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La publication des articles est conçue selon une alternance entre le culinaire et la culture où prennent place des critiques de spectacles, de films, de concerts, de livres et d’expositions … pour y défendre les valeurs liées au patrimoine et la création, sous toutes ses formes.

vendredi 31 mai 2024

Du domaine des murmures, adaptation et jeu de Jessica Astier

Impossible de tout dire dans un titre, et je regrette de ne pas y avoir mentionné les noms de Carole Martinez, qui est l'auteure de ce roman dont la lecture m'avait bouleversée il y a plus de dix ans, et celui de William Mesguich car il est non seulement à l'origine de ce projet théâtral mais aussi le metteur en scène (signant également les lumières, comme à son habitude).

J'ai choisi de mettre en avant Jessica Astier parce que son adaptation est rigoureuse et belle et que son interprétation est exactement celle que j'aurais imaginée si j'étais comédienne, et si j'avais son talent.

Je vois beaucoup d'excellents spectacles mais peu qui laissent une trace indélébile comme le fera Du domaine des murmures. L'enjeu était de taille et le travail, d'adaptation, comme de scénographie et de mise en scène aboutissent à un moment de grâce.

Le décor, qu'on doit à la jeune femme (qui a aussi conçu l'affiche, et qui est allée jusqu'à suggérer des costumes à Alice Touvet) installe le spectateur devant un retable alors qu'une voix off s’élève sur un brouhaha de murmures étouffés. Nous serons tantôt en intérieur, tantôt dans la campagne.
Tous les personnages sont là. Esclarmonde bien évidemmentl, Lothaire le jeune époux éconduit dont William fait la voix), le père d'Esclarmonde et seigneur du domaine des murmures (c'est Daniel Mesguish qui parle en son nom), Douce, sa seconde épouse, belle-mère de la jeune fille, Bérengère, sa servante (ce sera une soeur de William), et puis Jehanne, Ivette, un bébé, et même la foule … si bien qu'on oublie qu'il s'agit d'un "seule en scène". Par le biais de la magie de la vidéo, Mehdi Izza a brillamment réussi à créer les atmosphères des scènes principales du roman, même si j'ai été aidée par ma connaissance de la région où se déroule l'intrigue dans la tour seigneuriale qui déploie ses ailes dépareillées au sommet d'une falaise abrupte au pied de laquelle coule la Loue, (…) depuis la source bleue, qui coule près du champ de la fée verte à Malbuisson, tranquille rivière qui lèche l'escarpement rocheux, s'appliquant à dessiner depuis toujours les mêmes boucles vertes sur la terre.
On ne voit que le résultat, sans réaliser la prouesse technique que représente un spectacle qui comporte 120 tops techniques, mais il est utile de le souligner.

Cette proposition est loin de la version (que je ne juge en aucune façon) présentée pendant le festival d’Avignon au Théâtre des Halles en 2015 dans l’adaptation, la scénographie et la mise en scène de José Pliya
, où son actrice, Leopoldine Hummel, était tout à fait enfermée.
Ici la closure est suggérée et prend davantage de force. Car la comédienne est si sensuelle que l’idée de la savoir contrainte est une offense. Esclarmonde est toutes les femmes qui de Marie-Madeleine à Jeanne d’Arc en passant par Olympe de Gouges et Louise Michel auront cheminé sur la ligne étroite de la résistance poétique en refusant le diktat des hommes.

Esclarmonde l'exprime avec sensibilité : J’aurais tant aimé ne pas déplaire à mon père. Son refus n'est pas un caprice mais la revendication de décider d'elle-même. C'est ce qui est beau et qui demeure universel même si son histoire nous est rapportée depuis le XII° siècle sous forme d'un conte. Et si le roman est au passé, le théâtre se déroule dans une forme de présent. Enfin il faut souligner que les personnages masculins évoluent positivement au cours du récit, bien que la fin soit extrêmement tragique.
La vie des recluses est peu connue. Et pourtant elles furent des milliers à choisir de vivre emmurées pour prier Dieu jusqu’à la fin de leurs jours. C’est en 1187, le jour de son mariage, devant la noce scandalisée, que la jeune Esclarmonde refuse de dire "oui". Elle veut faire respecter son vœu de s'offrir à Dieu, et se fait emmurée dans une cellule attenante à la chapelle du château, avec pour seule ouverture sur le monde une fenestrelle pourvue de barreaux. Mais elle ne se doute pas de ce qui est entré avec elle dans sa tombe … ni du voyage que sera sa réclusion.
Loin de gagner la solitude à laquelle elle aspirait, Esclarmonde sera témoin et actrice de son siècle, et soufflera depuis son réduit sa volonté sur le fief de son père, inspirant pèlerins et croisés sur leurs chemins.
Se cloîtrer ne signifie pas se taire. Esclarmonde est emmurée mais pas muette. Cette affirmation sera réitérée avec différents mots avant qu'à la fin elle redevienne stèle pour l’éternité, Victime de ceux qui craignent davantage les sorcières que ceux qui les brûlent.

William Mesguich est souvent sur scène en tant que comédien (il sera encore au Mois Molière à Versailles les 3 et 4 juin prochains pour interpréter Le souper avec Daniel Mesguich). Il est autant à l'aise dans le registre tragique (Dans les forêts de Sibérie, ou Le dernier jour d'un condamné) que dans la comédie (Mon Isménie). Il a déjà mis en scène de nombreux spectacles comme Opérapiécé, Lettre d’une inconnue, Soie, Liberté ! (avec un point d’exclamation), Les Hauts de Hurlevent, Fluides, Les misérables. Plusieurs seront joués cet été pendant le festival d'Avignon.

