin 2024 à 19h, 19h 30 ou 21h
A La Scala Paris -13, boulevard de Strasbourg - 75010 Paris 

mardi 27 février 2024

Le saké est-il dépendant de la variété de riz ?

Le saké est-il dépendant de la variété de riz, et si oui jusqu’où ? La question a été débattue au cours d’une master-class de deux heures organisée sous l’égide de la NTA (National Tax Agency) du gouvernement japonais le 26 février dernier dans les locaux de Papilles et pupilles, rue Vignon.

C’est Julia Scavo DipWSET qui explora le sujet qu’elle argumenta avec une dégustation en 5 étapes qui nous permirent de découvrir la diversité de Sakamaï, le riz pour le saké.

Julia avait préparé son intervention avec le plus grand soin. Elle a été très précise dans toutes ses affirmations qu’elle appuyait sur d’immenses tableaux de données et de chiffres (que je n’ai pas pu lire depuis la place où je me trouvais et qu’il aurait été impossible à mémoriser).
Bien entendu elle s’adressait à une assemblée de spécialistes qui connaissaient tous l’univers du saké et qui, pour la plupart, avaient déjà gouté les boissons proposées. Si j’ai progressé dans le domaine, comme en témoignent les articles publiés précédemment, je suis loin d’en savoir suffisamment pour retenir ce type de leçon mais j’ai progressé dans mes connaissances.
On dénombre 270 variétés de riz, dont une centaine sont courantes. Le Sakamaï est un riz de brasserie. Le Shokumaï est un riz de table. On pourrait établir un parallèle avec le raisin en rapprochant le premier du raison de cuve et le second du fruit qu’on sert comme fruit en fin de repas. A la différence près que s’agissant de riz on voudra les plus gros grains possible pour faire du saké. Et il ne faut pas négliger qu’après la seconde guerre mondiale la pénurie a conduit les riziculteurs à privilégier les variétés de riz de table.
Historiquement trois familles de riz étaient cultivées :
- le Japonica, aux grains ronds, relativement peu gluant, et donc idéal pour le saké
- le Javanica qui a de gros grains 
- l’Indica dont les grains ont une forme allongée, qui est très gluant en raison d’une forte présence d’amilopectine.

Aujourd’hui on serait à 30% en Yamadanishiki, 25% en Gohyakumangoku et 10% en Miyamanishiki. Sans renier l’importance du shinpaku, linéaire, ventral, pointillé, ellipsoïdal.

La question se pose de savoir en quoi la variété a de l’importance sur le saké. Certains vont jusqu’à penser que la climatologie aurait un impact et que donc on pourrait millésimer cette boisson. Mais nous verrons que l’intervention humaine est le paramètre le plus déterminant. la manière de brasser et le travail de la levure sont essentiels.

lundi 26 février 2024

Le Salon du Fromage et des Produits Laitiers 2024

Le Salon du Fromage et des Produits Laitiers est un de mes préférés d’autant qu’il ne se déroule que tous les deux ans. Beaucoup plus serein que le Salon de l’agriculture et sans plus plus professionnel (je veux dire par là qu’on n’y vient pas pour collationner sacs, stylos et ballons), il est vraiment intéressant. 

Comme toujours, c’est un dilemme de choisir entre aller saluer ceux que je connais et apprécie déjà et découvrir d’autres producteurs et appellations. Et j’ai beau prévoir plusieurs heures, ça ne suffit jamais, surtout si je me laisse tenter par une master class.

L’inconvénient (et cela me semble être un défaut commun à tous les salons) c’est une signalétique hasardeuse. La constitution d’une liste comportant le numéro de chaque stand retenu d’avance n’est pas d’une grande aide car, une fois sur place, on constate que les allées ne sont pas forcément cohérentes. Par exemple les stands D sont répartis dans deux endroits. Il faudrait à minima améliorer l’édition d’un plan comportant les noms des exposants. 
Ajoutez à cela que certains dominent par l’excellence de leur conception, surtout lorsqu’ils sont en angle. Difficile donc de ne pas succomber (le mot est à peine excessif) à la superbe présentation de Graindorge ou des Beurres Bordier qui sont d’ailleurs des entreprises que je recommande volontiers.

On voit ça et là des plateaux avec des découpes originales qui pourraient constituer des suggestions de présentation sympathiques pour nos prochains repas.
A ce propos je serais la première à m’inscrire à un atelier de coupe (je crois qu'il y en avait un, mais un jour précédent) pour peu qu’on m’enseigne quel est le couteau qui convient à quel type de fromage. Nous sommes sans doute nombreux à en ignorer l’essentiel.
On se croit pro et inoxydable et on se surprend à sourire devant une peluche, s’arrêter et hop on est cueilli par un fromager ou une fromagère qui propose une dégustation. Je n’ai d’ailleurs fait que de goûteuses découvertes. Parmi elles, l’ensemble des fromages de la collective Onetik en cherchant l’Ossau Iraty Agour (Stand B059) parce qu’il était un des coups de coeur du salon (je donne en fin d’article la liste et le contexte de ces coups de coeur qui permettent la mise en valeur de produits auxquels on n’aurait pas forcément pensé).

