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mercredi 21 mai 2025

Le coup du lapin de Stéphanie Blake

Pour son premier roman adulte (et on espère que d’autres suivront) Stéphanie Blake a choisi un titre qui évoque l’animal qu’elle nous a appris à aimer, le lapin, et qui est le héros de tous les albums qu’elle a déjà publiés en littérature jeunesse.

Le coup du lapin est d’autant plus justifié que dès les premières pages sa mère décède d’une chute que la médecine qualifie par la même expression.

J’aime beaucoup la couverture qui évoque une page déchirée et qui est la signature graphique de son éditeur en littérature adulte, La tribu. Le nom apparaît quasiment sous la forme d’un électrocardiogramme et je vous en dirai davantage en fin d’article car une nouvelle maison d’édition mérite qu’on pointe le projecteur sur elle.

Mais d’abord, honneur à l’impertinente Stéphanie qui réjouit tant les enfants avec son lapin Simon (publié à L’Ecole des loisirs, qui est son éditeur jeunesse). Beaucoup de parents se sont offusqués de son premier ouvrage Caca boudin. Pourtant, quand on lit son roman, très inspiré de sa réalité, on applaudit à sa capacité de résilience et de créativité, même si tout n’est pas exact (on s’en doutait et c’est tant mieux) : On brode toujours quand on raconte une histoire et c’est exactement ce que je vais faire ici (p. 37).

Certes, bien qu’elle en raconte le parcours à la première personne, elle n’est pas exactement Tess, l’héroïne de son roman et pour tout vous dire j’espère qu’elle aura un peu forcé le portrait. Parce que devoir surveiller sa mère quand on n’a que quatre ans, c’est du lourd. Les premières phrases du livre sont courtes. Elles claquent et forgent des images précises.

Elle m’a beaucoup touchée par des confidences qui m’ont fait mesurer combien il est complexe de grandir entre deux cultures, à des milliers de kilomètres de son père, et j’y suis d’autant plus sensible que ma fille vit à 10 000 km de moi.

On croit les américains proches de nous en termes de mode de vie parce qu’ils nous sont familiers, ne serait-ce que par le cinéma, mais tant de choses y sont différentes ! Et Stéphanie est très amusante lorsqu’elle dresse la liste des divergences.

Il est difficile d’apprécier la nature de ses relations avec les femmes de sa famille. Elle critique sa grand-mère mais l’admire aussi, rendant hommage à la force magistrale de cette femme qui à 98 ans se fait belle, s’allonge et décide que sa vie est achevée (p. 133).

Sa mère, née en 1947 dans une ferme de l’Iowa, a sans doute des circonstances atténuantes. En tout cas l’auteure s’emploie à nous faire saisir le contexte (p. 27) et plus loin on comprend que bien qu’elle soit née en 1968, en plein mouvement de libération de la femme… Tess est devenue femme au foyer très jeune, tout comme sa mère, et qu’elle a longtemps répété avec ses compagnons le modèle qu’elle même fustigeait. C’est très classique et sans spolier la fin, je dirai tout de même qu’on est heureux de deviner qu’elle est sortie du cercle infernal. En attendant, elle a raison de dénoncer qu’en quarante ans, rien n’a changé (pas encore), les hommes mûrs n’ont pas honte de sortir avec des femmes qui ont l’âge de leurs filles (p. 71).

Entre temps elle aura fait (aussi) le récit poignant de son infarctus (p. 95) et nous aura confié toutes sortes de soucis dont son entourage n’a sans doute pas conscience puisqu’elle a rangé son chagrin dans la poche de son manteau (p. 49). J’ai noté la citation au cours de ma lecture, comme à mon habitude, en ne me doutant pas une seconde que je ne faisais preuve d’aucune perspicacité : c’est celle qui figure sur la page déchirée de la couverture …