Jessica Astier alterne comme comédienne au théâtre, à la télévision, la publicité et comme voix off. Elle est aussi artiste peintre, graphiste et actrice.

Bercée par les récits de sa grand-mère, une pied-noir d’origine espagnole qui exerce la fonction de concierge, la jeune Carole Martinez a écrit ses premiers poèmes à 12 ans. Après s’être d’abord illustrée sur les planches de théâtre en qualité de comédienne, elle est devenue professeure de français. Elle a déjà publié, toujours chez Gallimard,  Le Coeur cousu (plusieurs fois primé, notamment du  Prix Renaudot des lycéens 2007), Du domaine des murmures (Prix Goncourt des lycéens 2011, Prix Marcel-Aymé 2012), La terre qui penche, et Les Roses fauves. Elle sortira le 20 août prochain un nouveau roman.
Du domaine des murmures, adaptation et jeu de Jessica Astier
D’après du roman de Carole Martinez Du Domaine Des Murmures, publié chez Gallimard en 2011 (Prix Goncourt des Lycéens 2011)
Mise en scène et lumières William Mesguich
Création musicale et sonore Tim Vine et Création vidéo Mehdi Izza
Costume Alice Touvet
Scénographie et affiche Jessica Astier 
Spectacle tout public à partir de 14 ans. 
Au Lucernaire 53 rue Notre-Dame-des-Champs - 75006 Paris
Du 29 mai 27 juin 2024 du Mercredi au Samedi à 19h et Dimanche à 16h
Au Théâtre du Roi René à 10 h pendant le festival d'Avignon 2024

jeudi 30 mai 2024

à quoi songent-ils, ceux que le sommeil fuit ? de Gaëlle Josse

J’ai lu seulement deux livres de Gaëlle Josse, mais chacun de style différent, Une femme à contre jour et La nuit des pères. Son dernier ouvrage m’en fait découvrir un autre, la poésie.

Elle apporte une trentaine de réponses à la question formulée dans le titre à quoi songent-ils, ceux que le sommeil fuit ? On notera l’absence de majuscule qui marque assez souvent le premier mot d’un vers en poésie moderne. On pourrait aussi y voir une marque de familiarité indiquant modestement une pensée intérieure.

Elle utilise le biais de la microfiction sous forme de nouvelles très courtes, de souvent deux-trois pages, qui se dégustent comme des bouchées et qu’on enchaine sans parvenir à reposer le livre.

On se rafraichit le cerveau avec quelques mots là encore uniquement en minuscules, en référence au code de la poésie. Ils sont posés sur une page intermédiaire (exemple la nuit indifférente, obstinée et mon front contre la vitre p. 183) qui ne sont pas nécessairement des indices caractérisant le prochain texte.

Aucun n’a de titre. C’est au lecteur de l’attribuer. Certains sont évidents. Sur la route de Madison (p. 163!  ou La soirée d’anniversaire (p. 185) qui est un de ceux que j’ai trouvé le plus beau.

Ça n’aurait aucun sens de résumer un recueil de nouvelles. Je peux juste dire qu’on y découvre, des hommes et des femmes, jeunes ou vieux, qui tombent les masques (p. 52) pour interpréter des notes d'espoir, des drames, de la mélancolie, rarement de la joie. Si, justement, dans la plus longue, très touchante, qui commence en agitant une guirlande de fanions, élément indispensable pour rendre joyeux un anniversaire.

On se reconnaît parfois. On y voit aussi nos voisins, nos parents. Quelques questions ponctuent ce recueil de poésie en prose. J’ai beaucoup aimé celle-ci : quand fond la neige, où va le blanc ? (p. 197)

à quoi songent-ils, ceux que le sommeil fuit ? de Gaëlle Josse, collection Notabilia chez les éditions Noir sur Blanc, en librairie depuis le 1er février 2024

mercredi 29 mai 2024

La BD s'expose à tous les étages du Centre Pompidou

Alors qu'il est beaucoup question de sa fermeture (seulement en septembre 2025), le Centre Pompidou donne un coup de chapeau gigantesque au neuvième art, à savoir la Bande dessinée. Montrer de BD dans un tel lieu est vraiment un geste important.

Intitulé La BD à tous les étages, cet art se décline à travers 5 expositions.

Commençons par la Galerie des Enfants qui a été transformée en un campement de têtes-tentes par la romancière et illustratrice Marion Fayolle qui aura presque entrepris un travail de scénographe. Cette galerie était un défi pour elle qui fait des dessins de la taille d'une main et qui sont dessinés avec un rotring fin comme une aiguille.

L'autrice d'une dizaine d'ouvrages parus aux éditions Magnani, depuis dix ans après La maison nue, déploie les thèmes qui lui sont chers en proposant au public d'entrer dans sa tête par le biais d'un dispositif et d'une activité :

- Dans la première tente-tête, en manipulant des marionnettes dans un théâtre d'ombres,
- Dans la deuxième, en contemplant une trentaine de dessins qui sont animés, en étant allongé sur un gros coussin,
- Dans la troisième, en se glissant dans un duvet imprimé qui s'ouvre comme une page et en complétant le personnage avec notre tête. On peut se regarder dans le miroir du plafond.
La première m'a fait penser, peut-être en raison de l'obscurité et du choix de l'ombre du cerf, au festival des Nuits de la Mayenne.je me suis prise au jeu. Car c'est bien de cela qu'il s'agit pour stimuler notre propre créativité et celle des enfants des villes qui n'ont pas eu la chance de pouvoir jouer dans la nature. Il est amusant de savoir que son propre fils lui a donné quelques idées. 
La deuxième offre l'occasion de partager l'univers des Les Amours suspendues, prix spécial du jury au Festival d'Angoulême en 2017. Et la troisième est plutôt amusante à tout âge. Le spectateur devient acteur car il est là pour faire partie de la composition.

mardi 28 mai 2024

Connaissez-vous la pomme Kiku produite en Grèce ?

