
Astrid Thompson (Valérie Donzelli) parvient enfin à réaliser le rêve de son père : réunir quatre Stradivarius pour un concert unique attendu par les mélomanes du monde entier. Mais Lise, George, Peter et Apolline, les quatre virtuoses recrutés pour l’occasion, sont incapables de jouer ensemble. Les crises d’égo se succèdent au rythme des répétitions. Sans solution, Astrid se résout à aller chercher le seul qui, à ses yeux, peut encore sauver l’événement : Charlie Beaumont, le compositeur de la partition (Frédéric Pierrot)
Il aurait été très compliqué de filmer autant de séquences musicales s’il avait fallu recourir à des doublures ou des effets spéciaux. Chacun joue réellement de son instrument, tous des "Strat" (stradivarius s’il-vous-plaît). Marie Vialle (Lise) a déjà joué du violoncelle au théâtre. Par contre Emma Ravier, qui est violoniste et altiste, n’avait aucune expérience du cinéma. Il se pourrait qu’elle soit la prochaine révélation féminine aux César car sa performance est digne de celle de Louane dans La famille Bélier il y a dix ans.
Daniel Garlitsky est connu dans le classique, mais aussi dans le jazz manouche, avait déjà interprété de la musique devant une caméra, dans Marie-Antoinette de Sofia Coppola ou Le roi danse de Gérard Corbiau,. Grégoire Hetzel avait déjà fait appel à lui pour jouer certaines de ses partitions pour le cinéma mais il n’avait jamais interprété un rôle de l’ampleur de Peter. C’est un mal voyant dont le champ de vision est rétréci, mais qui parvient tout de même à voir un peu, d’où sa manière singulière de tenir les partitions. Son regard vague circule avec un naturel confondant d’un endroit à un autre. Mathieu Spinosi un acteur issu d’une grande famille de musiciens complètent ce quatuor qui est au départ dissonant.
Si le propos et la manière dont on aborde la musique sont traités avec le plus grand sérieux ne pensez pas un instant que le propos soit ennuyeux bien au contraire. La rigueur musicale n’exclut pas la fantaisie, voire le burlesque. Les Musiciens est d’abord une comédie. Il y a autant de renversements de situation à tonalité dramatique que comique. On a beaucoup ri dans la salle de cinéma lundi soir (une vraie salle avec un vrai public, pas une soirée sur invitation) et, pour la première fois, les applaudissements ont crépité au début du générique de fin. C’était du jamais entendu pour un film qu’on vient voir sans en connaître le titre.
Que dire de plus pour vous donner envie ? Ah si, Valérie Donzelli est merveilleuse dans le rôle de la riche héritière d’un multimillionnaire débarrassée de tout complexe social. Elle parvient à être immédiatement sympathique et touchante. Dans sa manière de contenir son émotion, de mettre de l’huile dans les rouages pour que le concert se fasse ou d’exploser soudain, elle illustre parfaitement la fragilité émotionnelle de cette fille dévouée à un père défunt dont elle découvrira le secret au cours des répétitions. Et puis Valérie est une artiste complète, également réalisatrice, et très concernée par la musique.
Les musiciens sont un régal à voir et à entendre. Le plan d’ouverture est mystérieux de prime abord, presque magique, nous plongeant au cœur d’un violoncelle, qui nous apparaît comme une caverne sur les parois de laquelle des ombres se reflètent… Nous sommes d’emblée dans l’envers du décor de ces instruments hors de prix, qui ont très souvent subi quantité d’accidents au fil des siècles dont témoignent des réparations qu’on ne voit qu’à l’intérieur.
Il semblerait que seul le quatuor Amadeus a joué sur quatre stradivarius les dernières années de sa longue carrière. Aujourd’hui ce serait impossible sans le concours d’une banque ou d’un mécène. Un Stradivarius, on l’apprend aussi dans le film, se vend à plus de 10 millions.
Les liens qui sont dépeints entre la musique et le monde de l’entreprise correspondent à une réalité. Le mécénat est vital car si la musique classique coûte plus d’argent plus qu’elle n'en rapporte elle élève les esprits.
