Publications prochaines :

La publication des articles est conçue selon une alternance entre le culinaire et la culture où prennent place des critiques de spectacles, de films, de concerts, de livres et d’expositions … pour y défendre les valeurs liées au patrimoine et la création, sous toutes ses formes.

vendredi 30 mai 2025

Fantasia, le troisième album de Dahlia Dumont

J'ai glissé Fantasia dans le lecteur de mon autoradio (oui, ça existe encore dans les voitures un peu anciennes) et ma vision des choses a aussitôt été modifiée. Dahlia Dumont y fait preuve dès le premier morceau d'une vitalité qui vous inonde sans prévenir.

Je ne connaissais pas cette artiste dont j'ai compris, quand est arrivé Fantasia (piste 5), le titre qui a donné son nom à l'album, qu'elle n'était pas française, ce qui explique qu'elle chante surtout en anglais, évidemment à la perfection.

Son accent est charmant quand elle s'exprime en français, dans deux chansons, Fantasia et L'Opossum (piste 11). Et d'une manière générale le travail sur la voix est exemplaire, tantôt légère et haute, tantôt grave.

Ecoutez Semi-automatic Trinquet (piste 3). Comme c'est enjoué, avec un très joli accompagnement musical digne parfois d'un orchestre de rue de la Nouvelle-Orléans, parfois l'accordéon d'un cours de danse sud-américaine. Et pourtant, écoutez les paroles. La chanteuse ose y dénoncer la courageusement la prolifération des armes aux États-Unis, illustrant la volonté de l’artiste d’utiliser sa musique comme un vecteur de messages importants. Preuve que la dame a des choses à nous dire.

Est-ce intentionnellement que Fantasia se déploie (à partir de 2 minutes 36) sur le même accompagnement musical que le si fameux sketch de La drague qui immortalisa le duo Guy Bedos/Sophie Daumier en 1973 ?

J'aime beaucoup Consent (piste 7) et ses accents exotiques qui vous évoqueront sans doute nombre de souvenirs pop-rock ancrés dans les années 80 et qui ont sans doute participé à la culture musicale de l'artiste, expliquant l'aspect mosaïque sonore de l'album. Mais là encore il faut décrypter les paroles autour du consentement.

Avec cet opus audacieux, Dahlia Dumont propose un voyage musical unique, décryptant la spiritualité de notre époque, porté par une voix envoûtante sur un son organique, mêlant très habilement world roots, folk, électro-pop, reggae, klezmer, rythmes latinos, blues et soul dans lesquels on reconnait le son du (petit) ukulélé de Dahlia mais aussi deux violons, des cuivres, un accordéon et bien d'autres encore que je cite tous à la fin de cet article. C'est un travail d'équipe minutieusement coréalisé par le batteur, ingénieur de son et mixeur Julien Tekeyan, et le pianiste Marc Bizzini

Souvent comparée à Joni Mitchell, Carole King ou Patti Smith, Dahlia Dumont a sans conteste réuni autour d’elle une famille de musiciens multiculturels et cet album est le fruit d’une très riche collaboration.

Il a fallu pas moins de six ans de création entre la France et les États-Unis pour donner naissance à ce troisième album, disponible sur le label Single Bel, dont trois années pour les enregistrements qui ont été effectués en France, au Studio Single Bel par l’ingénieur de son Olivier Hudry et au Studio POA Tekeyan, par les ingénieurs Julien Tekeyan, Louis Jos et Axel Vacher, mixage de Julien Tekeyan, et masterisation par Marcus Linon de Greasy Records.

Dahlia Dumont a grandi à New York auprès de parents immigrés, puis a vécu au Sénégal et en France. Elle est profondément originale, libre, engagée et humaine. Sa musique brasse des influences du monde entier parce que l'artiste s’est toujours entourée de musiciens d’horizons culturels divers et mêle à ses compositions une palette d’instruments provenant de partout. Ecouter Fantasia équivaut à se lancer dans un voyage intersidérant à la croisée des styles et des genres.

Fantasia de Dahlia Dumont
Avec la voix et l’ukulélé de Dahlia Dumont, la batterie et les percussions de Julien Tekeyan,  le piano de Marc Bizzini, la basse de Rafael Leroy et Yoshiki Yamada, les guitares de Benjamin Chabert, l’accordéon diatonique et le trombone de George Saenz, les contrebasses de Yoshiki Yamada et Benjamin Chabert, les synthétiseurs de Marc Bizzini et Julien Tekeyan, les violons de Karen Brunon et Sylvain Rabourdin, le violoncelle de Mathilde Sterna, le fiddle d'Elena Moon Park, la trompette et le flügel de Jackie Coleman, le dobro de Fabien Taverne, l’hélicon de Raphaël Gouthiere, le beatbox (Elan Freudenthal – le frère de Dahlia), le duduk armenien (Artyom Minasyan) et le batucada live (Komando Bidon), les chœurs d'Izaiah Graves “Zaí XP”, Geoffroy "Jeff" Tekeyan, Nicole Rochelle et Aurélie Sureau.
Enregistrement au Studio Single Bel par l’ingénieur de son Olivier Hudry et au Studio POA Tekeyan, par les ingénieurs Julien Tekeyan, Louis Jos et Axel Vacher, mixage de Julien Tekeyan, et masterisation par Marcus Linon de Greasy Records.
Disponible chez Single Bel depuis le 25 avril 2025 et sur toutes les plateformes digitales.

jeudi 29 mai 2025

Le festival S en S, 1er festival parisien du Seul.e en Scène recommencera l’année prochaine

On commence à avoir pris l’habitude d’aller au Théâtre des Gémeaux Parisiens que, forts de leur expérience avignonnaise, Nathalie Lucas et Serge Paumier ont ouvert dans l’Est parisien, au 15 rue du Retrait. C’était en septembre 2024 et la programmation avait d’emblée séduit les premiers spectateurs.

On avait bien compris, le jour de l’inauguration, que le duo était déterminé. Pour preuve, les réjouissances s’étaient déroulées sur deux journées.

Et comme ce sont des directeurs aussi audacieux que courageux ils se sont lancés dans un autre défi, celui de faire aimer les Seul. e en Scène en leur dédiant le premier festival du genre en profitant d'un mois de mai calme en terme de nombre de représentations. Ainsi donc, pendant toute cette période, ils ont affiché 12 spectacles dont certains avaient déjà fait leurs preuves, mais aussi des créations, qui sont en quelque sorte des avant-premières du Festival Off d'Avignon.

Par ordre chronologique de programmation : Dans les forêts de SibérieRossignol à la langue pourrie - Les frottements du coeur - L'Arlésienne - Le livre oublié - La Fleur au fusil - Un coeur simple - Madame Marguerite - La promesse de l'AubeZoom -Madeleine Béjart, une femme libre  - Cache Cache 

J’en avais déjà applaudi 6. Je n’ai eu la disponibilité de n’en voir que 2 supplémentaires, auxquels je tenais particulièrement d’ailleurs et (comme je le supposais) j’ai été conquise et je n’ai hélas pas trouvé la disponibilité pour assister à une représentation de 4 autres. 