Seul le lait de brebis de races traditionnelles est employé pour faire l’Ossau Iraty. Il est affiné sur planches de bois pendant de longs mois afin de développer des notes de noisettes et de fruits secs. Sa complexité aromatique et sa longueur en bouche en font une valeur sûre sur un plateau de fromages.
Ossau-Iraty (en plusieurs déclinaisons), Tomme, Bleu des Basques, mais aussi Tomme des Pyrénées au lait de vache, et enfin Tomme de chèvre … voilà quelques exemples de la production de cette fromagerie dont je vais me souvenir.

dimanche 25 février 2024

Nouvel album de JeHan On ne sait jamais

Jéhan également orthographié JeHan, de son vrai nom Jean-Marie Cayrecastel, est un chanteur-compositeur français né en 1957.

Son nom le prédestinait sans doute au destin d'être trouvère puisqu’il signifie "château de pierre" en occitan. Cependant c’est dans l'Allier qu’il a vu le jour et dans le Quercy qu’il a passé la plus grande partie de son enfance avant de demeurer désormais en région toulousaine.

Il est notamment reconnu comme interprète hors pair des œuvres de Bernard Dimey. Il est également l'ami et l'interprète de Claude Nougaro, Allain Leprest et Loïc Lantoine. Ces deux derniers ont coécrit les paroles de son album Les ailes de Jehan (1999). C’est que Jehan aime les textes et est un poète.

Si vous ne connaissez pas cet artiste, je vous recommande de commencer par La vie en Blues (2011), un album de reprises dans lequel il interprète - mais totalement à sa manière- de grands standards de Joe Dassin, Nicoletta, Brel, Brassens et de quelques autres immenses artistes. L’écouter interpréter Bahia de Véronique Sanson (1972) est une totale surprise. Cet album est devenu l’indispensable compagnon de mes longs trajets en voiture, car j’ai la chance de disposer encore d’un lecteur de CD qui transforme mon véhicule en studio.

L’univers musical de Jéhan est particulier. On a le sentiment de le pénétrer par effraction, mais une fois apprivoisé il est en nous pour toujours. Il sort le mois prochain , via La Jument du Jeudi, son cinquième album, On ne sait jamais, disponible également en digital. La voix reste souterraine et les mots s’entendent parfaitement. Mais il s’affranchit de ses affinités folk rock en accordant davantage de place au piano.

L'album commence par des cris d’enfants et nous entraine dans un long voyage où l'artiste renverse la situation en prétendant nous faire raconter ses propres souvenirs à Tunis, Venise, Corfou, Tel-Aviv, Hanoï, Détroit, Bogota, Calcutta … (Raconte-moi, piste 1).

Le piano enchaine lentement avec une déclaration d'amour faite à deux, chantée avec Isa Valenti et le violon arrive pour donner une touche mélancolique et surtout romantique (Loin de tout, piste 2).

Place à la guitare acoustique, si joliment doublée par la scie musicale, pour Tout est dit (piste 3). C'est encore une chanson d'amour qui donne envie de danser avant que l'artiste n'entame Les Chevaux de Montebello (piste 4) qui sont un des titres phare. Ce n’est pas une tocade pour cet artiste qui, depuis plus de 20 ans évoque cet animal dans les textes qu’il écrit. Mais ici son hommage est puissant et il nous invite à les suivre dans un pas à pas dansé. J’ignorais l’existence de cette écurie, qui se situe dans les Yvelines (78) à environ 15 km du centre de Paris, dans le Parc de Maisons-Laffitte, appelée Cité du Cheval de par ses aménagements dédiés aux activités équestres. L'écurie Montebello est très prestigieuse.

Je suis de ceux qui regardent les trains passer. Jehan se livre avec sincérité, s'accompagnant à la guitare mais sans renoncer aux accents graves ou amplifiés par l'électrique (Celui de ceux, piste 6). Dans la suivante, les confidences se font plus graves, en toute logique puisque c'est la nuit. Tu n'entends presque plus, ou seulement  que d'un oeil. Jehan a des formulations toutes personnelles pour évoquer le désarroi qui accompagne la fin d'une vie (Soudain la nuit, piste 7).

La guitare est alerte, avec ses tonalités country, pour évoquer Jennie Parker (piste 5). Nous sommes presque à cheval dans l'ouest américain. Mais plus tard, Madame Butterfly (piste 8) nous donne un autre portrait, annoncé avec renfort de trompettes. La danse devient ici tango, avec un zeste dramaturgie  Personne n'est à personne. Je ne sais plus où regarder. Les trompettes reprennent alors comme le feraient celles qui accompagnent un éloge funèbre. Et curieusement après quelques secondes de silence c'est en voix presque parlée que l'artiste poursuit (Le revenant piste 9) comme s'il s'adressait encore à cette Madame Butterfly.

L'histoire se poursuit encore avec L'homme passe (piste 10), où l'on retrouve une orchestration plus ample, avec guitares, des effets, des choeurs.

Place de nouveau à la sobriété, avec juste une guitare pour s'accompagner sur Entre nous (piste 11) et faire des confidences complémentaires, avouant ce qu'il ne sait pas mais avec tant de bienveillance que la volonté de ne retenir que les beaux instants est un gage de bonheur.