Le livre est émouvant mais il n’est pas plombant. Stéphanie accueille les aléas avec humour. Papa est féministe puisqu’il aime les femmes. Il n’y a que la sienne qui ne le comprend pas ! (p. 35). Sa commande d’un double burger avec extra cheese et frites (p. 168) est d’une drôlerie qui respire le vécu. Et quand -enfant- elle se blesse elle fanfaronne parce qu’elle a reçu une sucette en forme de lapin (p. 51), sans nul doute prémonitoire de ce qui suivra. Pourtant elle interroge sans cesse l’origine de ce sentiment de désordre et cette culpabilité de ne pas y arriver (p. 59) alors que nous voyons plutôt une femme qui a réussi à s’adapter, quitte à devenir un caméléon, avant de muer et de s’épanouir dans sa peau actuelle. Logique pour qui a les dents du bonheur. Je connaissais l’explication de l’expression (p. 231). Elle semble farfelue et pourtant c’est bien exact (je vous la laisse découvrir).

Par chance, Simon, le lapin, est devenu son golem (p. 105) et je ne pense pas être oracle en prédisant qu’ils ne se quitteront pas. Je suis grande amatrice de littérature jeunesse mais j’ignorais avant qu’elle ne le dise (p. 111 à propos de Patate pourrie) combien les aventures de Simon étaient inspirées de sa propre vie et que c’était ses propres émotions qu’elle dessinait sur le visage de sa créature fétiche, en se plaçant toujours à hauteur d’enfant afin de le mettre sur le chemin qui lui permettra de comprendre ce qu’il ressent et lui permettre d’intégrer qu’il en a le droit. J’ai pourtant écrit dans ma chronique sur le jeu de 7 familles que le célèbre lapin était son alter ego.

Elle évoque certaines de ses collaborations comme celle qui avait été prévue au musée d’Orsay (p. 120) et qui finalement fut limitée. Mais elle ne dit rien de beaucoup d’autres, de ce qu’elle a fait par exemple pour animer les murs du service de pédiatrie de l’Hopital Necker ni de sa présence à la seconde Maison des histoires de l’Ecole des loisirs (je décris la première ici) qui ouvrira le 9 juillet prochain au 9 cité de la Roquette. Les enfants pourront y enfiler une cape de Superlapin et rejoindre Simon, Gaspard et leurs copains pour sauver le monde des attaques du terrible Professeur Wolf dans un jeu de balles ébouriffant qui culminera à 5 mètres de hauteur. Les plus petits pourront aussi s’amuser avec des balles magnétiques, des jeux de disparition ou d’équilibre dans l’air. Le décor (dont j’ai vu une maquette) sera psychédélique, et il y aura des déguisements et des défis pour tous les âges… dans l’univers culte de Stephanie, revisité en version immersive.

Bien entendu Stéphanie Blake ne s’éloigne pas de la littérature jeunesse mais elle va devoir s’organiser pour alterner l’écriture d’albums avec celle de romans destinés aux adultes dans lequel elle entre avec la force d’un coup de poing.

Stephanie Blake est née en 1968 à Northfield dans le Minnesota. Elle a passé ses premières années aux États-Unis avant de suivre sa mère à Paris en raison du divorce de ses parents. Autrice de livres pour la jeunesse, son oeuvre est traduite dans plus de vingt pays et adaptée en dessin animé. Son personnage impertinent, Simon le lapin, a touché des millions d'enfants et d'adultes à travers le monde. Autodidacte, elle a été une grande lectrice du Docteur Seuss, de Tomi Ungerer, sans oublier les nursery rhymes.

La Tribu se décrit comme éditeur de rêves et de tumultes (au pluriel). C’est une des maisons rassemblées dans le Groupe Les Nouveaux Éditeurs crée par Arnaud Nourry, ancien PDG d’Hachette Livre. Spécialisée en littérature française et francophone, La Tribu est dirigée par Julia Pavlowitch, âgée de 45 ans, qui fut éditrice dans des maisons d’édition indépendantes comme Les Arènes, L’Iconoclaste et enfin Phébus, qu’elle a dirigé pendant trois ans jusqu’en mars dernier. La Tribu défend pour le moment cinq auteurs, dont l’initiale du nom ne dépasse pas la lettre D …

Le coup du lapin de Stéphanie Blake, à La Tribu, en librairie depuis le 7 mai 2025

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