Mais avant de poursuivre, mettons nous d’accord sur ce terme de seul en scèneSuffit-il d'interpréter un monologue ou d’être seul sur un plateau pour qu’on puisse qualifier le travail par cette appellation ? Le terme désigne pour beaucoup un one-man-show (ou one-woman-show), qui sont plutôt du domaine de la variété, de l’humour ou du conte.

Quand on se penche sur la programmation de cette première édition on remarque qu’elle recouvre néanmoins une large palette de styles. Mais ce sont toujours des spectacles très aboutis, avec une véritable mise en scène, un décor, des costumes, et … derrière le texte un propos fort, lequel a parfois été écrit par un écrivain célèbre, ou un auteur de théâtre reconnu. Ce sont des moments de théâtre complet qui se trouvent interprétés … par un(e) comédien(e) confirmé(e).
Ce festival correspond à un vrai besoin puisque Serge Paumier m’a confié qu’il recevait une centaine de dossiers chaque semaine. Il a été très bien accueilli coté spectateurs et a attiré un public conséquent. A tel point que Nathalie Dumas et Serge Paumier ont déjà décidé de réitérer en préparant une seconde édition de ce festival qui est destiné à se pérenniser, et même à se développer.

Alors que William Mesguich fut le parrain cette année, ce sera Delphine Depardieu pour la suivante. 

La programmation est bien avancée et sera définitivement bouclée en novembre de manière à pouvoir la formaliser dans une brochure qui sera disponible en décembre. Elle devrait comporter 80 levers de rideau sur tout le mois de mai (soit quasiment le double de la première édition), qui ne seront pas limités aux week-ends, en jouant tous les jours.

Le festival s’étoffera autour d’une vingtaine de propositions artistiques. Il pourrait y avoir un spectacle alliant théâtre et danse avec un grand nom de la danse qui vient de quitter l'Opéra (Mathieu Ganio ?).

La fille de Florence Arthaud ayant accordé les droits du livre de sa mère "Cette nuit la mer est noire" écrit en collaboration avec Jean-Pierre Bachelet aux Edition Arthaud, Nathalie Lucas pourra présenter Une femme à la mer, dans l'adaptation de Jean-Benoît Patricot et la mise en scène de Stéphane Cottin.

On devrait pouvoir assister à un spectacle autobiographique écrit par William Mesguich sur son histoire familiale et son parcours de comédien.

Il se pourrait malgré tout qu'un spectacle "hors festival" soit présent sur le créneau de 19 heures. Il est en effet question que la famille Demasure, de Joseph Gallet, Elodie Wallace (Ma famille en or) y emménage pour un moment.

Si vous avez comme moi loupé Les frottements du coeur sachez que Katia Ghanty reviendra la saison prochaine aux Gémeaux Parisiens de septembre à mars, deux fois par semaine. Ce sera l'unique exception : les autres seuls en scène seront présentés en mai. On pourra aussi applaudir William Mesguich et son Richard III, et chaque lundi de septembre à février Anne Coutureau avec Andromaque qui fut un grand succès l'année dernière au théâtre de l'Epée de bois. Il y aura bien d'autres choses encore !

Le duo a cependant entretemps une autre épreuve, celle du festival d'Avignon, avec une programmation qu'ils qualifient de "emballante", avec des spectacles mis en scène par des artistes auxquels le public est fidèle : Jean-Philippe Daguerre, Chritophe Lidon (avec Le roi se meurt de Eugène Ionesco dans lequel joue Nathalie Lucas), Bouvron, Virginie Lemoine, Christophe Malavoy, Anne Bouvier, William Mesguich …

S en S, 1er festival parisien du Seul.e en Scène du 1er au 31 mai 2025
Théâtre des Gémeaux Parisiens - 15 rue du Retrait - 75020 Paris

Du 05 au 26 juillet 2025 (festival d'Avignon)
Théâtre des Gémeaux Avignon - 10 rue du Vieux Sextier - 84000 Avignon

mercredi 28 mai 2025

Jan (sur un air de jazz) d'Emmanuelle Pol

La quatrième de couverture m’a donné envie de lire Jan (sur un air de jazz) qui vient juste de paraître chez Finitude.

Cette lecture aura été très fluide. Chaque chapitre est surmonté d’un chapeau, comme on dit dans le jargon de l’édition, lequel, en italiques, est un commentaire musical d’une dizaine de lignes. Comme j’aimerais savoir si bien décrire un morceau quand je dois faire une critique d’album ou de concert !
Un dimanche d’été, désœuvrée, elle est entrée par hasard dans un club de jazz de Bruxelles. Jan était au piano et elle est tombée amoureuse. De l’homme, de l’artiste. Émerveillée par leur complicité et leur entente charnelle, elle s’investit dans cette histoire avec une ferveur qui la surprend elle-même. À soixante ans, elle sait le prix du bonheur et c’est avec une passion que l’âge n’a pas émoussée qu’elle fera tout pour le protéger.
D'elle on ne saura jamais son prénom mais on apprendra à la connaitre à mesure qu'elle nous livre -à son rythme- ses confidences à propos de Jan, de son étrange ami Josef, de la mère de ce célèbre (mais fictif) pianiste et plus généralement de sa vie. On progresse lentement dans l’histoire. Il faut accepter le tempo qui nous est imposé et patienter pour en approcher les secrets et en comprendre les clés, tout autant le "tout va bien " récurrent de Jan que le "ça me suffit" de son amoureuse.

Ce n’est pas une forte contrainte parce que l’écriture d'Emmanuelle Pol est superbe. En voici un exemple, extrait d'un très beau portrait de Josef sur deux pages magnifiques pour décrire la personnalité du chat de gouttière maléfique qui gonfle ses poils pour impressionner l’adversaire (p. 56).

L'autrice doit avoir conscience que les lecteurs ne lisent pas un livre d'une traite. Que bien souvent il est ouvert après une difficile journée de travail et que la disponibilité à entrer dans l'histoire, ou à s'y replonger, n'est pas immédiate. Du coup ces débuts de chapitre représentent, à l'instar d'une citation, une aide à se préparer à entendre la suite et je les ai beaucoup aimés.

Elle nous offre un portrait sensible d'un homme au prénom qui sonne bien (p. 75) essentiel en effet pour devenir musicien. Sa déclaration d'amour à l'égard de cet homme qui révèle un talent inhabituel pour la cuisine (p. 106) s'étend largement à son univers musical, au jazz qui est un genre réclamant de formidables capacités d'adaptation (p. 90) mais aussi pleinement à la Belgique qui est devenue son pays d'adoption. Le chapitre XXI racontant un week-end dans la région touristique de Spa est un bijou.