Attendre demain (piste 12) nous embarque encore une fois à cheval, avec cette guitare électrique qui sonne si clair. 

Et puis, parce qu'il faut finir, le piano martèle des notes avec gravité (Savoir en rester là piste 13). Les accords sont très dépouillés mais d'une beauté prenante. On ne sait jamais, répète-t-il, donnant ainsi le titre de l'album qui se termine en laissant toute la place à la musique.

J'ai beaucoup aimé cet album dont l'écriture est exigeante. Les ambiances sonores et musicales m'ont conquise. Je salue la réalisation par Jibé Polidoro, assisté de Gaël Faun, qui ont soigné les arrangements avec élegance en choisissant pour chaque titre les instruments qui convenaient à la poésie mélancolique mais jamais triste du chanteur.

Jéhan
Nouvel album On ne sait jamais
Disponible en digital - Sortie physique en mars 2024 via La Jument du Jeudi

samedi 24 février 2024

Il n’y aura pas de sang versé de Maryline Desbiolles

La lecture d'Il n’y aura pas de sang versé est plutôt bouleversante. Je connaissais très peu de choses du monde des ovalistes. 

Le fil de soie grège ne peut être tissé directement. Il faut le rendre plus résistant en le moulinant, c'est-à-dire en lui faisant subir une torsion avant de l'enrouler sur les bobines de moulins rendus plus performants par leur forme ovale. Au milieu du XIX° siècle, cette opération emploie des milliers d'ouvrières en France, dont beaucoup dans la région lyonnaise où on les appelle les ovalistes. Sans qualification, elles travaillent douze heures par jour, sont payées à la pièce bien moins cher que leurs homologues masculins, et comme on les recrute dans les campagnes environnantes et même jusqu'au Piémont, elles s'entassent dans des dortoirs insalubres et surpeuplés.

Les hommes y travaillant avait un autre statut, celui d’ouvrier moulinier et "bien entendu" un salaire de 30% supérieur.

Maryline Desbiolles n'a pas écrit un roman historique classique. Elle a choisi la métaphore de la course de relai pour raconter le récit (où les noms des héroïnes sont pure fiction) et elle s'en explique dans deux pages préliminaires au roman en reconnaissant que son choix est anachronique puisque l'histoire se déroule dans les années 1868 et 69 et que ce sport ne deviendra discipline olympique qu'en 1912.

L'auteure applique le principe de cette compétition d'équipe, qui se déroule avec quatre relayeuses qui se transmettent un témoin, ou qui se donnent une tape sur la main. Manifestement elle a tout appris de ce sport qu'elle décrit avec une précision chirurgicale. La comparaison est d'autant plus judicieuse qu'avec cette course il y a un rythme à respecter et qu'il n'y a pas de retour en arrière possible … comme finalement dans la vraie vie. Il faut dans la course s'engager totalement et avec courage, comme l'ont fait les femmes de ce roman plutôt court qui se lit d'une traite, à un rythme quasi haletant.

Contrairement à la grève des canuts la grève à laquelle les femmes vont participer ne sera pas sanglante. Elle ne fera pas de morts. Mais le lecteur se rendra vite compte que leur vie est étroitement liée au sang. C'est le filet des règles de Toia, la première, celui du viol de Rosalie Plantavin, la seconde, celui de l’accident de Marie Maurier, la troisième qui se blesse avec une faucille en faisant l'herbe pour les lapins, et celui de l’hémorragie de la délivrance de Suzette Cordier, l'amie de la quatrième, Clémence Blanc. On est loin du sang qui abreuve les sillons de la Marseillaise et qui est censé engendrer la rédemption. Ces femmes ne sont coupables de rien mais elles saignent et ne sont pas pour autant des héroïnes.

En juin 1869, un an avant la Commune de Lyon, elles se mettent en grève avec leurs camarades, réclament une augmentation de salaire et une réduction de leur temps de travail. Elles forment ainsi, parmi deux mille ouvrières, la première grève de femmes ­connue, rejoignant l’Association internationale des travailleurs (AIT), organisant la caisse, s’emparant de l’espace public, annonçant la création, dans cette même ville de Lyon, des premiers syndicats féminins quelques années plus tard.

Bien qu’illettrées et sans expérience, elles vont mettre en place les prémices d'une vraie organisation de lutte syndicale et tenteront d'obtenir le même salaire et les mêmes droits que les hommes. Gagner 2 F comme les hommes alors qu'elles ne perçoivent que 1,40 F et puis ne plus être logées comme les domestiques. De fait ensuite, certaines vont travailler "que" dix heures par jour et mettre à profit les deux heures dégagées pour apprendre à lire et écrire (p. 143).

Le roman se déroule avec une énergie féroce. L'auteure emploie régulièrement le "nous" qui implique le lecteur tout en donnant une impression de masse. Ses tableaux sont toujours extrêmement vivants sans jamais être trop bavards. La description du barda du colporteur se dévide sur presque une page entière (p. 20) et nous y sommes. Comme nous sommes subjugués par la vie de quasi martyre de ces femmes qui sont recrutées dans les compagnies et les montagnes. Il faut savoir qu'à cette époque des agents recruteurs cherchaient de la main d'oeuvre pour tous les pays (p. 61-62). On est loin de la situation que nous connaissons aujourd'hui. Sur le plan légal, émigrer était favorisé, mais les conditions de vie étaient souvent précaires.

