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vendredi 2 mai 2025

Jacaranda de Gaël Faye

Après Petit pays, nous attendions tous un second roman. Il fallut quelques années, précisément huit ans, pour que Gaël Faye se décide à remettre un nouvel ouvrage à son éditeur. C’est encore un succès puisqu’il a été pressenti lui aussi pour le Goncourt et quelques autres prix et il a reçu le Renaudot.

Jacaranda creuse un peu plus le sillon précédemment emprunté, bien que ce ne soit pas la suite de Petit pays, en s’appuyant toujours sur des données historiques mais on n’oubliera pas qu’il s’agit d’un roman et que ce n’est pas réellement autobiographique. J’écris parce que ça dépasse ma propre personne, dit l’auteur.

Les prénoms ont été changés. Lui-même y apparaît sous les traits d’un jeune garçon, à qui il a donné le prénom de Milan, en référence à son admiration pour Kundera.

Ce que j’ai trouvé "agréable" c’est d’être dans l’ambiance, au coeur de l’action, et surtout de comprendre les évènements alors que je ne "suis pas du pays". Et que, comme tout le monde hélas, j’avais vu une guerre qu’on présentait comme interethnique alors qu’il s’est agi d’un génocide résultant d’une idéologie qui a conduit à l’instauration d’une carte d’identité ethnique. Elle a été imposée en 1931 conjointement par l’église catholique et le gouvernement belge. Ce racisme du XIX° siècle européen a été mis en place à partir des critères physiques contre des classes sociales et pas des ethnies.

Les massacres de Tutsi (on ne met pas de s pour le pluriel de Hutu et Hutsi) ont commencé dès 1959, entraînant un mouvement d’exil. Être Tutsi c’était être un cafard à supprimer. Tuer un Tutsi c’était comme couper de l’herbe, et ça ne méritait pas un procès. On comprend qu’ils vivaient en rasant les murs.

La famille de l'auteur s'est exilée trente ans au Burundi (auquel était consacré Petit pays) et il est arrivé au Rwanda après le génocide des Tutsi. Ce pays, décrit jusqu'alors par sa famille comme le pays du lait et du miel était devenu un charnier à ciel ouvert, ce qui, à onze ans est une vision d’horreur. Voilà pourquoi il a voulu en raconter l'histoire.

Gaël Faye s’est plongé dans les archives médiatiques de l’époque. Si bien que même s’il ne fut pas le témoin direct de chaque épisode, tout ce qu’il écrit a réellement existé. Il ne faut pas voir Jacaranda comme une suite du précédent roman mais une comme "pièce de puzzle" à ajouter en élargissement de la focale.

Eusébie -qui existait déjà dans le premier roman- en est le pivot central et c'est le seul personnage dont on ne connait pas le destin à la fin du roman. 

Toute guerre est horrible mais dans l’échelle du terrible, qu’y a-t-il de pire qu’un génocide perpétré par vos voisins, vos collègues, vos amis d’enfance ? Jacaranda est, comme je m’y attendais, un livre très émouvant parce qu’il est inspiré de faits réels. Certains passages sont difficiles à lire. Je n’ose imaginer comment les individus ont pu traverser de tels cauchemars. Fort heureusement la carte d’identité ethnique a été abolie après le génocide et il est désormais légalement interdit de se définir comme Hutu ou Tutsi.

Mais pour commencer, nous sommes d’abord mis en confiance avec les personnages dont nous partageons la vie d’avant, alors que le drame n’a pas encore eu lieu. Il surgit brutalement en la personne de Claude, un enfant au crâne blessé dont on ne sait rien. Et ce n’est qu'à l’occasion d’un voyage sur la terre de ses ancêtres que le jeune Milan va commencer à mesurer l’ampleur du drame historique, qui touche aussi sa proche famille.

Milan revient pour assister au procès ga. L’auteur nous épargne (à ce moment du roman) les récits insoutenables mais on en devine l’ampleur, surtout si on a une conscience politique et le souvenir des évènements qui ont fait la une des journaux. Celui de Claude se résume à quelques lignes (p. 125). 