Emmanuelle Pol est née en 1965 à Milan, d’une mère française et d’un père italien. Si elle a passé son enfance en Suisse elle vit depuis vingt-cinq ans à Bruxelles et connait très bien ce territoire fortement attachant. Jan est son septième roman.

Jan (sur un air de jazz) d'Emmanuelle Pol, Finitude, en librairie depuis le 14 mai 2025

mardi 27 mai 2025

Mensis II, le second album du duo de Marta et Ange

En appelant leur second album Mensis II le duo de Marta et Ange s'adresse à ceux qui les connaissent déjà. J'ai mis le temps mais j'ai suivi leur piste comme ils le proposent dans leur très élégante reprise de Mobilis in Mobile (piste 7).

Savez-vous que telle était la devise du capitaine Némo et que c'est la raison pour laquelle l'Affaire Louis Trio l'a emprunté pour leur quatrième album, sorti en 1993 ?

Ce sont peut-être les moments qui composent plus ou moins directement des hommages aux sonorités des années 70 et 80 qui font de cet album un objet assez étonnant dont la pochette (réalisée par Charles Guillemantsemble extirpée d'une malle aux souvenirs retrouvée dans le grenier d'un aïeul.

On dit qu'il faut aller chercher leurs influences dans la pop des Wings, la soul et les violons de Barry White, ou le psychédélisme rock de Tame Impala. J'en ai repéré d'autres mais le résultat leur est très personnel.

La très longue intro de guitare de Arimna (piste 1) suivie de la voix parlée de Marta, et d'Ange, évoque une première rencontre. En français puis en italien, installant la sensualité avant l'annonce d'une autre couleur musicale. Si vous écoutez attentivement peut-être croyez-vous, comme moi, pendant 4 secondes, très précisément entre 1 minute 40 et 1 minute 44 (et l'impression se répète à 2 minutes 38) qu'ils vont poursuivre avec Marcia Baïla, une chanson devenue culte qui a lancé la carrière des Rita Mitsouko et qui figurait sur leur premier album du même nom, en hommage à Marcia Moretto, en 1984 … Quand je vous disais que ces années là infusent Mensis II.

Si Marta et Ange ont réellement séjourné à Rimini, cette ville italienne située sur la côte adriatique, qui autrefois s'appelait Arimna, aucun doute qu'il ont dû se déhancher sur la musique des Rita.

La voix de Marta se fait légère et chaude, alertant le français et l'anglais. Comme elle est touchante quand elle reprend Mr Bojangles (piste 10) d'abord sur un simple accompagnement de guitare acoustique. Nous donnant envie de danser enlacés sur un parquet.

Le duo nous entraine avec ce disque dans les méandres de nos mémoires, nous réconciliant avec le temps qui passe et qui compose le terreau de leurs créations.

On pense certes à l'été qui arrive, aux températures qui grimpent, à notre désir de vacances et de soirées sur des plages mais on est aussi plus simplement entre amis à partager un moment intime.

Une autre planète (piste 4) suggère immédiatement la référence à une autre galaxie. La chanson suivante (piste 5) marque le retour à Rimini et à la voix parlée pour nous rassurer : Tôt ou tard il n'est jamais trop tard pour y croire … Tout va bien

Elle et lui (piste 6) est construite à la manière d'un dialogue de film, mélange les voix et les accents, et on devine pourquoi.

La voix d'Ange s'exprime elle aussi, sur May 1997 (piste 8).

L'oscillation entre pop et nostalgie démontre qu'on peut être fan des des années 70/80 et ne pas bouder une modernité affirmée. De même, sur le plan musical, Ange, qui est multi-instrumentiste, ne s'interdit pas un violon très romantique sur The down of Soraya (piste 9) qui reviendra tout au long de The Twilight of Soraya (piste 12). L'une et l'autre se passent de texte.

L'album se termine par une dernière évocation, très particulière, très cinématographique, que j'ai mis du temps à isoler. Premier samedi du mois (piste 13) est sans doute un clin d'oeil à la diffusion ce jour là du Journal du hard à minuit sur Canal+ à partir de 1991. On discerne dans les parole des allusions à des fantasmes et des bribes de confidence : Tout est prétexte à aimer et à se sentir entouré. En fait il n'y a pas de véritable criminalité, il n'y a que des souffrances. Les putains ont un corps qui n'a plus de limites.
Ecoutez attentivement et vous reconnaitrez aussi quelques accords empruntés à Gainsbourg.

Outre cet album très ciselé il faut regarder les clips qui procurent des sensations complémentaires. C'est sans grande surprise (mais avec un immense plaisir) qu'on suit le film de vacances super 8 de Arimna (piste 1) réalisé par Julie Perfezou. Rupture de ton avec Tôt ou Tard, superbe clip en noir et blanc réalisé par Fabrice Leseigneur. Nouveau changement de cap avec Shooting Stars Edit Radio (piste 2), tourné par Lionel Payet Pigeonqui nous propulse dans le désert d'une planète inconnue science-fictionnelle digne de Dune

Si vous devenez fan de Mensis vous irez aussi voir Fade to Grey, qui il y a deux ans, était encore dans un autre registre, jouant sur le dessin et les couleurs.

Mensis_Vol. II est sorti en avril 2025 et très franchement je sais déjà que je ne veux pas louper le Vol III.

lundi 26 mai 2025

Cache-cache de et avec Vanessa Aiffe-Ceccaldi

Je ne voulais pas manquer Isabelle Andreani dans son interprétation de Madeleine Béjart. Je ne voulais pas davantage faire faux-bond à Vanessa Aiffe-Ceccaldi dont je savais combien la création de Cache-cache était importante pour elle.

C’est une chance que le Théâtre des Gémeaux Parisiens présente des avant-premières avignonnaises. Il faut s’en emparer.

Si j’ai choisi une photo de Vanessa joyeuse et décontractée, prise sur le vif, après le spectacle c’est parce que c’est comme ça que je la connais le plus. Elle dégage une énergie folle et il ne faudrait pas s’arrêter au thème de son seule-en-scène pour la caractériser.

Pas plus d’ailleurs que par le rôle d'Alix qu’elle interprétait en 2022 dans le film réalisé par Alexandra Lamy (qui est marraine de Cache-cache). Touchées rend compte des parcours de résilience de différentes femmes qui ont subi des violences conjugales et/ou sexuelles. Il a été récompensé au Festival de la Fiction de La Rochelle. Le sujet est hélas d'actualité depuis que des voix se sont élevées pour dénoncer des faits trop longtemps considérés comme des "affaires de famille" et à propos desquels Vanessa a une position pour le moins militante.

Difficile de concevoir une scénographie plus simple avec d’abord juste une chaise. C’est que les lumières et la scénographie (de Régis Romele qui signe brillamment là sa première mise en scène) vont composer autant d’espaces que nécessaires à la narration.