Le pommier est l'un des arbres fruitiers les plus cultivés au monde et la pomme est le troisième fruit le plus consommé après les agrumes et la banane.

On croit que la pomme est vieille comme Mathusalem. C’est vrai et faux à la fois. Il existerait environ 2000 variétés et la recherche agronomique ne cesse de trouver des améliorations afin d’obtenir des fruits plus résistants aux maladies (donc demandant moins de traitements) et aux qualités organoleptiques supérieures.

C'est ainsi qu'est née au Japon, en 1932, une nouvelle variété, issue d'un croisement de Ralls Janet et de Red Delicious, de couleur rouge, bicolore, dont la chair est très sucrée, riche en jus et à la texture ferme et croquante. On l'appela Fuji, abréviation du nom de la ville où elle a été élaborée en premier lieu : Fujisaki, circonscription de la préfecture d'Aomori, au nord de la péninsule. Elle y représente désormais 80 % de la consommation nationale. On a commencé à l'exporter à partir de 1962. 

Il se trouve que dans les années 90, alors que je travaillais dans le marketing, j'ai été amenée à tester les intérêts des consommateurs français pour différentes variétés de pommes, dont la Fuji, à la suite de quoi les fruiticulteurs de Garonne de l'entreprise Blue Whale ont cherché à se diversifier en plantant des pommiers de cette variété. C'est à peu près à la même époque qu'un arboriculteur tyrolien fit la découverte au Japon d'une branche de pommes Fuji dont descend la Kiku actuelle, un nom qui sonne comme un personnage de dessin animé.

J'ai eu l'opportunité de la goûter, crue et cuite et de l'apprécier.

Sa chair est ferme, croquante, délicatement parfumée, juteuse mais sans excès. Elle est plutôt douce car faiblement acide et point trop sucrée donc rafraichissante. Pour être plus précise je dirai que le fruit dans lequel j'ai croqué m'a semblé moins sucré que la Golden et moins acide que la Granny.

Elle convient à la consommation fraîche, à la cuisine et à la pâtisserie. Ses qualités ont motivé le chef étoilé Andreas Mavrommatis à composer un menu en exploitant ses caractéristiques. Le résultat a si bien conquis l'assistance qu'il est plus que probable que deux plats rejoindront bientôt la carte de son établissement gastronomique, le homard et le second dessert.
Voilà en images ce que le chef avait préparé dans son nouveau restaurant Osmosis du 70, avenue Paul Doumer, dans le 16ème arrondissement de Paris.

Cette pomme permet d'obtenir un jus équilibré qui sera la base idéale de cocktail, avec ou sans alcool comme ci-dessous. Elle a inspiré Vassilis à associer son jus avec la liqueur de Mastiha (pour ses arômes de miel, de pin, de vanille et de menthol, à de la cannelle et un espuma de yaourt grec, avec un trait de miel de Crète et cannelle.
Le repas a commencé avec un Poulpe en carpaccio, tartare de tomate, soupe de concombre-pomme kiku servi avec un vin blanc que j'avais précédemment goûté et apprécié, du vignoble du Domaine Papagiannakos qui s'épanouit sur des sols calcaires pauvres en matière organique, dans un climat chaud, avec une faible pluviosité. Cet IGP Attiki domaine Papagiannakos Malagousia Kalogeri est obtenu avec 100% cépage Malagousia, très aromatique, mais malgré tout "droit" en raison du sol calcaire. Il dégage de formidables arômes de fleurs blanches.
Cette proposition est non seulement d'une élégance folle mais le mariage entre poulpe et pomme est très réussi.

lundi 27 mai 2024

Mexica, des dons et des dieux au Templo Mayor s'expose au Quai Branly

J'ai visité le Temple Mayor de Mexico en août 2017 et je me souviens parfaitement du choc que j'ai ressenti face à certaines oeuvres. Elles sont aujourd'hui au quai Branly et l'émotion demeure.

Il s'agit des restes de la grande pyramide à degrés de Tenochtitlan, capitale des Aztèques, ainsi que du centre cérémoniel sacré dans lequel elle se situait, au centre de la capitale mexicaine, sur l'actuel Zócalo (place centrale) de Mexico, à deux pas de la cathédrale alors que la plupart des pyramides sont plutôt en pleine nature.

On a du mal à imaginer la grandeur de l'édifice qui a été détruit après la prise de la ville par Cortés en août 1521, et la disparition de l'Empire aztèque. Les espagnols ont "si" bien rasé la ville primitive qu'on avait même oublié son existence bien que des fouilles plus anciennes avaient pourtant eu lieu.

On doit à des terrassiers de la Compagnie d’électricité, la mise à jour d’un énorme monolithe circulaire figurant la déesse de la lune Coyolxauhqui qui inaugura alors un demi-siècle de fouilles archéologiques d’une ampleur inédite. Car si l’histoire de l’Empire mexica (1325-1521) était largement connue et documentée, sa culture demeurait ignorée dans les domaines des rituels, de l’art et de l’architecture.

L'endroit est d'ailleurs peu engageant, en raison de la présence de bâches et de la couleur noire de la pierre volcanique comme on peut le voir sur la photo que j'ai prise du site.
L'INAH (Institut National d'Anthropologie et d'Histoire) transforme alors son projet de création d'un musée de Tenochtitlan en un programme de fouilles de grande envergure, qui permettra d'excaver environ 1,2 ha des ruines monumentales du Templo Mayor, sur un carré d'environ 350 m de côté. Le Museo del Templo Mayor est inauguré en octobre 1987 et j'ai pu y voir des pièces magnifiques.