Née en 1959 à Ugines, Maryline Desbiolles vit à Nice. Elle est l’autrice d’une œuvre importante, essentiellement publiée dans le collection Fiction et Cie au Seuil. Elle a été révélée au public avec La Seiche (1998), bientôt suivie d’Anchise (prix Femina, 1999). Charbons ardents a remporté le prix Franz Hessel 2022. Elle a rejoint en 2023 le catalogue de Sabine Wespieser éditeur.

Il n’y aura pas de sang versé de Maryline Desbiolles, Sabine Wespieser éditeur

vendredi 23 février 2024

Pelléas et Mélisande en version opéra de chambre

J’ai peu l’expérience de l’opéra et je ne vais pas en dire très long sur les voix ni sur la musique mais sur ce qui touche au théâtre car ce Pelléas et Mélisande, dont je sais qu’il est un drame lyrique en 5 actes et 12 tableaux, est aussi une pièce de théâtre.

Les auteurs, français ou francophone (n’oublions pas que Maurice Maeterlinck, belge, fut Prix Nobel de littérature en 1911) nous offrent un spectacle écrit en français, ce qui en facilite la compréhension.

Avec des interprètes qui s’expriment même lorsqu’ils n’ont pas de partition. Ainsi le jeune Yniold, le fils de Golaud, traverse souvent la scène. La mère de Golaud et Pelléas est la plus attentive possible. Après l’entracte elle regardera le pianiste, une flûte à la main, comme si elle se trouvait elle-même au concert. Il y a d’autres très beaux moments comme la scène où Arkel, roi d’Allemonde, manipule l’enfant pour lui faire raconter ce qu’il ne faut pas savoir. Le texte mérite souvent qu’on s’y arrête. Nous ne voyons jamais que l’envers des destinées nous préviendra le vieil homme, aveugle au demeurant.

C’est particulièrement émouvant d’assister à cette œuvre sous la coupole du théâtre qu’a dirigé Louis Jouvet pendant dix-sept ans après avoir été directeur de la Comédie des Champs-Elysées de 1925 à 1934 et où il est mort le 16 août 1951.

L’intrigue se déroule au Royaume imaginaire d’Allemonde, gouverné par le vieil Arkel. Après avoir rencontré Mélisande, créature fragile et énigmatique, au cours d’une chasse en forêt, le Prince Golaud l’a épousée sans rien savoir d’elle, puis l’a présentée à son demi-frère Pelléas.
Entre Mélisande et Pelléas, un lien secret s’est d’emblée tissé, fait de regards et de complicité, d’amour peut-être ? Golaud se met à épier Pelléas et Mélisande : il recommande d’abord à son demi-frère d’éviter son épouse, puis ne tarde pas à menacer fermement, dévoré peu à peu par la jalousie. Pelléas et Mélisande finissent par s’avouer leur amour : au moment où ils s’embrassent, Golaud sort son épée et tue Pelléas, laissant Mélisande s’enfuir. En présence d’Arkel et d’un Golaud rongé par les remords, la mystérieuse Mélisande s’éteindra lentement, sans que son mal soit clairement identifié et que Golaud ne parvienne à percer la vérité sur les liens profonds qui l’unissaient à Pelléas.
L’histoire se passe principalement sur la terrasse d’un château, qu’on imagine facilement en ruines, et dont la vue nous est dérobée. J’ai entendu des critiques à propos du fond de scène en contreplaqué, simplement ouvert d’une porte. C’est que le décor est marqué par une économie de moyens qui procure de grands effets. On est dans la suggestion, dans le cerveau de chacun des protagonistes, lesquels font ce qu’ils peuvent pour tenter d’être heureux. Comme un sortilège shakespearien contre lequel ils ne pourront lutter : c’est le dernier soir, il faut que tout finisse. J’ai joué comme un enfant aux pièges de la destinée (Pelléas).

S’agissant des accessoires, on est dans l’épargne. Pas de dorures. Rien d’ostentatoire. Les meubles ont été sortis des réserves de la Fondation de pendant les répétions. Ils sont dépareillés mais qu’importe puisqu’ils sont confortables. Il ne fallut acheter que le fauteuil roulant, chiné aux Puces car il n’aurait pas convenu qu’il soit du dernier cri. L’objet le plus précieux est le piano qui est l’élément essentiel. Il se trouve donc en pleine lumière. Il est tour à tour source de lumière, grotte, lit, table, salle de jeux, nous laissant deviner que Mélissande attend un bébé.