La comédienne emprunte le masque de Thelma pour raconter un jeu de cache-cache qui va tourner mal le 30 juin 1984. Elle a 11 ans et elle est victime d’un cousin, ce qui constitue déjà en soi un traumatisme important. Sa mère en ajoute un autre, qui fera l’effet d’un coup de massue : son père n’est pas son père, ce que tout le monde savait, … sauf elle.

La mère, dont Vanessa restitue à merveille les paroles doucereuses ponctuées de Mon ange, comme les tics (ah cette façon de tenir sa cigarette !) est une femme pour laquelle le spectateur ne ressent aucune empathie. On la laissera se plaindre à longueur de qu’est-ce que je t’ai fait ? Elle est détestable, et pas seulement parce qu’elle ne sait cuisiner que des endives au jambon. C’est pourtant elle que la fille appelle parfois à l’aide … Mais c’est auprès de sa grand-mère qu’elle trouvera l’affection qui lui permettra de trouver la force de continuer à vivre.

Je ne sais trop comment vous convaincre que l’interprétation de Vanessa est captivante tant elle réussit à incarner une large palette d’émotions. Peut-être en vous disant que j'ai parfois songé à Eva Rami (qui reçut l'an dernier le Molière du Seul/e en scène pour Va aimer) et que je suis depuis plus de 6 ans. A Elise Noiraud aussi. Ces deux comédiennes ont écrit une trilogie à partir de leur histoire familiale. Vanessa suivra-t-elle la même voie ?

L'autofiction est une des spécificités qu'on retrouve fréquemment dans les seuls/es en scène, en toute logique parce qu'il faut bien que la marmite déborde faute d'exploser. Tant de personnes doivent puiser dans leurs ressources personnelles pour affirmer leur personnalité et triompher de violences intrafamiliales ! Leur talent est une porte de sortie pour progresser en sérénité. Puisse ce type de témoignage être autant salvateur pour celui/celle qui nous le livre que pour nous qui le recevons !

Sur le plan de la forme, ce spectacle est admirablement construit et Vanessa nous touche par son énergie débordante. Ses mots, parfois ceux, jamais impudiques, et son jeu restituent l'enfant, l'adolescente, la jeune adulte et la femme qu'elle est devenue (sans compter de multiples personnages) sans changer de costume -ce qui témoigne de sa force d'interprétation- en provoquant parfois nos larmes, souvent nos rires aussi, accompagné d'une bande-son très réfléchie. Sur le fond, Cache-cache appartient à ceux qui démontrent que la honte doit changer de camp. On se réjouira malgré tout que la mère finira par s’apitoyer : c’est toi qui as vécu ça ma fille … ?
Cache-cache de et avec Vanessa Aiffe-Ceccaldi
Mise en scène de Régis Romele
Costume Black Baroque by Marie-Caroline Béhue
Marraine officielle Alexandra Lamy
Du 24 au 31 mai 2025
Au Théâtre des Gémeaux Parisiens - 15 rue du Retrait - 75020 Paris
Puis à 19 h 05 au Petit chien, du 5 au 26 juillet 2025 (relâche les 8, 15, 22 juillet) pendant le festival d’Avignon
À partir de 12 ans

dimanche 25 mai 2025

Alors c'est bien de Clémentine Mélois

Comment expliquer que je n'ai jamais entendu parler de Clémentine Mélois ? Elle a un humour si communicatif qu'il m'est aujourd'hui impensable de passer à côté de sa plume. Je la découvre par un roman autobiographique très original, racontant la fin de vie de son père et son enterrement qu’elle qualifie de pharaonique.

Bernard Mélois est un sculpteur né en 1939 à Malestroit (Bretagne) qui a vécu et travaillé à La Ferté-Milon (Aisne), ville natale de Jean Racine. Après des études aux Beaux-arts de Nancy il mène en 1968, des recherches sur la polychromie qui le conduisent -parce qu'il n'a pas les moyens de s'offrir des matériaux nobles- à utiliser des tôles émaillées de récupération (casseroles, brocs …). Il créera une trentaine de bronzes, des dessins, des lithographies et des collages qui ont été présentés dans diverses expositions en France et à l'étranger.

Et surtout 316 sculptures figuratives, toutes faites avec des bouts de faitouts, essentiellement des personnages (parfois gigantesques) et des oiseaux qui semblent sortis du Jardin des délices de Jérôme Bosch. Ses oeuvres m’ont stupéfiée par leur beauté, leur charme incroyable, leur intelligence, méritant dans les musées une place comparable à celles de Calder.

Il aurait sans donc fallu qu'il ne vive pas à la campagne, donc éloigné des vernissages et des réseaux, comme ses professeurs l'avaient conseillé à Clémentine, artiste elle aussi (p. 82).

L’homme a tant travaillé de ses mains qu'il en usa ses empreintes digitales (p. 73). La description que Clémentine en fait me rappelle la personnalité de mon père, qui lui aussi mettait un point d'honneur à tout faire soi-même (p. 97) puisqu'il avait même installé le chauffage central sans avoir de connaissances particulières au début des années 60. Ce n'était pas un artiste (même si c'est une affaire de définition car il a tout de même imaginé le blason de la commune où il habitait et dont j'ai conservé un tirage en bronze) mais un bricoleur de génie, à qui on pouvait tout demander. Il faisait rugir les machines dans son atelier dès 6 heures du matin, malgré les protestations de ma mère, craignant qu’il ne se tue au travail. Bérnard Mélois faisait preuve d’un entêtement obsessionnel à travailler jusqu’à trois semaines avant sa mort, adoptant comme devise la phrase de Picasso : Quand je travaille, je laisse mon corps devant la porte (p. 73). Mais c'est l'injonction de Paul Valéry qu'il aurait voulu graver sur la porte de son atelier : Ami, n'entre pas sans désir (p. 85).

Il avait une volonté de fer, écrivant dans son journal : Les choses ne sont pas ce qu'elles sont. Elles sont ce que l'on veut qu'elles soient (p. 163). L'homme parlait peu mais il nota sur des carnets, 60 ans de pensées qu'il laissa en héritage à sa fille. Je ne dis pas un mot. je suis sculpteur, pas écrivain. Tout tout est dans ma sculpture, sans aucun sens caché (p. 156). Voilà sans doute pourquoi je les trouve si expressives et par le fait bouleversantes car chacune délivre un message ou illustre une pensée.

Il était familier de blagues pourries. Il téléphonait le 31 octobre en criant Allo…ween ? dans le combiné et lançait chaque 18-06 l'appel … du 18 juin en allant parfois jusqu'à offrir une pelle à l'heureux récipiendaire. Il avait un humour à couper au couteau que sa fille a cultivé avec amour. Son poème de la mouche à merde (p. 80) en est un exemple et aussi I love my  shell, en guise de déclaration d'amour à sa femme Michèle. Celle-ci a fait bouillir la marmite pendant 15 ans, lui permettant de créer sans craindre que la famille souffre de faim. Il la libéra de ses obligations les 10 années suivantes quand il commença à vendre ses sculptures une fois que Pierre Seghers lança le mouvement. Puis elle reprit son emploi d'enseignante.