Initialement, la production pensait louer des Stradivarius, mais compte tenu de leur immense valeur, cette option n’a pas été retenue. Le réalisateur a donc fait appel à François Ettori et Thibault Pailler qui sont luthier et archetier, installés au 80 rue de la Villette dans le 19e arrondissement de Paris. Ils ont conçus les instruments-acteurs, d’apparence semblable au modèle pensé par Stradivarius et pouvant fonctionner en cohérence les uns avec les autres. Maquiller l’intérieur d’un violoncelle pour donner à penser qu’il a été fait par un artisan italien de la Renaissance est une grande performance. François Ettori, en outre, interprète le rôle du luthier, en veillant à la crédibilité des dialogues, et il est impossible de s’apercevoir qu’il n’avait jamais interprétée de rôle au cinéma.
Stradivarius, c’est d’abord un dessin, puis un vernis adéquat, car il en existe une multitude. Il a fallu aussi travailler sur les manières de créer des faux accidents, car ces violons et violoncelles portent nécessairement les traces de musiciens les ayant pratiqués. Il n’y a, à ce jour, aucune preuve historique certifiant que Stradivari ait réalisé des quatuors d’instruments complets. Parier sur cette éventualité est l’un des enjeux de ce film. Stradivari n’était même pas violoniste. Il avait formé sa fille au violon pour avoir une idée des sons qu’il fabriquait. L’intelligence de son travail et la demande qu’elle a engendrée ont fait sa légende parce que à la fin de la Renaissance, on commençait à composer des partitions pour des instruments dont on attendait qu’ils sonnent "loin" alors qu'on fabriquait jusque là des violons pour les bourgeois et les nobles, qui donnaient des concerts dans leurs salons.
Un Stradivarius reste un outil issu d’un artisanat de qualité vieux de trois-cents ans, capable de résister au temps – pour ce qui est des violons, ce qui n’est pas vrai pour des guitares. Le violon est en bois, il a donc une hydrométrie qui fait qu’il respire. Etant en mouvement perpétuel, c’est un objet vivant. Il n’est mort que lorsqu’il n’est plus joué. Ce qui fait que les Stradivarius se distinguent par leur sonorité, c’est que Stradivari les a vendus d’emblée à de grands musiciens, aux rois et reines et le haut rang social de ses clients a contribué à la légende entretenue au fil des siècles par les luthiers et les musiciens. Il a a conçu environ six-cents instruments : quatre-cents sont basiques, cent-cinquante sont très bons et une cinquantaine confinent à l’irréel dans la qualité du son qu’ils font naître. Mais quelle que soit la qualité, en jouer demeure le nec plus ultra pour tout musicien et dans le film, Astrid en a fait des idoles qu’elle protège dans cette pièce où elle se recueille comme dans une chapelle.
J’ai travaillé pendant plusieurs mois sur un festival proposant 48 concerts dans des lieux qui n’étaient pas tous des salles de concert. La programmation allait des chants grégoriens à la musique contemporaine. Je me souviens de grands orchestres comme de quatuors (qui, jouant sans chef d’orchestre, doivent s’entendre entre eux). Voir permet de mieux entendre les notes mais aussi le bruit des doigts sur la touche, les articulations, les coups d’archets et le son des crins sur les cordes. Et je me souviens particulièrement d'une soirée avec Ivry Gitlis (et son violon !) au cours de laquelle j'ai eu la chance d’être près de lui. J’ai appris qu’en fait c’est le musicien qui fait l’instrument et non l’inverse. Si on veut transposer on peut considérer que ce n’est pas un Montblanc qui fera un grand écrivain …
Le réalisateur, Grégory Magne, dit avoir réalisé à quel point ce que les musiciens vivent et entendent du morceau qu’ils jouent différemment de ce que vit et entend l’auditeur ou le spectateur de concert. Il a trouvé là une matière géniale pour faire exister les champs/contrechamps, les bascules de point, le découpage. Et puis, dans un quatuor, les questions d’équilibre entre les instruments et d’harmonie sont tellement présentes que c’était la formation idéale pour raconter l’histoire de personnes qui justement peinent à s’entendre.