Cependant, avec le temps et la progression des recherches j'avoue avoir mieux compris l'usage du centre religieux de Tenochtitlan en visitant l'exposition parisienne, Mexica, des dons et des dieux au Templo Mayor au Quai Branly organisée en association avec l'INAH, unique dans l’histoire de l’archéologie mésoaméricaine et présentée pour la première fois en Europe.
L'exposition est très bien conçue en associant des sculptures et des offrandes du Temple Mayor avec d'autres objets prêtés par le musée d'Anthropologie de Mexico et bien sur d'autres encore issus des collections du Quai Branly, le tout dans une scénographie extrêmement didactique ponctuée de films restituant la philosophie et les croyances mexicas.

En premier lieu je voudrais illustrer l'article par les quelques clichés que j'ai faits en 1979 des 6 pièces qui me semblaient spontanément les plus déterminantes. Au moins 3 sculptures ou céramiques sont présentées au quai Branly, dont celle qui a été choisie pour l'affiche. Je comprends pourquoi elle me semblait familière quand j'ai appris par elle l'existence de l'événement.

Avant de poursuivre avec l'exposition parisienne il me semble essentiel de partager avec vous un pan de mur qui évidemment n'a pas voyagé et dont l'existence est déterminante.

Il s'agit du grand tzompantli qui mesurait 35 m de long pour 12 de large et 4 à 5 m de hauteur, soit à peu près deux terrains de tennis. On empalait sur la structure de poteaux en bois les crânes humains des victimes sacrifiées en Mésoamérique dont le nombre est estimé à 136 000.

Il aurait été construit entre 1486 et 1502, environ une vingtaine d’années avant l’arrivée des conquistadors qui ont presque tout détruit. Il en reste des traces qui à elles seules font froid dans le dos.
Les suppliciés étaient invités à grimper en haut de la grande pyramide de Tenochtitlan, où se trouvaient les deux grands temples des dieux tutélaires des Aztèques, celui de la guerre et du soleil, Huitzilopochtli et celui de la pluie, Tlaloc.

Les prêtres aztèques, après avoir ôté le cœur des victimes étendues sur la pierre sacrificielle convexe (techcatl, "pénitence"), leur tranchaient la tête à l’aide de lames en obsidienne. Les corps étaient jetés jusqu’en bas des marches, sur un monolithe couché – toujours visible de nos jours à Mexico – représentant la déesse de la terre, Tlaltecuhtli, qu’ils étaient censés nourrir.

Les têtes étaient écorchées, le cerveau et les muscles retirés. Les crânes étaient ensuite enfilés par deux trous au niveau des tempes, le long de baguettes, aux côtés de milliers d’autres qui se décomposaient lentement et qui, une fois tombés à terre, devenaient des offrandes ou qui pouvaient finir encastrés dans deux piliers de chaux qui flanquaient le tzompantli.

Des analyses sont encore en cours pour en savoir davantage sur les victimes et sur les techniques de décapitation, qui semblent parfaitement maîtrisées et uniformes.

La visite de l'intérieur du Temple est tout autant surprenante. Je me souvenais particulièrement des sculptures de taille humaine en céramique et stuc peint de Mictlantecuhtli, le dieu de la mort (ci-dessous à gauche) et de l'Aigle Guerrier (ci-dessous à droite)
Le premier est un être semi-désincarné en position d'attaque, avec des griffes qui tiennent lieu de main des cheveux bouclés, qui étaient probablement placés dans les perforations de sa tête. Ces deux caractéristiques sont des particularités des êtres de l'inframonde. De ses côtes apparentes, pendent le foie et la vésicule au-dessous de sa cavité thoracique, car selon les croyances des Mexicas, ces viscères contenaient l'ihiyotl, l'âme associée aux pouvoir du monde souterrain et dont dépend la vigueur physique et une grande partie des passions et des sentiments et étaient étroitement liés au Mictlan autrement dit aux Enfers.

Le second conserve des restes du stuc qui le recouvrait, simulant le plumage des costumes authentiques. Les aigles guerriers comme les Jaguars guerriers composaient les deux corporations les plus importantes au sein de l'armée mexicaine, les premiers se rapportant au Soleil et les seconds à la Terre et à la nuit.

Ils ont tous les deux été trouvés en 1994 dans le bâtiment connu sous le nom de Maison des Aigles, au nord du Templo Mayor. Les deux effigies étaient disposées à l'époque de Motecuhzoma I (1440-1469) sur des bancs qui flanquaient l'entrée du bâtiment et où se déroulaient les cérémonies liées à l'intronisation. du Hueitlatoani, le plus haut dirigeant de Tenochtilan, décrites plus haut dans l'article.

Je me rappelle aussi d'autres pièces, non transportables, comme ces Guerriers en procession en basalte polychrome 1469-1481
J'avais aussi retenu ce Pot à l'effigie de la déesse du maïs Chicomecoatl en céramique polychrome et une sculpture du dieu du Feu Xiuhtecuhtli en basalte polychrome datant tous deux de1469-1481
Curieusement, peut-être en raison de l'émotion provoquée par la déambulation dans ce lieu autrefois sacré, je n'avais pas retenu des objets qui ont par contre attiré mon regard au quai Branly.
Il faut saluer la scénographie, qui évoque cette période troublante comme un conte, avec pour commencer la présence de vitrophanies représentant les principales divinités. On les admire en faisant la queue pour visionner un fil résumant le contexte. J'ai choisi Quetzalcoatl, dieu créateur de l'univers et de l'humanité,  souvent désigné sous le nom de Serpent à plumes et qui est représenté de plusieurs manières. Le voici, mi-oiseau, mi-serpent, sculpté dans une roche volcanique appartenant au Quai Branly.
Il est le dieu créateur de l'univers et de l'humanité, né de la fusion des deux pôles opposés, souterrain et céleste. Il exprime ainsi les principes fondamentaux de dualité, d'opposition et de complémentarité qui régissent la pensée mexica. Franchissant inlassablement les limites spatiales et temporelles de l'univers, il fait circuler les substances entre le monde des dieux et celui des hommes et favorise la succession des jours. Sur cette sculpture, la tête est ornée d'une natte symbole de pouvoir.