Le choix s’est porté sur la partition piano-chant pour transporter interprètes et auditeurs au coeur de l’œuvre et j’ai trouvé merveilleux de voir les mains du pianiste, Martin Surot, pendant toute la représentation. Que Claude Debussy ait lui-même réalisé la version piano-chant de Pelléas et Mélisande, réhausse l’intérêt de cette partition qui dépasse le cadre d’une simple réduction. Au gré des répétitions et des représentations des premières saisons, Debussy ne cessa de transformer, corriger, remanier son œuvre à maints endroits, imposant un tour de force éditorial pour mettre en conformité les éditions piano-chant avec la partition d’orchestre en mutation…

Il y a vingt ans Moshe Leiser et Patrice Caurier avaient mis en scène cet opéra au Grand Théâtre de Genève. De grands noms faisaient partie de la distribution. Si tous ceux qui l’ont vu conserve intacte l’émotion il était hors de question de reproduire le spectacle à l’identique. Le projet se devait d’être  différent. Voilà pourquoi c’est la version pour piano écrite par Debussy lui-même qui a été choisie, et bien entendu sans orchestre. Ce serait de plus l’occasion de travailler avec une nouvelle génération de chanteur avec l’objectif de faire accéder les spectateurs au plus près de l’essence de l’art lyrique : porter les mots du
poète par la musique.

S‘il est vrai que, selon les paroles de José Van Dam que chanter, c’est parler un peu plus haut alors il serait possible de faire comprendre au public combien cette histoire d’amour, de jalousie, d’oppression et de meurtre est un cocktail rendu explosif par la musique de Debussy. La directions d’acteurs révèle combien tous les personnages sont malades. Physiquement, psychiquement et surtout aveugles, chacun à leur manière.
Voilà pourquoi ce Pelléas et Mélisande est présenté sous la forme d’un opéra de chambre qui parle du désir comme aucun autre. Mélisande n’a pas guéri des traumatismes sans doute sexuels qui l’ont égarée dans la forêt où elle fut cueillie par le Prince Golaud. Sa maladresse à vouloir recomposer une famille est illusoire malgré les invocations multiples à la petite mère … L’enfant est presque le double de Mélisande. Silhouette semblable, longs cheveux qui parfois débordent du bonnet, timbre de voix comparable bien que l'une est soprano, l'autre mezzo-soprano. D’ailleurs le mot enfant revient souvent.

Si l’amertume est qualifiée d’enfantine, on observera la difficulté propre à l’enfance à gérer ses émotions. La passion et la jalousie provoquent des débordements en excès. Le roi a beau dire que les mots sont importants, aucun n’aura de vertu thérapeutique.

Une partie du public a lâché le navire à l’entracte, sans doute des cinéphiles pressés d’apprendre les récompenses des César remis dans l’établissement voisin. C’est banal. La grande majorité s’est regroupée, aimantée par la musique. Les chanteurs ont été fort applaudis mais le pianiste eut une ovation, tellement méritée. Il ne m’aura manqué que les rugissements des vagues et le ruissellement de l'eau.
Pelléas et Mélisande
Musique Claude Debussy
Livret Maurice Maeterlinck
Mise en scène Moshe Leiser & Patrice Caurier
Création lumières Christophe Forey
Costumière/habilleuse Sandrine Dubois
Avec Jean-Christophe Lanièce (baryton) dans le rôle de Pelléas, petit-fils d’Arkel 
Marthe Davost (soprano) en Mélisande
Halidou Nombre (baryton-basse) en Golaud, petit-fils d’Arkel et demi-frère de Pelléas 
Cyril Costanzo (basse) Arkel, roi d’Allemonde 
Marie-Laure Garnier (soprano) Geneviève, mère de Golaud et Pelléas 
Cécile Madelin (soprano) Yniold, fils de Golaud 
Pianiste Martin Surot
A l’Athénée Théâtre Louis-Jouvet
2-4, square de l’Opéra Louis-Jouvet I - 75009 Paris
Du 15 au  25 février 2024 à 16 ou 20 h
Les photos du dossier sont à créditer à Guillaume Castelot.

jeudi 22 février 2024

J’ai testé le bioseau de Mathon

On a tous de bonnes intentions. Trier, oui bien sûr, personne n’est contre. Seulement voilà, c’est souvent compliqué, surtout en appartement où la place est comptée.

S’agissant des papiers et des plastiques on peut, à la rigueur, les stocker dans un placard, dans un grand sac qu’on videra de temps en temps dans la grande poubelle à couvercle jaune. Ce n’est pas lourd et ça ne dégage que peu d’odeurs, en théorie.

On se débarrassera du verre au fur et à mesure. Les déchets végétaux sont autrement plus problématiques à collecter. D’abord ils sont vite volumineux pour peu qu’on fasse beaucoup de cuisine à partir de fruits et légumes frais (on apprécie vite les sacs de légumes congelés qui ne réclament pas d’épluchage et qui du coup n’encombrent pas la poubelle mais c’est un choix alimentaire).

J’avais récupéré, d’une cantine scolaire, un grand seau (en plastique malheureusement) qui avait contenu plusieurs kilos de mayonnaise (ça ne s’invente pas) que régulièrement j’employais pour préparer par exemple une salade de fruits pour 10 personnes qui était facilement transportable sur le lieu d’un pique-nique puisque l’objet avérait un couvercle.

Jusqu’à peu c’est lui que j’avais converti en seau de compostage. Ce n’était pas une solution optimale. Il était de par sa taille encombrant. Les peaux des fruits et des légumes s’y empilaient par couches qui se dégradaient, dégageant une odeur désagréable et attirant des nuées de moucherons minuscules, mais bien présents.