Je m’étais rendue compte pendant le festival combien les virtuoses (et c'est sans doute vrai aussi pour les luthiers) sont obsessionnels. Chacun a une idée très arrêtée sur la manière dont il convient de jouer ceci ou cela. Ce qui est propice à faire jaillir du conflit et j’ai retrouvé dans Les musiciens ces étapes de travail, d’ajustements, de concessions, de renoncements nécessaires pour que la rencontre ait lieu et que le quatuor trouve l’harmonie. Mais ce qui est formidable est que nul spectateur n'a besoin d'avoir des compétences particulières en musique pour l’apprécier.
Il fallait au cœur du scénario une partition pour quatuor pour laquelle le compositeur Grégoire Hetzel a eu à l'esprit des musiciens comme Britten, Chostakovitch, Bartok, Stravinsky, Reich, Glass, Pärt…pour créer une musique captivante pour le spectateur, un peu savante, qui mette en scène une certaine virtuosité instrumentale, et que chaque musicien ait sa propre voix, distincte des autres tout en faisant partie de cet ensemble serré, avec des passages sur lesquels le quatuor allait buter, les moments aussi où chacun pourrait briller… rendre le premier violon jaloux du second, faire sortir la violoncelliste de sa mélancolie.
Frédéric Pierrot, dont la grand-mère maternelle jouait du piano et lui offrait des disques où se racontait la vie de grands musiciens a joué de toutes sortes de flûtes, avant d'avoir un coup de foudre pour la clarinette, et cet instrument ne l’a, dès lors, jamais quitté. C’est un grand amateur de jazz et il s’est glissé dans la peau de Charlie Beaumont avec son souci permanent de la justesse et du vraisemblable. Il parait qu’il ne se séparait jamais du scénario qu’il annotait de manière à savoir comment devait réagir son personnage.
L'architecture Art déco du château où se passent les répétitions a évité un côté "ton sur ton" avec les instruments classiques. Le jacuzzi était assez anachronique au milieu de son jardin à la française, et son emploi a offert prétexte à la comédie. Toutes les émotions ont leur place, jusqu’à une certaine sensualité qui se déploie après la séquence passée au coin du feu, et la mise en scène de la musique chemine doucement pour trouver son état de grâce dans le concert final…filmé au plus près des musiciens, en s'attardant sur les doigts, les cordes, le bois des instruments, avec parfois des plans très longs.
Entre temps chaque moment de répétition raconte un trait particulier des relations entre les personnages sans jamais lasser. En tant que spectatrice, j’ai été saisie par l’impression de réel, comme si j’étais invitée dans une grande maison où étaient enfermés des musiciens qui ne se connaissaient pas, que j’ai découvert un par un, dont j’ai compris les tempéraments, les failles et les ambitions. Ce fut semblable pour le compositeur, qui est un personnage rarement montré avec autant de simplicité au cinéma.
Il campe un musicien dont on devine qu’il a traversé un certain nombre d’épreuves personnelles qui l’ont rendu plutôt solitaire et qui expliquent qu’il vit plutôt solitaire dans une maison isolée à la campagne. Il y cultive un lien étroit avec le silence à l’instar d’un John Cage et les sons de la nature, en particulier des oiseaux, comme le faisait Olivier Messiaen.
S’il fallait tirer une leçon de la projection ce serait de comprendre qu’être musicien signifie écouter l’autre. Plus largement, ce film traite du vivre ensemble, des petits compromis qu’il faut faire pour trouver l’harmonie, après le chaos, parce que lorsqu’on ne peut plus se parler, on peut encore s’entendre.
Les musiciens de Gregory Magne
Scénario Grégory Magne
Avec Valérie Donzelli (Astrid), Frédéric Pierrot (Charlie Beaumont), Mathieu Spinosi (George, 1er violon), Daniel Garlitsky (Peter, 2ème violon), Marie Vialle (Lise, violoncelle), Emma Ravier (Apolline, alto), Valentin Pradier (Louis), Nicolas Bridet (le frère), François Ettori (le luthier)…
Musique originale Grégoire Hetzel avec Daniel Garlitsky à la supervision musicale
En salles le 7 mai 2025
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