dimanche 26 mai 2024

58 ème édition du festival Off d’Avignon 2024

(mise à jour 1er juin 2024)
La 58 ème édition du festival Off d’Avignon a failli ne pas avoir lieu cette année … en raison des Jeux Olympiques qui mobilisent beaucoup de forces vives. Ce n’est pas mon propos de polémiquer, notamment sur la date de démarrage qui a été avancée suite à la demande des services publics alors que les vacances scolaires ne débuteront que 6 jours plus tard.

Et pour compliquer encore les choses beaucoup de compagnies ont décidé de commencer encore plus tôt afin de disposer d’un nombre de représentations égal à ceux des éditions précédentes. La date de fin est quant à elle identique pour tout le monde, y compris dans le "In", le 21 juillet.

Le public sera-t-il au rendez-vous partout pour tous  sachant qu’il y aura 445 spectacles du 29 juin au 2 juillet, puis 1666 spectacles et près de 25000 levers de rideau à partir du 3, uniquement dans les salles du Off ? Rien n’est sûr, sans parler de la météo qui jouera son petit rôle.

2024 sera donc une année particulière, et je ne ne vais pas cette fois dresser de liste de recommandations comme je l'ai fait les années passées. Ce serait trop fastidieux de filtrer par date, par créneau horaire, par lieu, par durée d’exploitation, par ancienneté (reprise ou création), par type de public, par catégorie, etc … Par contre en tapant le titre du spectacle dans le cartouche blanc de la colonne de droite et en cliquant sur rechercher vous accéderez à ma critique, si j’en ai fait une, et vous pourrez lire mon avis. Si vous suivez le libellé "spectacles" vous repérerez mes derniers coups de coeur : Naïs, le Géniteur, Du domaine des murmures, Le Cid …

J’adhère à la volonté du festival Off Avignon d’être un espace-temps où les frontières artistiques, culturelles, humaines se fondent pour laisser place à la découverte, à la rencontre, à la célébration de la diversité et de la création. J’espère cette année pourvoir encore une fois y faire des découvertes en sortant de mes zones "de confort" habituelles. Et je vous souhaite semblable parcours.

Cette année encore l'affiche fait débat depuis sa révélation fin avril 2024. Pourtant l'idée de lancer un concours parmi les élèves de l'École Supérieure d'Art Avignon (ESAA) est tout à fait légitime et cohérente avec la volonté de changement du festival Off. Quand on en connait la symbolique on ne peut qu'adhérer au choix de la lauréate, Oleksandra Dementieva, étudiante ukrainienne.

Ce visuel, onirique et décalé, revisite les symboles de la paix (couleur bleu ciel, rameau d’olivier et plumes de la colombe) et de l'universalité. Empli d'espoir et de liberté, ce poisson énigmatique prend son envol vers demain et au-delà, comme un symbole d’un festival qui nous transporte vers des horizons artistiques insoupçonnés. Il a pour intention de rassembler, nous apaiser et nous inviter à changer de regard.

Le Conseil d’administration du Off a progressé dans l’application de la charte du "faire ensemble", avec des évolutions qui touchent directement la profession comme la question des VHSS (Violences et Harcèlement Sexistes et Sexuels) dont a la charge Agnès Chamak, directrice du Théâtre des Brunes qui compte bien intensifier la prévention, la sensibilisation et la formation en ce qui concerne les rapports de domination.

Si Avignon est l'endroit où se créé le plus de spectacles en France il faut considérer que c'est aussi le cas dans le secteur du Jeune public comme le souligne depuis longtemps Raymond Yana, responsable de l'Espace Alya et délégué au Jeune public. Il est sans doute le premier festival au monde en matière de jeune public avec 190 spectacles. Un Village des enfants devrait être créé l'an prochain. Je le verrais bien dans l'ancien village du Off, implanté dans l'école Thiers, 1 rue des écoles, rebaptisée Simone Weil après les travaux qui ont amené à changer le lieu d'accueil du Off (aujourd'hui 6 rue Pourquery de Boisserin).

Raymond Yana travaille aussi avec Laurent Domingos, coprésident d’AF&C et administrateur de compagnie à la mise en place d'un label qui sera décerné par un organisme indépendant après validation de 52 items et revu tous les trois ans.

Ce type de préoccupations entre en résonance avec celles de la Scène indépendante qui est le Syndicat national des Entrepreneurs de Spectacles qui présente près de 180 spectacles programmés par 130 producteurs, compagnies et lieux de spectacles adhérents pour un total de 2687 représentations avec 500 artistes interprètes, comédien.es et musicien.es.

Ce syndicat qui d'ailleurs est présent dans une vingtaine de festivals proposera en effet des rencontres au Village du Off pour échanger sur les différents dispositifs de financement dans le spectacle vivant et sur son avenir, l’émergence, la parité … qui sont des questions que beaucoup se posent. Il a aussi mis au point un label pour certifier des spectacles produits dans le respect de la législation sociale, fiscale et artistique, déjà obtenu par 160 adhérents.

