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dimanche 12 mai 2024

Les vallées closes de Mickaël Brun-Arnaud

Il en va des livres comme de certaines assiettes. Très belles d'aspect, faisant diablement envie, mais donnant la nausée après trois bouchées.

Il suffit de lire sur la quatrième de couverture l’interrogation suivante pour deviner sur quelles grandes lignes de faille Mickaël Brun-Arnaud va nous promener et nous donner le tournis : Qui peut dire ce qu’il s’est vraiment passé cette nuit où Paul-Marie, employé de mairie bien sous tous rapports, a recueilli chez lui Enzo, jeune adulte atteint de déficience intellectuelle ?

Il prévient que l’action se déroule dans ce village reculé de Provence où les préjugés sont rois et où l’on condamne toute forme de différence, à tel point que la vérité importe peu..

On sait que Paul-Marie est contraint de se cacher dans le grenier de Claude, sa mère, pour échapper à la vindicte populaire. Il ne nous reste pas grand chose à découvrir dans Les vallées closes. Il faudrait être bien naïf pour croire que le héros est coupable et tout autant pour imaginer qu’il puisse y avoir une fin heureuse.

Je ne m’attendais donc à rien de palpitant mais j’ai malgré tout lu ce roman, parce que je savais qu’il appartenait à la sélection 2024 du groupe des 68 premières fois dont je continue à suivre les choix. Je devrais pourtant savoir qu’il n’y a pas que des pépites, mais après tout, c’est logique parmi des premiers romans (même si celui-ci n’est pas vraiment un premier roman).

Je n’ai pas été dérangée par l’âpreté des rapports humains dans un monde confiné croyant davantage les rumeurs que les sentiments vrais. Mais par l’étalage de la misère, de la médiocrité assaisonné de méchanceté et de bêtise au-delà de l’insoutenable, noir très noir, jusqu'à la nausée, qui m’a plusieurs fois fait refermer le livre en me disant que trop, c’était trop et que j’en savais bien assez.

Pourtant j’avais une empathie débordante pour Paul-Marie contraint, à diix ans à peine, à faire l’apprentissage de la résilience affective (p. 33) quand son abruti de père attend de lui qu’il ait le cran de tirer à la carabine sur une biche et qu’il perdra son unique soutien, ce frère tout juste adolescent, que son ivrogne de père encastrera droit dans un arbre avec sa Golf.

Le positif, si je puis dire, c’est le talent de l’auteur pour maquiller le sordide derrière des métaphores alambiquées. Par exemple : l’amour c’est comme le cambouis sur un canapé blanc ; même en frottant fort ça avait toujours du mal à partir (p. 204). Et, pour sans doute nous dérouter, Claude intime à son fils de s’occuper de ses échalotes (p. 84) quand nous autres nous préoccupons de nos oignons.

Ce n’est pas la richesse du style qui suffit à nous empêcher de toucher le fond. Les chapitres s’enchaînent sans répit dans une violence crue. Difficile d’avoir de l’empathie pour cette mère si vulgaire qui est juste désolée d’avoir malencontreusement cassé la patte du jeune homme qu’elle voulait convaincre de l’innocence de son fils après avoir pesté contre les commerces de proximité qui ne cherchent rien d’autre que de voler la clientèle (p. 177). 

Les vallées closes sont le théâtre d’un gigantesque jeu de l’oie immonde sur lequel chaque évènement s’inscrit inéluctablement dans la crasse avant de déraper sur une pente encore plus gluante. Il est facile d’attribuer la responsabilité des drames à la géographie et au relatif enfermement des habitants, Paul-Marie le premier, à souffrir des années d’illusions déçues et de fantasmes atones auxquelles le lecteur assiste en ne pouvant se dégager d’une position de voyeur. Il est vrai sans doute qu’à force de tout retenir on finit par tout perdre (p. 182).

Mickaël Brun-Arnaud est le fondateur de la librairie parisienne Le Renard Doré - librairie de référence pour le manga et la culture japonaise. Son premier roman jeunesse, Mémoires de la forêt, est paru en mars 2022 à l’école des loisirs. Les Vallées closes est son premier roman de littérature générale.

Les vallées closes de Mickaël Brun-Arnaud, chez Robert Laffont, en librairie depuis le 19 janvier 2023

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