
Elles se définissent comme Les Rapiéceuses et derrière ce nom se cachent deux formidables talents, incarnés sur scène par Aurore Bouston et Marion Lépine. Mais il faudrait citer chaque membre de l'équipe artistique qui a toute sa place à leurs côtés.
J'avais été bluffée par leur spectacle au nom bricolé d'Opérapiécé il y a six ans sous les voutes de l'Essaion. Je n'ai sans doute pas été la seule à les presser de nous proposer une suite car elle se sont lancées, en renouant avec ceux qui les avait accompagnées.
Et c'est toujours aussi bien. Que vous aimiez l’opéra ou que vous préfériez-vous la variété française, que vous soyez nostalgique des grands airs ou des tubes de votre jeunesse, c'est la pépite qu’il ne faut pas manquer.
La fenêtre était brève puisque le trio ne restait sur scène (au Théâtre du Lucernaire) que du mardi 6 au dimanche 11 mai 2025. L'idée était de le présenter avant le grand départ pour le Festival Off Avignon où il s'installera à l’Epicène à 17 h 55 (sauf lundis).

Il fallait bien un thème pour cet Opus 2 d’Opérapiécé qui va ravir les fans et gagner un nouveau public et c’est celui du souvenir, avec son corollaire, la mémoire qui flanche.
Qu’elles se préparent parce qu’on va réclamer un Opus 3 l’année prochaine, ou dans deux ans, parce qu’on a compris que c’est un énorme travail d’architecturer tout cela sans qu’on en voit les coutures.
A propos de couture je laisse quelques instants la parole à la costumière qui a cherché à nous faire voyager à travers l’histoire de la mode, du début du XXème siècle à nos jours : Nous débutons le spectacle avec des tenues de concert, dont les silhouettes d’amazones nous transportent directement en 1900. C’est l’image d’un passé idéalisé avec ces longues robes sophistiquées, dont nous ne garderons bientôt que des photographies.
La réalité présente nous rattrape et les images du passé sont enfouies sous des piles de notes, post-it et autres pense-bêtes qui grignotent les silhouettes.
Papier et tissu se mélangent pour créer des "robes-bureaux", qui font la part belle à l’upcycling. Ce mouvement, qui a débuté au début des années 90, vise à créer une mode "éco-responsable". Dans le premier opus on assumait déjà cette volonté de “rapiécer”. Dans ce second spectacle, il est encore plus important d’utiliser des matériaux qui ont déjà vécu car ils véhiculent une mémoire à part entière.
Et comme la mode est un éternel recommencement, c’est l’occasion de ressortir des vêtements "démodés", pour arborer le look vintage d’une pop star des années 80 ! Pour chaque nouvelle chanson, un nouveau look. Cette profusion, typique de la société de consommation, nous fait traverser un demi-siècle de styles.
On ne s’en souviendra pas, mais nous y étions, la preuve sur les réseaux ! Les "robes-bureaux" sont devenues des tenues de cyborg toutes options, sortes d’armures mécaniques couvertes de plastique. Mais l’électronique ne suffit pas à pallier les dégâts du temps et bientôt l’écran noir se grise et se délite.
Si ce sont d’abord les jeux de matières qui prédominent dans les premiers costumes, dans la dernière partie du spectacle, ce sont des couleurs délavées qui illustrent l’effacement progressif de la mémoire, jusqu’à la page blanche.
A l'instar du petit gâteau préféré de Marcel Proust (qui est distribué à quelques chanceux au début de la représentation) cet Opérapiécé opus 2 réactive magistralement nos souvenirs d’opéra comme de variété française, qu'il s'agisse de Bach, Gotainer, Chopin, Polnareff, Mozart, Biolay, Wagner …
Quel bonheur par exemple de réentendre les Trois petites notes de musique composées par Georges Delerue pour Yves Montand, Les p'tits papiers écrits par Serge Gainsbourg pour Régine en 1965. il y a des tubes intersidéraux comme Dream a Little Dream of Me (fais un petit rêve de moi, en anglais), standard de jazz américain enregistrée en 1931 et reprise par de nombreux interprètes, dont en particulier Ella Fitzgerald & Louis Armstrong en 1950, Cass Elliot du groupe The Mamas and the Papas en 1968, ou Enzo Enzo en 1990 sous le titre Les Yeux ouverts.
Comme il est vrai que l'oubli est un affreux voleur et nous sommes ravis que nos mémoires soient ravivées, parfois d'ailleurs avec humour. Et puis on redécouvre des paroles qu'on avait occultées au profit des musiques, comme Les yeux de la mama de Kendji Girac ou celles, si émouvantes, de Mon héritage de Benjamin Biolay dédiées à son enfant. Sans parler des conseils de la fée des Lilas à Peau d'âne (qui résonnent avec l'actualité). Personnellement j'ai adoré deviner dès les premiers mots les sublimes paroles (pourtant si simples) des Eaux de Mars, chefs-d'œuvre d'Antonio Carlos Jobim dont il a eu l'idée au cours d'une promenade avec sa femme Thereza Otero en mars 1972. Et puis aussi La danse du Grand Calumet de la Paix du Ballet Héroïque des Indes galantes de Jean-Philippe Rameau, créé en 1735.
Voyez comme Les souvenirs foisonnent, envahissent ma tête / Non je n’ai rien oublié, comme le chantait si bien Charles Aznavour.
Les duos sont évocateurs même quand il s'agit d'airs classique sur lesquels les chanteuses ont inventé des paroles originales. Certains semblent incongrus et pourtant il existait bel et bien un lien entre Nana Mouskouri, l'interprète de L'enfant au tambour et Michel Polnareff, l'auteur de Lettre à France.
Et toujours l’accordéon, véritable orchestre à bretelles, auréolé de son parfum nostalgique, offre un décalage inattendu à cet univers hétéroclite mais parfaitement cohérent.
Le public n’a qu’une frustration, celle de ne ne pas chanter lui aussi pour faire chorale avec Aurore Bouston et Marion Lépine. Il faudrait pour cela le temps d’un second rappel … impossible quand on est programmé à 18 h 30 et que les spectacles s’enchainent.
Vous pouvez emmener vos enfants (à partir de 8 ans) et reprendre ensuite avec eux les grands tubes une fois de retour à la maison. On aurait d’ailleurs envie d’un enregistrement sur CD. Mais ne nous plaignons pas. La (très longue) liste des musiques nous est distribuée à la fin et on peut à volonté reprendre nos airs préférés.
Bravissimo e ben fatto a tutti !
De et avec Aurore Bouston et Marion Lépine
Direction musicale : Louis Dunoyer
Mise en scène et en lumières : William Mesguich
Accordéon : Jonas Vozbutas les 6-7-8 mai / Vincent Carenzi les 9-10-11 mai
Costumes : Marie-Caroline Béhue
Chorégraphies : Eva Tesiorowski
Au Théâtre Noir du Lucernaire
Du 6 au 10 mai à 18h30 et le dimanche, 11 mai à 15h
Du 5 au 26 juillet 2025 au théâtre Episcène d’Avignon à 17 h 55 (sauf lundis)
A partir de 8 ans
Les photos qui ne sont pas logotypées A bride abattue sont de © Karo Cottie
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