Certes, ce grand contenant me permettait de limiter à une fois par semaine son transvasement dans un des composteurs du jardin partagé du bout de la rue mais les points négatifs étaient plus nombreux que ce maigre avantage. Voilà pourquoi j’ai été intéressée de tester le bioseau de Mathon. Lire bio-seau donc on prononce biosso.
Il n’est pas sans inconvénient même s’il est difficile de les évaluer. Il ne pèse pas très lourd, est relativement modeste (26,5 x 16,2 x 16,9 cm) donc facile à caser sur le plan de travail. Sa stabilité est parfaite et les encoches permettent de le déplacer sans effort. Il est élégant, avec sa coque en bambou, un matériau naturel antibactérien et imputrescible. Le bac est en inox, ainsi que le couvercle, tous deux facilement nettoyables.

L'objectif est de stocker les épluchures et déchets végétaux sans mauvaises odeurs, jusqu’à leur dépôt dans un bac extérieur. Sa taille correspond à une journée de collecte (évidemment plus si on cuisine peu), et doit donc fréquemment être vidé. Le souci est alors de transporter les déchets jusqu’au composteur ou la poubelle dédiée.

Il sera parfait si vous habitez un quartier qui a mis en œuvre la collecte des déchets alimentaires avec des bacs "marrons" dont la collecte est prévue deux fois par semaine. Ils seront bientôt partout, puisqu’on annonce une couverture totale pour 2025. Leur déploiement est progressif et ne touche pas encore mon immeuble. Dommage.
Le bioseau ne s’emploie pas tel quel. Il convient d’avoir de l’habiller d’un sac compostable. Si vous êtes dans une commune qui collecte les déchets alimentaires vous recevrez des sacs gratuits (pour une durée de 6 mois). Vous devrez ensuite en acheter en supermarché. Ils devront semble-t-il être transparents et labellisés "OK Compost Home". Ceci est indispensable pour garantir le bon déroulement de la collecte et du procédé de méthanisation des déchets alimentaires. 

Vous remarquerez sur la photo que j’ai choisi du papier, parce que j’en avais (de récupérables) de la bonne dimension et que n’ayant pas l’intention de stocker longtemps la matière organique je n’avais pas besoin d’une solidité extrême. et surtout, mon domicile n’est pas encore concerné par cette collecte.

J’avais lu sur le site d’une collectivité locale qu’il était conseillé de placer au fond du sac un carré de carton ou une boîte d’œufs, pour absorber d’éventuelles fuites. Je me suis donc découpé plusieurs fonds de carton de la surface idoine.

J’ai placé comme il convient le bioseau à l’air libre (pas dans un placard), à l’abri d’une source de chaleur et facilement accessible. Et surtout, je me suis préparée à le vider régulièrement.

Quelques autres astuces sont vite adoptées comme le réflexe d’évacuer le liquide présent dans les assiettes (jus et sauces) avant de faire glisser les restes dans le bac, en évitant bien entendu tout déchet de viande ou de poisson. Il est préférable de penser à refermer le couvercle après utilisation.

En l’employant rigoureusement, c’est-à-dire en déposant le sac dès qu’il est rempli dans le composteur (ou pour vous dans le bac au couvercle marron, on ne laisse pas de temps au démarrage du processus de dégradation et on évite les mauvaises odeurs comme les moucherons. Si nécessaire, mais ça ne l’est pas toujours car le carton est bigrement efficace, je rince le bac en inox avant de le ré-équiper.
Bien entendu il n’est pas obligatoire de jeter toutes ses épluchures. De nombreuses utilisations sont envisageables pour en récupérer un maximum (bouillon de légumes, chips, eau parfumée, dés d'agrumes confits …). Il m'arrive de publier des recettes sous le label cuisine de la récup.

Et puis ce bac est également multiusages, pouvant à l'occasion servir de poubelle de table (imaginez de mettre des moules au menu) ou de bac "gastro" pour stocker et présenter des préparations culinaires. Voilà, tout est dit. A vous de jouer maintenant.

mercredi 21 février 2024

Un dîner simple de Cécile Tlili

On fait de belles découverts dans les médiathèques. Malgré une tempête médiatique ultra positive, le livre de Cécile Tlili m'avait échappé et c'est par hasard que je suis tombée dessus. Tombée, façon de parler parce que je n'ai pas effectué une chute aussi impressionnante que celle qui illustre la couverture.

La photo de couverture suggère que tout va exploser. Elle a été choisie à bon escient parce que les renversements de situation sont multiples au cours de ce Simple dîner qui sera tout sauf simple, mais le théâtre de bouleversements pour chacun des quatre personnages du roman, deux femmes et deux hommes, et par voie de conséquence pour leurs familles.

Claudia est dans une situation paradoxale, éprouvant colère et détresse : elle voudrait se rendre invisible, et pourtant elle leur en veut terriblement à tous de la rendre invisible (p. 34).  

Elle a passé trois heures à préparer le repas que l'auteure nous résume en un paragraphe qui, par le choix de ses mots, annonce un fiasco malgré les efforts soutenus et la volonté de bien faire. Cécile insiste sur les dommages collatéraux parmi lesquels l’odeur des oignons incrustée sous les ongles est un désagrément que tous ceux qui cuisinent redoutent (p. 8). On va s’apercevoir que l’anodin du quotidien prend une ampleur symbolique.