On constate aussi régulièrement le souhait d’apaiser les tensions entre théâtre public et théâtre privé. Je le mentionne parce que ce ne sont pas des préoccupations intestines. L’objectif est de transformer positivement le paysage culturel.

S'agissant spécifiquement des actions d'AF&C il est heureux que l'écoresponsabilité soit un but qui se concrétise avec la volonté de réduire l'empreinte carbone en visant à utiliser le ferroutage mutualité du matériel et des décors des compagnies. Cette action devrait se matérialiser très concrètement en 2025. Si toutes les compagnies y adhéraient on diviserait l'empreinte carbone liée au transport des décors par 100.

L'objectif est aussi clairement affirmé de réduire la production de déchets en limitant le nombre des affiches à un maximum de 150 et surtout l'affichage sauvage. On a déjà réduit le poids de 60 tonnes à 25. Espérons qu'on ne verra plus des rues défigurées par des guirlandes secouées par le mistral.

L'écotransition passera aussi par l'éducation des publics au travers d'ateliers pédagogiques et s'accompagne de la dématérialisation de l'ensemble des cartes.

Le public justement n'est pas oublié puisqu'un guide international élargi aux spectacles accessibles aux non-francophones a été mis au point. De même qu'un guide jeune public est en cours de réflexion. Et puisque les écoles ne fermeront que le 8 juillet des journées de sensibilisation qui permettront d'accueillir 300 enfants seront mises en place pour les écoles situées en REP.

La liste des nouveautés serait trop longue à établir mais on constate que l'évolution se fait dans le bon sens. Ainsi la ville de Versailles implantera la majeure partie de la programmation du Mois Molière à l'Ancien Carmel, preuve indéniable de la vitalité de l'itinérance.

Après avoir participé depuis plusieurs années au festival, Taiwan est le premier pays à être invité d'honneur, avec un focus ambitieux dans le spectacle vivant, le cinéma, la littérature, le street art et les arts plastiques. J'aurai l'occasion d'en reparler plus en détail.

samedi 25 mai 2024

Pauvre Bitos de Jean Anouilh mis en scène par Thierry Harcourt

Pauvre Bitos a été écrit en 1956 par Jean Anouilh (1910-1987) et fut créé en octobre au théâtre Montparnasse dans une mise en scène conjointe de Roland Piétri et d'Anouilh lui-même, avec notamment Michel Bouquet, Pierre Mondy et Bruno Cremer.

Il est utile de resituer cette création, dix ans après la Libération. Rien d'étonnant qu'elle fut un scandale. Elle faisat un parallèle avec la Terreur de 1793 en s'attaquant à ce qu'on appelait l'Epuration (qui visait les personnes ayant collaboré avec les autorités d'occupation nazies ou considérées comme telles) et que condamnait Anouilh, dans un contexte français de montée de la violence en AlgérieIl règlait ses comptes, en quelque sorte, avec ceux qui, dix ans plus tôt, l'accusaient d'avoir collaboré. Au-delà, la pièce est un manifeste contre tous les exercices abusifs du pouvoir, quels qu'ils soient. 

On raconte que c'est un tout jeune comédien, Michel Bouquet, qui deviendra son acteur-fétiche, qui avait sollicité Anouilh, lui demandant quelques mois plus tôt de lui écrire un Robespierre. Son jeu fit de la pièce un triomphe en dépit du scandale et quand on sait que Maxime d'Aboville fut son élève il n'est pas davantage surprenant qu'il interprète aujourd'hui le rôle titre. Il lui avait rendu un magnifique hommage avec son spectacle, Je ne suis pas Michel Bouquet.
Maxime d'Aboville y est excellent, évidemment, car il a déjà démontré combien il est -lui aussi- un  comédien d'exception. Il a obtenu en 2015 le Molière du comédien pour son rôle dans The Servant (mise en scène de Thierry Harcourt), et à nouveau en 2022 pour la pièce Berlin Berlin de Patrick Haudecœur et Gérald Sibleyras (Molière de la Comédie, mise en scène de José Paul).
Dans une petite ville de province, un groupe d’amis de la bonne société se donne rendez-vous pour un "dîner de têtes". Chacun doit se faire la tête d’un grand personnage de la Révolution française. André Bitos, fils du peuple devenu magistrat incorruptible et vertueux, est l’invité d’honneur et jouera Robespierre. Cet ancien camarade de classe des autres convives, qui raflait tous les premiers prix, est le seul roturier de la bande, mais également celui devenu procureur qui a requis, après la guerre, contre tous les collaborateurs ou ainsi présumés.
La bande de notables en smoking-perruque va se lancer dans un jeu de massacre aussi cruel que jubilatoire. Drôle, grinçant et terriblement actuel, renvoyant dos à dos haine de l’Autre et tyrannie de la Vertu.
Côté décor Jean-Michel Adam a eu la très bonne idée d'utiliser pour commencer le plateau nu du théâtre comme si c'était un lieu autrefois fastueux, aujourd'hui abandonné, éclairé simplement par une servante. Les costumes de David Belugou n'en seront que plus magnifiés, même si on aura bien compris que l'accessoire principal d'un dîner de têtes est la perruque.

On pensera inévitablement au Dîner de cons de Francis Veber (1998) sauf que celui de ce soir ne se termine pas par le même retournement de situation. Quand tombe le rideau de fer à la toute fin c'est plutôt à la guillotine que l'on songera.

Je me suis aperçue que je ne savais pas grand chose de Robespierre dont je gardais de ma scolarité une image un peu floue. La réalité historique est intéressante et les scènes de confrontation apportent une dimension supplémentaire à l'intrigue principale qui tourne autour du combat entre la justice et la vengeance, en mettant dos à dos les deux justifications.