La lecture de Jacaranda ne laisse pas place au doute. Gaël Faye se situe dans une posture de transmission même s’il ne l’a pas décidé en conscience. En raison de l'énormité des massacres 70% des rwandais vivant actuellement là-bas sont nés après le génocide. Il fait lui-même figure d'ancêtre quand on apprend qu'il avait 11 ans à la fin. Quand il vivait au Burundi il a connu son arrière-grand-mère, qui avait grandi avant la carte d’identité ethnique, et qui elle aussi s’appelait Rosalie. Il s'en estime très chanceux. Il a rencontré des métis qui portent en eux la double culture et qui parlent du silence à l’intérieur de leur famille voyant le Rwanda comme un pays lointain.

Le personnage de la mère, endurée dans le silence, est très représentatif. Les parents sont incapables de parler, et s'imaginent que c'est une façon de protéger leurs enfants. mais ce n'est pas la bonne manière de faire car ce comportement génère de l'insécurité et, par voie de conséquence, de la colère au nom du droit de savoir. Gaël Faye reconnait que l'écriture, même romanesque, avait pour lui été l'échelle qui lui avait permis de passer au dessus du mur (du silence).

Stella symbolise une autre forme de silence, celui qui permet de rentrer en soi. Si on est attentif, on la découvre perchée en haut de l'arbre sur la couverture du livre où l'arbre se détache en ombre chinoise. C'est un jacaranda dont les fleurs sont mauves, d'où la couleur de fond, et la référence à l’arbre généalogique est tentante. La petite fille croit qu’après sa mort sa grand-mère Rosalie trouvera refuge dans l’arbre qui accueille tous les disparus. C'est aussi le totem qui permettra à Milan de reconnaître la maison (p. 119).

Jacaranda est un livre dont la lecture peut être qualifiée de nécessaire pour comprendre la spirale infernale du génocide dans le formatage des populations. L’épisode de la destruction des motos (p. 186) témoigne de la spirale de la vengeance intergénérationnelle dans ce pays où la paix n’est qu’une guerre suspendue (p. 80).

Tout cela justifie probablement qu'on puisse faire des stocks de fête, au cas où. On rafistole nos foutues jeunesses gaspillées (p. 82). La forte maturité de Claude est sans doute le résultat de la guerre.

Ceux qui n'ont pas traversé les épreuves veulent comprendre et questionnent. Les autres veulent oublier. Le garçon proteste : Je ne suis pas un guide touristique de la douleur (p. 89). En tout cas Gaël Faye, et c'est en son honneur, ne dresse pas un portrait à charge. Il ne juge pas ses personnages même s’ils font des choses terribles et poursuit la quête infinie d'être juste en racontant l'histoire sur quatre générations, en plaçant ses personnages dans un esprit de dialogue et une tentative de pardon.

Il fait ainsi mentir la mère qui lui refuse le droit de savoir : - Mais qu’est-ce que tu crois, bon sang ? Tu es un étranger, Milan. Et moi aussi je suis devenue une étrangère ici. Je ne comprends rien à ce pays. Alors toi, même pas la peine d’y penser (p. 92).

Comme il a raison de braver l'interdit de remuer le passé !

On notera une place importante accordée aux livres. Le surnom de Sartre en est un indice. Et aussi à la musique dont on nous donne plusieurs titres de morceaux. Milan découvre le highlife, l’acrobat, le funk, la soûl, la rumba (p. 68), … qui ont sans doute influencé la carrière de musicien de l'auteur.

Ce livre, qui a été nominé pour les Prix Renaudot, Prix Goncourt, Prix Renaudot des lycéens et qui a reçu le Prix Fémina des lycéens, figure dans la sélection du Prix des lecteurs de Vallée Sud Grand Paris.

Jacaranda de Gaël Faye, Grasset, en librairie depuis le 14 août 2024

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