Claudia s'est donné du mal mais elle n'a pas davantage envie de cette soirée que Johar qui s’accorde une pause sur un banc malgré son retard (p. 14). On apprendra d'elle un peu plus loin qu'elle n’a pas fini de prendre sa revanche sur ses origines. Elle étouffe d’orgueil et passe en un instant de l’ivresse au dégoût. On apprendra plus tard que pendant longtemps, sa colère quant à la soumission de sa mère avait alimenté sa rage de réussir (p. 85). Pour le moment elle ne le sait pas, mais elle est naïve.

Côté masculin, il n’y a pas plus d’enthousiasme. Aucun n’a envie d’être là même si Etienne est à l’initiative de l’invitation parce que son cabinet est à la dérive et qu’il a besoin que Johar, lui confie un contrat car il n’envisage pas de renoncer à son train de vie. Il a choisi Claudia pour compagne parce que sa supériorité sur elle ne serait jamais mise en doute (p. 60). Cette motivation est d'un cynisme qui fait froid dans le dos. Tout comme sa rancoeur qu'il entretient : C'était foutu dès ma naissance pour la gloire professionnelle, de toute façon, je ne suis pas une femme et je ne suis pas arabe (p. 100). Il va faire preuve de suffisance, de mépris et d'une misogynie abyssale 

Rémi, le conjoint de Johar va régulièrement laisser son cerveau s’échapper vers ses propre projets. L'auteure -parce qu’elle est omnisciente- va ainsi déplacer sa caméra d’esprit en esprit, d’un personnage à l’autre pour l’éclairer en gros plan en nous montrant qu’ils ont tous la tête ailleurs. Chacun est traité à égalité. Personne n’est à l’aise et on ne parvient pas à déterminer quel parti nous allons prendre car, c'est bien connu, le lecteur cherche toujours à s'identifier à quelqu'un.

Bien que le nombre de personnages soit plus restreint on retrouve quelque chose de l’ordre de Cuisine et Dépendances, ce film français de Philippe Muyl, adapté de la pièce de théâtre du même titre d'Agnès Jaoui et de Jean-Pierre Bacri et sorti en 1993. Comme dans le film, il existe un espace extérieur, en l’occurrence ici le balcon qui constitue un espace de liberté pour permettre un moment de s'affranchir du jeu social. La cuisine joue un rôle comparable. Les paroles échangées restent cependant tout à fait dans la bienséance, ce qui n’empêche pas des sentiments extrêmes qui, la plupart du temps, restent intériorisés.

Chacun des personnages de Cécile Tlili a une idée de ce qu’est l’autre mais il fait erreur. Pas un n'échappe à un enfermement, psychologique et/ou social, dans des schémas de vie et des comportements sociaux qui ne sont pas forcément maîtrisés. Les tensions vont finir par permettre de se révéler aux autres et à ois-même. C’est la fragilité des certitudes humaines qui est disséquée par l’auteure.

Les deux femmes sont singulières et très différentes. Elles se connaissent et ne s’apprécient pas jusque là.  Claudia est une timide maladive, qui a l’habitude de rester en retrait. Johar vient d’une famille modeste immigrée. Elle symbolise une réussite spectaculaire et s’apprête à monter encore plus haut mais le couronnement s’avère une perte. On observe chez elle une attitude de quasi dissociation qui interroge la manière dont sa réussite a provoqué les relations dans son couple et sa famille.

Pour Étienne, qui est avocat, l’argent et la réussite professionnelle sont des marqueurs essentiels. Manigancer ne lui fait pas peur. Rémi est plus modeste, et a évolué socialement grâce à sa femme. S’ils furent un temps complices, elle et lui, la relation s’est asséchée et il est en réflexion sur son couple. Le lecteur déteste ces deux hommes et compatit pourtant.

Du fait d’une série d’incidents, que je ne raconterai pas, la mer lisse deviendra houleuse et les deux femmes vont se rapprocher, nous offrant une belle réflexion sur la sororité.

Le goût, l’odorat, tout fait sensation au fil des pages et cela nous place au coeur de l’action. Ce simple dîner ne le sera pas. Il sera le théâtre de pensées et d’enjeux complexes autour de la question de la place, de la réussite, de la maternité, des origines et du respect de la filiation, mais aussi de sa liberté d’action et de la capacité à accepter la tristesse inattendue.

Il est amusant de constater qu’être enfermé physiquement peut permettre une libération. Le huis clos se déroule sans coups d’éclat. Ça se joue à has bruit, mezzo voce.

Ce premier roman est d’une grande efficacité. J’ai cependant une frustration, celle de ne pas connaitre la recette de ce curry qui semble si merveilleux.

Cécile Tlili a cofondé une école alternative pour les enfants neuro-atypiques.

Un dîner simple de Cécile Tlili, chez Calmann-Lévy, en librairie depuis le 23 août 2023 

mardi 20 février 2024

Quelques ronds-points en Charente-Maritime

(mise à jour 19 avril 2024)
Nous pestons tous après les ronds-points parce qu'ils nous ralentissent systématiquement. S'ils sont si nombreux c'est parce qu'ils sont moins coûteux et plus efficaces pour réduire les risques d'accidents que des feux tricolores.