Les dialogues sont d'une saveur extrême. Ils sont la preuve du génie de l'auteur. Les comédiens s'en saisissent à la perfection et sont tous plus "vrais" les uns que les autres. Et s'ils provoquent le rire le jeu n'empêche pas de mesurer toute la virulence à prétendre que Dieu pardonnera tout le monde sauf les médiocres, comme le dit Mirabeau, même si le "pauvre" Bitos semble être d'accord en affirmant qu'on n'est jamais trop cruel avec les imbéciles.

L'homme a compris qu'il est la victime d'un guet-apens et pourtant il n'enfile pas son manteau et reste. S'ensuit un coup de théâtre le mettant face à face avec Mirabeau (Francis Lombrail, formidable lui aussi), nous offrant un autre combat d'idées entre la raison d'Etat est l'intérêt du peuple.

Je ne voudrais pas spolier la mise en scène, parfaitement huilée par Thierry Harcourt (ci-contre) alors je n'en dirai pas davantage.

Tout est réuni pour toucher le spectateur, attendri par l'interprétation sans faille de Maxime d'Aboville (et de tous les autres invités) et qui découvrira dans le personnage psychorigide du magistrat cet enfant maltraité depuis toujours et à jamais.

Le sujet est hélas encore d'actualité soixante-dix ans plus tard. Il est d'autant plus grave que la France reste le pays dans lequel le milieu social de l’élève conditionne le plus fortement sa réussite scolaire. Qu’en est-il de la promesse d’égalité véhiculée par l’école ?

Le pensionnat dans lequel Bitos a fait ses études lui a peut-être permis d'être premier de sa classe mais sans promouvoir l’altérité. Une fois adulte sa légitimité à occuper une place importante dans l'échelle sociale ne lui est pas reconnue par ses anciens camarades.

Personne ne sort indemne et c'est une des forces d'Anouilh que de nous faire regretter d'avoir ri de la tragédie. Rien ne nous empêche d'y réfléchir.
Pauvre Bitos de Jean Anouilh en collaboration avec Nicole Anouilh
Mise en scène Thierry Harcourt
Avec Maxime d’Aboville, Adel Djemai, Francis Lombrail, Adrien Melin, Etienne Ménard, François Nambot, Adina Cartianu et Sybille Montagne
Décors Jean-Michel Adam et Lumières Laurent Béal
Costumes David Belugou et Musiques Tazio Caputo
Les vendredis et samedis à 19h et les dimanches à 17h30
Représentations supplémentaires les jeudis 6 et 13 juin
Dernière le 15 juin
Au Théâtre Hébertot
78 bis boulevard des Batignolles - 75017 Paris

vendredi 24 mai 2024

Mon minestrone … avec un Viognier du Domaine de Saint-Georges d'Ibry

J'ignore si le minestrone aurait été meilleur en Toscane puisque c'est une soupe complète typique de la région. En tout cas nous nous sommes régalés du mien que nous avons dégusté avec un verre de Viognier Domaine de Saint-Georges d'Ibry qui est une cuvée que j'avais découverte lors d'un déjeuner avec les propriétaires.

Faire un minestrone ne s'improvise pas. Il faut plusieurs ingrédients qui ne sont pas remplaçables. Par contre, on peut prévoir pour plusieurs repas et une fois la recette maitrisée il est facile de la réitérer.

Parmi les indispensables, il y a les haricots rouges (et blancs si on le souhaite) qui sont meilleurs achetés secs. On pourra d'ailleurs en acheter plus car ils se conservent parfaitement. Et puis les fameuses pâtes, des Ditalini Rigati que propose par exemple Barilla pour peu qu'on aille dans un hypermarché un peu important. Certaines personnes imaginent pouvoir remplacer par des macaronis coupés, mais ce n'est guère pratique.


La veille il conviendra de faire tremper les haricots. Le jour même on les cuira dans de l'eau additionnée de bicarbonate, environ trois quarts d'heure dans une eau qui ne sera surtout pas salée.

Pendant ce temps on découpe deux carottes et une branche de céleri en petits morceaux ainsi qu'un oignon. Certaines recettes prévoient aussi quelques feuilles de chou. On les fera revenir dans un filet d'huile d'olive et on cuira jusqu'à ce qu'ils soient fondants, soit environ dix minutes. Théoriquement on aura salé et poivré mais je n'en ai rien fait car il fallait que la soupe soit consommable par quelqu'un qui est au régime sans sel (c'est aussi pour cela que vous ne verrez pas l'assiette saupoudrée de parmesan, ce qui bien évidemment ne vous est sans doute pas interdit).
Ensuite on ajoute une boite de 400 grammes de tomates pelées et, si on le désire, une tomate fraiche en petits dés. Egalement trois gousses d'ail que j'ai coupées en fines lamelles, deux feuilles de laurier, une branchette de thym, de l'origan, un demi piment del Arbol (sans ses graines) et un litre de bouillon de volaille, et 250 grammes de haricots verts surgelés coupés en tronçons (franchement c'est très facile sans attendre la décongélation).
On fait cuire une vingtaine de minutes. On ajoute alors environ 200 grammes de pâtes et on poursuit au moins 8 minutes à petits bouillons.
On ajoute les haricots juste avant de servir. On corrige si besoin l'assaisonnement et on verse dans des assiettes creuses qui seront saupoudrées de persil haché. Ce n'est pas obligatoire mais on peut ajouter du pain grillé. Et des feuilles de basilic dès qu'on peut en trouver sur les marchés.
J'ai apprécié le Viognier IGP Côte de Thongue issu de vignes cultivées en production raisonnée parce qu'il est vif et frais, avec un fruité doux qui répond aux saveurs de ce mélange de légumes. Sa rondeur s'accompagne d'une belle vivacité finale qui met en appétit. A consommer comme il se doit avec modération.