On aura deviné que la photo de la couverture du livre illustre la complicité familiale. Sur ce cliché pris par sa femme adorée, il porte un manteau en poil de bouc et un chapeau de sa fabrication et Clémentine un bonnet de l’AS Saint-Etienne qui a toute une histoire (p. 93). Elle est aquarellisée au bleu, une couleur qu’il affectionnait, d’abord parce que les premiers ustensiles ménagers étaient émaillés en bleu, ensuite parce que c’est la couleur sacrée par excellence, celle du manteau de la Vierge et du plafond de la Sainte Chapelle. C'est donc ce colori "bleu plaque de rue" qui fut choisi pour peindre le cercueil, qui deviendra identique à celui de Michou, dont c'était la couleur fétiche, comme le feront remarquer les employés des Pompes funèbres (p. 16).

Alors c'est bien est un ouvrage qui n'est pas banal, c'est le moins qu'on puisse dire, sur un sujet qui pourrait être carrément glauque mais l'auteure en fait un feu d'artifice émotionnel et artistique. A tel point que sa lecture m’a enthousiasmée, ce qui j’en conviens n’était pas gagné d’avance.

Le titre est emprunté à Bernard qui volontiers approuvait les décisions familiales. J'entends encore pour ma part une grand mère ponctuer pareillement les conversations comme nous disons OK machinalement.

Le récit des derniers jours est poignant et douloureux même si son départ semble s'être effectué dans la dignité. La résistance de Clémentine l'est tout autant : Mon unique stratégie de survie est le déni (…) Bien stable sur mes appuis, je transforme mon angoisse en action et, d'un geste souple, je fais basculer le chagrin sur le tatami de la vie (p. 123).

Quel meilleur carburant à la survie que l'humour ? C'est comme une torche enflammée qui tient à distance les bêtes sauvages autour des feux de camp (p. 137).

Clémentine Mélois se déclare inapte au malheur. Sa force de caractère est contagieuse. C'est une lecture que je n'oublierai pas. Et je lui laisse la parole pour achever de vous convaincre .



Alors c'est bien de Clémentine Mélois, Collection L'arbalète/Gallimard, en librairie depuis le 22 août 2025
Prix littéraire : Prix Marianne (2025, Prix Eugène-Dabit du roman populiste (2025) Prix Méduse (2024) Prix Georges-Brassens (2024)
Ce livre qui a été nominé pour le Prix du Roman Fnac 2024 figure aussi dans la sélection du Prix des lecteurs de Vallée Sud Grand Paris.

samedi 24 mai 2025

Madeleine Béjart, une femme libre, interprétée par Isabelle Andréani

Isabelle Andreani est une comédienne que je chéris. Xavier Lemaire est un metteur en scène que j’apprécie, tout autant que l’auteur Pierre Olivier Scotto. Tous trois travaillent régulièrement ensemble et j’aurais été désolée de manquer leur rendez-vous autour de Madeleine Béjart au festival d’Avignon cet été.

On se souvient évidemment de leur précédent succès, Un cœur simple (qui sera cet été encore à l'affiche de l'Ancien Carmel d'Avignon à 15 h 15)

Le Théâtre des Gémeaux parisiens a offert au public parisien l’occasion de découvrir Une femme libre en avant-première à travers trois représentations spécialement programmées dans le cadre de leur nouveau festival mettant en avant des Seul(e)s en scène. Une, que dis-je, deux séances de rattrapage restent possibles dans le cadre du Mois Molière à Versailles les 25 et 26 juin. Ce sera dans la Cour de la Grande Ecurie, en plein air, et forcément émouvantissime.

Madeleine Béjart, une femme libre raconte les sept derniers jours de Madeleine Béjart, première compagne de Molière, qui a été sa "mentor", sa muse, sa compagnonne de route, son ombre… Par son écriture Pierre Olivier Scotto (ci-dessous avec son fils, ce qui donne l'indication que le spectacle est accessible aux enfants, à partir de 12 ans) démontre combien elle fut une femme moderne, capable de s’aventurer sur des chemins qu’aucune femme de son époque n’a empruntés.

On découvre que Madeleine est une interprète de génie, qu’elle écrit des vers, qu’elle invente la mise en scène, qu’elle construit, finance et dirige la troupe qui deviendra le Théâtre Français en 1680. À tel point qu’on a envie, quand le rideau se referme, de signer une pétition pour que la Comédie Française s’appelle la maison de Molière et de Madeleine Béjart !

La scénographie est simple, composée essentiellement d’accessoires. N’oublions pas que pendant le festival d’Avignon les artistes disposent de peu de place et surtout de peu de temps pour monter un décor. De toute façon, à l’origine, les comédiens ne disposaient pas de théâtre et jouaient sur des tréteaux.

Un fauteuil à cour adossé à une petite table évoque celui auquel on associe beaucoup de scènes interprétées par Molière. Le buste du maître est présent à jardin. Entre les deux une malle, telle que celles dans lesquelles depuis toujours on a transporté les costumes.

Isabelle Andreani m’a d’emblée conquise par ses éclats de rire dont la succession est digne de la tirade des nez de Cyrano.

J'ai lu que le spectacle était annoncé comme une confession. Ce n'est pas le terme qui me vient à l'esprit parce qu'elle n'a pas grand chose à se reprocher, bien au contraire. On comprend très vite -comme elle nous le souligne elle-même- qu'elle n'est pas une pleurnicheuse en se tournant vers nous comme pour nous livrer une confidence : Jean Baptiste me doit beaucoup

De fait, c'est bien cela car on quittera la salle en en sachant davantage sur cette femme que l'histoire n'a pas suffisamment retenue alors que son illustre partenaire a tiré grand honneur de leur compagnonnage. J'ai entendu dire d'ailleurs que la grande majorité de ses pièces n'étaient pas de sa plume mais de celle de Corneille. Il ne sera pas question de cela ce soir. Si sa mémoire est égratignée c'est sur un autre registre, plus personnel, bien que Madeleine ne soit pas dans la plainte. Et je me dis que s'il avait vécu à l'époque de #MeToo il n'aurait pas fait la carrière qu'il a eue.

Isabelle Andréani démontre, s'il le fallait qu'elle est une grande comédienne, et qu'elle maitrise l'art du rire car il est vrai que démarrer un spectacle par un rire est l’angoisse des comédiennes mais pas pour elle et elle nous en donne cinq exemples qui deviennent contagieux. La première fois qu'elle devra s'interrompre dans une quinte de toux on s'inquiète de découvrir un vrai souci de santé.