Leur inventeur est l'architecte urbaniste Eugène Henard (1849-1923) qui imagina ce dispositif pour  la place de l'Etoile en 1906, avec à l'origine, la volonté de limiter les accidents hippomobiles (l'automobile n'était alors que très peu utilisée).

Ce dispositif a un énorme succès et la France compterait 50 000 ronds-points, qui sont tous loin d'être autour d'un aussi beau monument que l'Arc de Triomphe. J'ai l'impression, mais je peux me tromper, qu'ils sont particulièrement soignés en Charente-Maritime même si j'en ai vu de remarquables ailleurs, comme les Trois godelles à l'entrée de Commercy (Meuse).

En tout cas, je suis surprise par la beauté de ceux que j'emprunte pour arriver à Oléron. Peut-être parce qu'on les doit majoritairement à l'imagination d'un ancien ouvrier de l’usine Renault de Sandouville, devenu pilote de course, designer, puis sculpteur d’enseignes publicitaires… Il s'appelle Jean-Luc Plé et depuis son arrivée en 1998 en Charente-maritime il y déploie l'art giratoire avec la volonté que ses oeuvres profitent à tout le monde.

En contournant la main de Ronsard, à Surgères, je sais que la fin du voyage est proche. Les célèbres vers s'y déploient : Vivez si m'en croyez, n'attendez à demain, Cueillez dès aujourd'hui les roses de la vie.

On le connait surtout pour le poème commençant par Mignonne, allons voir si la rose, écrit en juillet 1545   pour Cassadre, le premier grand amour de sa vie. Ce sera ensuite Marie et la dernière sera Hélène de Fonsèque (née au château familial de Surgères en 1546), qui lui résistera jusqu'au bout. Cette vertueuse jeune femme fut dame d'honneur de Catherine de Médicis au palais du Louvre où elle croisa Pierre qui en tomba fou amoureux malgré leur trente ans d'écart d'âge.

Elle avait perdu son fiancé à la guerre et resta insensible aux sonnets du poète qui l'aima pendant 7 ans d'une passion platonique. Il en conçu de la racoleur, lui faisant écrire en 1578 : Quand vous serez bien vieille, au soir, à la chandelle, assise auprès du feu, devisant et filant, direz, chantez mes vers en vous émerveillant : Ronsard me célébrait du temps que j'étais belle. […] Je serai sous la terre, et, fantôme sans os, Par les ombres myrteux je prendrai mon repos. Vous serez au foyer une vieille accroupie, Regrettant mon amour et votre fier dédain. Vivez, si m'en croyez, n'attendez à demain : Cueillez dès aujourd'hui les roses de la vie

Hélène ne s’est jamais mariée et s'éteignit, effectivement bien vieille à Surgères à l'âge de 72 ans, trente-trois ans après son admirateur.
Marennes-Hiers-Brouage s'est dotée depuis novembre 2023 d'une sculpture monumentale qui orne le nouveau giratoire de la RD728 entre Rochefort et Oléron, sur l’axe le plus fréquenté du département, aux portes du pays de l’huître et du bassin Marennes-Oléron.

Ses dimensions, 4 mètres par 5, ont représenté un défi technique à installer, avec l'aide de l'artiste dont on dit que s'il a la tête dans les étoiles, ses pieds sont vraiment sur terre.

C'est Marc Arcadias, dit Zarco, de Bourcefranc-le-Chapus, qui a soumis la maquette de cette oeuvre, à une consultation publique soumise au vote des habitants ainsi que deux autres projets. Ils ont été 1500 à estimer que "Thalatta, la porte de l’océan" qui signifie mer en grec ancien, incarnait le plus précisément l'âme de Marennesen faisant allusion à l'huitre sans être trop figurative.
En arrivant à Marennes c'est un bateau de pêche que j'admire. Ensuite, à Bourcefranc-le-Chapus ce sont  le Moulin de la Plataine puis la réplique du Fort Louvois, qui sont deux créations de Jacky Bureau.
A chacun de mes séjours sur l'île j'ajoute de nouveaux clichés comme celui ci des trois petites cabanes colorées à la Chevalerie, illustrant si bien l'activité ostréicole d'Oléron. C'est d'ailleurs juste en face que je m'arrête pour faire provision d'huitres en arrivant.
J'essaierai une autre fois de faire un cliché du banc de sardines sous la vigne de Saint-Pierre-d'Oléron, que l'on doit aussi à Jean-Luc Plé qui signe au mois 21 oeuvres sur les 40 giratoires que compte la Charente-Maritime. Si vous en avez l'occasion ne manquez pas ses plus fameuses réalisations, les transats de Saint-Georges-de-Didonne, les tonneaux d'Archiac, le petit garçon qui tire un bateau à Marennes, l'impressionnante cagouille sur laitue vert fluo à Lorignac, et l'huitre géante qui se trouve à L'Eguille-sur-Seudre.

N'allez pas croire cependant que c'est le département qui compte le plus de ronds-points, loin de là. Ce seraient La Vendée, la Loire-Atlantique (avec plus de 3 075 ronds-points), les Landes, les Pyrénées-Orientales et la Mayenne.

Articles les plus consultés (au cours des 7 derniers jours)