Sa robe jaune pâle presque translucide est élégante contraste avec les couleurs de l'assiette. Ce vin, élevé par la famille Cros dans leur Domaine de Saint-Georges d'Ibry accompagnerait aussi tout l'univers marin, du coquillage au poisson en passant par les calamars frits. Je l'ai également apprécié avec des fromages.

jeudi 23 mai 2024

La Cuisinière des Kennedy de Valérie Paturaud

La cuisinière des Kennedy est un livre dont j’avais beaucoup entendu parler et que j’avais mal jugé, influencée par la couverture que je trouvais plutôt convenue. Le cliché qui a été choisi fait terriblement penser au plus célèbre des frères et je m’étais imaginé qu’on allait une énième fois revenir sur les aventures extra-conjugales de John et sa relation avec Marilyn. Mais pas du tout.

Valérie Paturaud m’a considérablement étonnée et séduite. J’ai plusieurs fois vérifié qu’il s’agissait bien d’un second roman car son style est parfaitement maitrisé.

Elle y raconte le destin extraordinaire d’Andrée Leufroy, une enfant trouvée en 1907 qui devint, par la force de sa passion, une cuisinière hors pair. Ayant côtoyé les Grands du XX° siècle comme les Frères Lumière, Albert Camus, les frères Gallimard, ... et bien entendu les Kennedy, elle aura été -en toute humilité- le témoin privilégié de leur quotidien. 

Elle traversa en effet l’Atlantique pour se mettre au service du Clan, en premier lieu de la "reine-mère" Rose et de son patriarche de mari Joe, suivra l’ascension politique de Jack, qui devint le plus jeune jamais élu président des États-Unis, également le premier qui soit catholique, sous le nom de John Fitjzerald Kennedy, les bonheurs et les peines des uns et des autres. Au cœur de la maisonnée, Andrée prépara les gâteaux d'anniversaire, imagina le menu des dîners de gala, consola les peines des petits et partagea les joies de la famille la plus célèbre du siècle, jusqu’à en faire quasiment partie

Tout est parti d’une caisse de lettres et de photographies qu’un petit-fils d’André a confié à Valérie Paturaud en la laissant libre d’en faire le matériau d’un roman.

On pourrait lui reprocher d’avoir un peu chahuté la chronologie. Ainsi nous sommes page 299 quelques jours après l’assassinant de Bobby alors qu’elle nous annonce page suivante sa candidature pour l’investiture démocrate.

Par contre la correspondance qu’elle ne cessa d’entretenir avec sa famille provençale l’a sans doute suffisamment renseignée sur ses traits de caractère pour qu’elle nous la décrive comme une personne modeste, sincère, un peu réservée, et pourtant si forte pour avoir agi comme une féministe affirmée.

D’autres, plus fragiles, auraient davantage été influencées par cette upper-middle-class américaine dont elle n’avait pas les codes, même si ses années auprès de grandes familles françaises l’avaient en quelque sorte préparée à s’insérer dans des milieux aussi différents qu’exigeants.

On est frappé par la puissance des liens qui la relient à sa famille américaine, si marquée par les drames qu’elle se sentirait déloyale de l’abandonner. Elle resta auprès de Teddy deux années supplémentaires (p. 326) avant de se sentir autorisée à retrouver sa famille drômoise. Il est tout autant étonnant qu’elle soit parvenue à poursuivre en son sein une vie paisible et sans reproche.

Il est amusant de constater qu’elle aura mieux connu la Maison blanche que Versailles ou l’Elysée, et que c’est outre-Atlantique qu’elle aperçut Yvonne et le Général de Gaulle. Comment celle qui demandait à sa famille restée en France de lui conserver les exemplaires de Paris Match dans lesquels s’étalait la vie de ses patrons, les Kennedy, aurait pu imaginer qu’elle figurerait dans le magazine qu’elle lisait religieusement, mais à la rubrique littéraire ?

Andrée était sans doute une cuisinière hors pair, comme l’était ma grand-mère. Les intitulés des recettes n’ont rien de gastronomiques mais cette cuisine du coeur (et des bons produits) est une des meilleures. On n'est guère surpris d'apprendre qu’un président remporte dans une boîte en plastique ses cookies au miel et ses sablés glacés de Noël (p. 256).

L’auteure reconnaît avoir dû écrire une partie fictionnelle pour combler les trous entre les éléments biographiques dont elle disposait. On ne peut donc rien prendre avec certitude mais il est plus que probable que cette femme qui apparaissait simple, dévouée et sans doute aussi un peu secrète, a réellement fascinée par la découverte de la vie quotidienne de la ménagère américaines, notamment le modernisme des appareils ménagers et la profusion des rayons des hypermarchés. J’imagine très bien ma grand-mère, née à la même époque, réagir semblablement.

Est-ce parce que Valérie Paturaud est installée dans la Drôme depuis plusieurs années, qu’on a le sentiment qu’elle marche dans les traces de Marcel Pagnol ? Sa manière de raconter l’histoire, en la vivant de l’intérieur est très agréable. Je regrette que son premier roman, Nézida (Liana Levi, 2020), m’ait jusque là échappé. J’ai pourtant entendu dire récemment qu’il avait rencontré un grand succès. On lui doit aussi la célèbre et essentielle méthode de lecture "Daniel et Valérie" (Nathan) qu’elle a coordonnée au temps où elle exerça le métier d’institutrice.

La Cuisinière des Kennedy de Valérie Paturaud, Les escales, en librairie depuis le 4 avril 2024

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