Elle n'a que 54 ans mais le compte à rebours est lancé. Il ne lui reste que 7 jours pour se livrer et lever le voile sur une vie de femme qui fut un océan de secrets.

Son père était huissier des eaux et forêts et sa mère propriétaire d’une échoppe de lingerie. On sent tout de suite que c'est une femme de tête. Malheureuse en ménage, elle n'hésita pas à batailler pour obtenir la séparation de corps et de biens. Superbe victoire et exemple manifeste à une époque où les femmes étaient empêchées.

La jeune fille grandira entre ce modèle d'autonomie et le conformisme (normal pour l'époque) d'un père qui l'offre à un homme âgé de 60 ans. Ç'aurait pu être un drame. Ce fut le début d'un épanouissement sexuel autant que sociétal par la fréquentation des salons littéraires mondains. L'homme sera son amant et son mentor (aucun doute que nous sommes loin de #Metoo). Ajoutez l'hypermnésie (et l'intelligence) et vous comprendrez l'agilité de Madeleine à devenir précieuse mais pas ridicule tout en demeurant courtisane sans culpabilité.

Son parcours interroge évidemment sur l'époque où la gente féminine était interdite d'écrire. Mais nullement de penser. Avec pertinence, sensibilité, est une certaine acuité dans ce qui peut advenir. C'est en tout cas la vision que Pierre Olivier Scotto nous invite à entendre sur Madeleine, ce qui ne l'empêche pas de brosser un très beau portrait d'homme à travers la figure du grand-père. Comme il est réjouissant d'entendre Isabelle (très bien dirigée par Xavier Lemaire) imiter la voix du vieillard prédisant : tu seras une grande tragédienne !

Elle rend grâce à la perspicacité de son aïeul tout en relatant la puissance de ses sentiments, estimant, en toute humilité, qu'elle lui doit d'être devenue Madeleine Béjart.
Mais aussi à Charles Dufresne qui lui apprit le jeu théâtral quand, au printemps 1645, la troupe de l'Illustre Théâtre ayant fait faillite, Molière et elle quittèrent Paris pour aller jouer dans l’ouest et le sud de la France au sein de la troupe de Dufresne.

On apprend tout ce que Molière lui doit alors que son comportement est odieux puisqu'il lui préfère Armande, qui n'est pas (ne serait pas) sa soeur mais sa fille. L'une ou l'autre option est tout autant désolante.

Le plus bouleversant est de revivre avec elle l'obligation de devoir rendre son rôle, ce qu'elle nous raconte tout en dégrafant sa robe, qu'elle range dans la malle, mettant à distance aussi le souvenir des coulisses du Théâtre du Marais qui l'a éblouie au premier regard. Comme je la comprends quand elle nous dit qu'elle n’en a jamais oublié l’odeur ! Il m’a fallu trois ans pour accepter de ne plus souffrir du manque de celle des coulisses du TNS après mon départ de Strasbourg.

Ce spectacle est une occasion de dire l'essentiel de la condition d'acteur. Un comédien ne dit pas je vais travailler mais je vais jouer. Il n'empêche que le trac ne tarit pas. Je suis comédienne depuis plus de trente ans et plus je joue plus j'appréhende la montagne de monter sur scène. On comprend la fonction d'apaisement que doivent jouer les loges qu'à juste titre Madeleine caractérise comme les petites alvéoles d’une ruche d’abeilles.

Madeleine restera une femme amoureuse qui pose régulièrement un regard attendri sur le buste de Poquelin. Mais elle sera aussi jusqu'au bout une femme libre, malgré un tempérament superstitieux. Qui ne l'était pas à cette époque ? On le serait à moins quand on compare les dates respectives de leur décès : le 17 février 1672 pour elle et le 17 février 1673 pour lui, très exactement un an plus tard.

Il y aurait sans nul doute beaucoup d'autres choses à dire. L'auteur m'a confié avoir écrit un monologue de deux heures trente dans lequel il fallut couper abondamment. L'essentiel a été conservé. Il est un spectacle en hommage à deux immenses comédiennes, Madeleine Béjart autant qu'Isabelle Andreani.
Madeleine Béjart, une femme libre, de Pierre Olivier Scotto
Interprétée par Isabelle Andréani
Mise en scène de Xavier Lemaire
Du 24 au 31 mai 2025
Au Théâtre des Gémeaux Parisiens - 15 rue du Retrait - 75020 Paris
Dans la Cour de la Grande Ecurie de Versailles les 25 et 26 juin 2025 à 20 h 30 (sachant que Un coeur simple y sera joué le 13 juin à 20 h 30)
La Luna du 5 au 26 juillet 2025 (relâche les 11, 18 juillet) à 11 h 45 à pendant le festival d’Avignon

vendredi 23 mai 2025

La Piscine de Roubaix, #3 Exposition temporaire Sens Dessus Dessous

À l’occasion de l’exposition des formes intimes et organiques réalisées par la céramiste Elsa Sahal pour Pool Dance (voir La Piscine #2), les cabines Mode de La Piscine se peuplent d’objets de la collection du musée.

Lingerie ou tenue du quotidien ? Cette exposition revient sur ces pièces mode qui ont flirté avec la frontière entre l’intime et le public depuis que Marie-Antoinette s'est exhibée en robe de chambre, corsets provocateurs ou nuisettes assumées et qu'elle a été portraiturée par Elisabeth Vigée-Le Brun en 1783 ni coiffée, ni maquillée, portant un ample chapeau de paille simplement posé sur la tête, vêtue d’une robe de mousseline au tissu vaporeux et transparent.

Nombreuses sont les femmes qui adopteront cette silhouette jugée provocante. Le vêtement de dessous deviendra alors officiellement tenue de dessus et la confusion règnera au fil des époques. Les textiles, les coupes, les coloris et les matières associées aux sous-vêtements se jouent des codes et réinventent la mode par la même occasion.

Entre tissus légers, coupes audacieuses et détournements historiques, et illustrant les propos de l’écrivain français du XVIIIe siècle Louis Antoine Caraccioli : Il y a souvent plus d’art dans le déshabillé que dans la grande parure, cette exposition explore comment nos vêtements du dessous ont pris le dessus. C'est l'occasion de voir ou revoir des créations iconiques.

A commencer par la pièce choisie pour l'affiche : 
Cardigan et robe, de Lolita Lempicka, automne-hiver 1998-1999, dentelle de viscose, polyamide et élasthanne, jersey damassé de polyamide et d’élasthanne. Don de la Société 3 Suisses en 2016.

Comme je le signale dans le premier article consacré ce mois ci à ce musée l’exposition est prétexte à redécouvrir des oeuvres du musée appartenant à une autre catégorie, comme ce Maillot "Bains municipaux Roubaix n°2" en porcelaine, 2016 d’Isabelle Ramnou.
Mais flânons le long des vitrines et rêvons à ce que nous oserons encore porter à la vue de tous. Sans doute pas cette chemise de nuit en crêpe de Chines, datant de la fin XIX° de Liberty and Co, maison fondée à Londre en 1975.
Et pourtant elle n’est pas si différente que cette robe beige réalisée par un Anonyme vers 1920 en mousseline de soie, dentelle de fils métalliques, agrafes métalliques.
Le doute est permis avec cet ensemble à dentelle, jersey de polyamide et d’élasthanne, dentelle de coton, réalisé pour l’automne-hiver 1998-1999 par Lolita Lempicka pour les 3 Suisses, qui en ont fait don au musée en 2016, marque locale fondée à Paris en 1983, marque locale fondée en 1932. On devine sur la gauche le modèle qui a été retenu pour l'affiche.
Il l’est encore pour cette Robe d'inspiration guêpière, été 2005 en jersey de polyamide, d'élasthane et de lycra, baleines mécaniques, don de la société La Redoute en 2005, créé par Jean-Paul Gaultier pour La Redoute, maison fondée à Pais en 1982, marque fondée à Roubaix en 1837.
Et bien entendu encore pour ce tailleur années 1990 en Tergal de coton, dentelle de coton, boutons de plastique, satin de polyester de John Galliano, maison fondée en 1984.

Comme je le faisais remarquer dans un précédent article on aime à passer d’un tableau à un vêtement en comparant les styles et les allures. Par exemple du Portrait de Georges Menier, huile sur toile vers 1925 de Bernard Boutet de Monvel (1884-1949) à La robe tricolore, huile sur toile de 1985 d'Arthur Van Hecke (1924 à Roubaix- 2003) qui tous deux nous incitent à faire des allers et venues avec les cabines.
De l’autre coté, des planches de dentelle apportent un autre contrepoint d’autant que leur graphisme semble s’intégrer à l’architecture.
Planche de dentelle de Flandres - France XIX° en lin et fuseaux
Maison Lefébure, Bayeux-Paris, 1829 - 1932 dentelle de Chantilly
 Michele Lemaire, Walincourt - France - 2003, Fleurettes roses , broderie de polyamide qui elle-même fait écho à un des jupons à volants en polyester de cette même artiste Michele Lemaire.

L’exposition et les oeuvres annexes démontre l’étendue de la palette de l'intime, du rouge intense (non photographié) au jaune acidulé. La lingerie -originellement produite en lin dans l'Antiquité- se développe en Occident à partir du XVI° siècle et séduit alors par sa blancheur et son éclat, gages de propreté, de respectabilité et de richesse. Portée en dessous des vêtements d'apparat, elle protège et dissimule une anatomie intime alors associée à la luxure.

Dès le XVII°, les dessous vont se faufiler sur les dessus. Le linge de corps immaculé dépasse des poignets de manches et du col de l'habit masculin. Dans les années 1920, arrivent les couleurs chair. Le glamour des années 1950 annonce l'arrivée de couleurs vives sur les dessous et les dessus, déclinées en une multitude de teintes dès l'apparition de pigments de synthèse dans les années 1970.

Sens Dessus Dessous du 1er mars au 8 juin 2025
Cabines de la Mode du Premier étage
Commissariat scientifique et régie : Amélie Boron, chargée de la collection Mode
A La Piscine – Musée d’art et d’industrie André Diligent
23 rue de l'Espérance - 59100 Roubaix
Fermé le lundi et plusieurs jours fériés
L'exposition étant présentée dans les espaces dédiés aux collections permanentes, elle est accessible gratuitement chaque premier dimanche du mois.

jeudi 22 mai 2025

Cuisiner le poivron à un niveau étoilé, défi relevé par le chef Andreas Mavrommatis

L’an dernier le chef Andreas Mavrommatis avait établi un menu exceptionnel mettant en valeur la pomme Kiku. Cette année il a relevé un nouveau défi, celui de cuisiner le poivron à un niveau étoilé. Le menu qu’il a imaginé dans le cadre du programme EU Pepperland, une coopérative rassemblant 80 producteurs grecs, et de leurs produits de haute qualité a été présenté au Laurier (60 Champs-Elysées) dans une ambiance chaleureuse et fut très apprécié.

Je connais le chef depuis plusieurs années et ce n’est pas la première fois que je découvre sa cuisine. Et pourtant je suis encore surprise par son talent à sublimer un produit, tant par les associations de saveur que visuellement. J’encourage ceux et celles qui n’ont pas encore expérimenté ses tables (il y en a plusieurs dans différents quartiers parisiens) d’y programmer une halte, en salle ou en terrasse.

Je vous donnerai quelques idées pour utiliser les produits Kentris avec simplicité et gourmandise en fin d’article mais voici d’abord la preuve en images de ce dîner d’exception :
Nous avons été accueillis par une coupe de champagne rosé, de jolis plateaux de bouchées délicieuses et nous avons découvert sur les tables un assortiment de poivrons marinés et d’olives Kentris (dont je vous reparlerai plus loin).
Pour commencer, des Moules marinées dans une royale de chou-fleur à l’Ouzo, pomme granny smith, verveine.
Arriva ensuite Manouri, une merveilleuse tarte phyllo, petits-pois-févettes, condiment été aux pistache d’Egine AOP.
Le poivron était mis à l’honneur dans une préparation farcie en fritto avec un Coeur de saumon confit à l’huile d’olive et un jus vert iodé aux herbes fraîches.
Suivi une Caille fermière, en feuille de vigne, farcie aux champignons sauvages, asperge verte, pomme vitelotte, jus au miel de Crète et baies de cannelier.

mercredi 21 mai 2025

Le coup du lapin de Stéphanie Blake

Pour son premier roman adulte (et on espère que d’autres suivront) Stéphanie Blake a choisi un titre qui évoque l’animal qu’elle nous a appris à aimer, le lapin, et qui est le héros de tous les albums qu’elle a déjà publiés en littérature jeunesse.

Le coup du lapin est d’autant plus justifié que dès les premières pages sa mère décède d’une chute que la médecine qualifie par la même expression.

J’aime beaucoup la couverture qui évoque une page déchirée et qui est la signature graphique de son éditeur en littérature adulte, La tribu. Le nom apparaît quasiment sous la forme d’un électrocardiogramme et je vous en dirai davantage en fin d’article car une nouvelle maison d’édition mérite qu’on pointe le projecteur sur elle.

Mais d’abord, honneur à l’impertinente Stéphanie qui réjouit tant les enfants avec son lapin Simon (publié à L’Ecole des loisirs, qui est son éditeur jeunesse). Beaucoup de parents se sont offusqués de son premier ouvrage Caca boudin. Pourtant, quand on lit son roman, très inspiré de sa réalité, on applaudit à sa capacité de résilience et de créativité, même si tout n’est pas exact (on s’en doutait et c’est tant mieux) : On brode toujours quand on raconte une histoire et c’est exactement ce que je vais faire ici (p. 37).

Certes, bien qu’elle en raconte le parcours à la première personne, elle n’est pas exactement Tess, l’héroïne de son roman et pour tout vous dire j’espère qu’elle aura un peu forcé le portrait. Parce que devoir surveiller sa mère quand on n’a que quatre ans, c’est du lourd. Les premières phrases du livre sont courtes. Elles claquent et forgent des images précises.

Elle m’a beaucoup touchée par des confidences qui m’ont fait mesurer combien il est complexe de grandir entre deux cultures, à des milliers de kilomètres de son père, et j’y suis d’autant plus sensible que ma fille vit à 10 000 km de moi.

On croit les américains proches de nous en termes de mode de vie parce qu’ils nous sont familiers, ne serait-ce que par le cinéma, mais tant de choses y sont différentes ! Et Stéphanie est très amusante lorsqu’elle dresse la liste des divergences.

Il est difficile d’apprécier la nature de ses relations avec les femmes de sa famille. Elle critique sa grand-mère mais l’admire aussi, rendant hommage à la force magistrale de cette femme qui à 98 ans se fait belle, s’allonge et décide que sa vie est achevée (p. 133).

Sa mère, née en 1947 dans une ferme de l’Iowa, a sans doute des circonstances atténuantes. En tout cas l’auteure s’emploie à nous faire saisir le contexte (p. 27) et plus loin on comprend que bien qu’elle soit née en 1968, en plein mouvement de libération de la femme… Tess est devenue femme au foyer très jeune, tout comme sa mère, et qu’elle a longtemps répété avec ses compagnons le modèle qu’elle même fustigeait. C’est très classique et sans spolier la fin, je dirai tout de même qu’on est heureux de deviner qu’elle est sortie du cercle infernal. En attendant, elle a raison de dénoncer qu’en quarante ans, rien n’a changé (pas encore), les hommes mûrs n’ont pas honte de sortir avec des femmes qui ont l’âge de leurs filles (p. 71).

Entre temps elle aura fait (aussi) le récit poignant de son infarctus (p. 95) et nous aura confié toutes sortes de soucis dont son entourage n’a sans doute pas conscience puisqu’elle a rangé son chagrin dans la poche de son manteau (p. 49). J’ai noté la citation au cours de ma lecture, comme à mon habitude, en ne me doutant pas une seconde que je ne faisais preuve d’aucune perspicacité : c’est celle qui figure sur la page déchirée de la couverture …

Le livre est émouvant mais il n’est pas plombant. Stéphanie accueille les aléas avec humour. Papa est féministe puisqu’il aime les femmes. Il n’y a que la sienne qui ne le comprend pas ! (p. 35). Sa commande d’un double burger avec extra cheese et frites (p. 168) est d’une drôlerie qui respire le vécu. Et quand -enfant- elle se blesse elle fanfaronne parce qu’elle a reçu une sucette en forme de lapin (p. 51), sans nul doute prémonitoire de ce qui suivra. Pourtant elle interroge sans cesse l’origine de ce sentiment de désordre et cette culpabilité de ne pas y arriver (p. 59) alors que nous voyons plutôt une femme qui a réussi à s’adapter, quitte à devenir un caméléon, avant de muer et de s’épanouir dans sa peau actuelle. Logique pour qui a les dents du bonheur. Je connaissais l’explication de l’expression (p. 231). Elle semble farfelue et pourtant c’est bien exact (je vous la laisse découvrir).

Par chance, Simon, le lapin, est devenu son golem (p. 105) et je ne pense pas être oracle en prédisant qu’ils ne se quitteront pas. Je suis grande amatrice de littérature jeunesse mais j’ignorais avant qu’elle ne le dise (p. 111 à propos de Patate pourrie) combien les aventures de Simon étaient inspirées de sa propre vie et que c’était ses propres émotions qu’elle dessinait sur le visage de sa créature fétiche, en se plaçant toujours à hauteur d’enfant afin de le mettre sur le chemin qui lui permettra de comprendre ce qu’il ressent et lui permettre d’intégrer qu’il en a le droit. J’ai pourtant écrit dans ma chronique sur le jeu de 7 familles que le célèbre lapin était son alter ego.

Elle évoque certaines de ses collaborations comme celle qui avait été prévue au musée d’Orsay (p. 120) et qui finalement fut limitée. Mais elle ne dit rien de beaucoup d’autres, de ce qu’elle a fait par exemple pour animer les murs du service de pédiatrie de l’Hopital Necker ni de sa présence à la seconde Maison des histoires de l’Ecole des loisirs (je décris la première ici) qui ouvrira le 9 juillet prochain au 9 cité de la Roquette. Les enfants pourront y enfiler une cape de Superlapin et rejoindre Simon, Gaspard et leurs copains pour sauver le monde des attaques du terrible Professeur Wolf dans un jeu de balles ébouriffant qui culminera à 5 mètres de hauteur. Les plus petits pourront aussi s’amuser avec des balles magnétiques, des jeux de disparition ou d’équilibre dans l’air. Le décor (dont j’ai vu une maquette) sera psychédélique, et il y aura des déguisements et des défis pour tous les âges… dans l’univers culte de Stephanie, revisité en version immersive.

Bien entendu Stéphanie Blake ne s’éloigne pas de la littérature jeunesse mais elle va devoir s’organiser pour alterner l’écriture d’albums avec celle de romans destinés aux adultes dans lequel elle entre avec la force d’un coup de poing.

Stephanie Blake est née en 1968 à Northfield dans le Minnesota. Elle a passé ses premières années aux États-Unis avant de suivre sa mère à Paris en raison du divorce de ses parents. Autrice de livres pour la jeunesse, son oeuvre est traduite dans plus de vingt pays et adaptée en dessin animé. Son personnage impertinent, Simon le lapin, a touché des millions d'enfants et d'adultes à travers le monde. Autodidacte, elle a été une grande lectrice du Docteur Seuss, de Tomi Ungerer, sans oublier les nursery rhymes.

La Tribu se décrit comme éditeur de rêves et de tumultes (au pluriel). C’est une des maisons rassemblées dans le Groupe Les Nouveaux Éditeurs crée par Arnaud Nourry, ancien PDG d’Hachette Livre. Spécialisée en littérature française et francophone, La Tribu est dirigée par Julia Pavlowitch, âgée de 45 ans, qui fut éditrice dans des maisons d’édition indépendantes comme Les Arènes, L’Iconoclaste et enfin Phébus, qu’elle a dirigé pendant trois ans jusqu’en mars dernier. La Tribu défend pour le moment cinq auteurs, dont l’initiale du nom ne dépasse pas la lettre D …

Le coup du lapin de Stéphanie Blake, à La Tribu, en librairie depuis le 7 mai 2025

Articles les plus consultés (au cours des 7 derniers jours)