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mercredi 29 mai 2024

La BD s'expose à tous les étages du Centre Pompidou

Alors qu'il est beaucoup question de sa fermeture (seulement en septembre 2025), le Centre Pompidou donne un coup de chapeau gigantesque au neuvième art, à savoir la Bande dessinée. Montrer de BD dans un tel lieu est vraiment un geste important.

Intitulé La BD à tous les étages, cet art se décline à travers 5 expositions.

Commençons par la Galerie des Enfants qui a été transformée en un campement de têtes-tentes par la romancière et illustratrice Marion Fayolle qui aura presque entrepris un travail de scénographe. Cette galerie était un défi pour elle qui fait des dessins de la taille d'une main et qui sont dessinés avec un rotring fin comme une aiguille.

L'autrice d'une dizaine d'ouvrages parus aux éditions Magnani, depuis dix ans après La maison nue, déploie les thèmes qui lui sont chers en proposant au public d'entrer dans sa tête par le biais d'un dispositif et d'une activité :

- Dans la première tente-tête, en manipulant des marionnettes dans un théâtre d'ombres,
- Dans la deuxième, en contemplant une trentaine de dessins qui sont animés, en étant allongé sur un gros coussin,
- Dans la troisième, en se glissant dans un duvet imprimé qui s'ouvre comme une page et en complétant le personnage avec notre tête. On peut se regarder dans le miroir du plafond.
La première m'a fait penser, peut-être en raison de l'obscurité et du choix de l'ombre du cerf, au festival des Nuits de la Mayenne.je me suis prise au jeu. Car c'est bien de cela qu'il s'agit pour stimuler notre propre créativité et celle des enfants des villes qui n'ont pas eu la chance de pouvoir jouer dans la nature. Il est amusant de savoir que son propre fils lui a donné quelques idées. 
La deuxième offre l'occasion de partager l'univers des Les Amours suspendues, prix spécial du jury au Festival d'Angoulême en 2017. Et la troisième est plutôt amusante à tout âge. Le spectateur devient acteur car il est là pour faire partie de la composition.
De la même façon qu'en enfilant une chasuble imprimée pour se fondre dans le papier peint du mur voisin. L'usage du tissu est étonnant mais légitime car il ressemble au papier et offre des possibilités multiples d'enroulement, et de pliage, autorisant aussi bien le plat que le volume.
Ou en cherchant à faire coïncider son corps avec l'ombre qui s'échappe d'une flaque représentée sur le sol.

L'idée sous-jacente est que la lecture est toujours une expérience qui nous mobilise. Elle-même dit que lire un livre lui donne l'impression de rentrer dans la tête de quelqu'un pour voir le monde à travers d'autres yeux. L'opération est une forme de dédoublement conduisant à l'altérité, avec humour, tendresse et poésie. Elle aurait pu être intitulée "soi et son double" bien que "tenir tête" soit particulièrement approprié.

Cette grande admiratrice de Tomi Ungerer et de Claude Ponti vient de publier son premier roman, Du même bois, chez Gallimard.

L'après-midi de vernissage a été ponctuée de discours. Trouver le bon niveau pour suivre chacun était déjà un exploit a reconnu Laurent le Bon, le président nommé il y a deux ans par Emmanuel Macron pour fermer le centre Pompidou en célébrant des champs artistiques moins communs. Il a rappelé que la BD y est célébrée depuis 1977, particulièrement à la BPI où j'ai vu il y a quelques semaines la très belle exposition construite autour de l'oeuvre de Posy Simmonds.

Cette fois c'est dans les pas de Corto Maltese qu'on nous propose de voyager sous l'angle du romantisme.
Corto Maltese, la Jeunesse, aquarelle et encre de Chine, 1985

Sa silhouette est apparue pour la première fois en 1967 dans La ballade de la mer salée. Il a traversé ensuite en tant que protagoniste dès le deuxième album Sous le signe du Capricorne, et sur les douze albums créés par Hugo Pratt qui permettent de construire une biographie imaginaire, autour de sa vie romanesque.

Elle est affichée au début du parcours qui se termine, en toute logique par celle du dessinateur. Il est né à Malte en référence au film Le faucon maltais (1941) dont le héros était  Humphrey Bogart. Son look est vite établi avec des éléments de costume qui ne varieront pas et qui ont même inspiré les stylistes. On voit dans une vidéo son créateur dessiner au feutre en commençant par la casquette.
Présentation du premier numéro de la revue italienne, aquarelles et encre de Chine, 1983

Hugo Pratt dit de Venise que c'est la ville qui lui donne la possibilité de penser (de marcher, de discuter avec des amis, où l'on peut être paresseux). C'est l'eau, la tranquillité, la possibilité d'intérioriser. Il la connait bien et pourtant il a collaboré avec un architecte pour la dessiner.

Il a caché des détails dans les cases de La fable de Venise. Il faudrait décortiquer toutes ses interviews (plusieurs nous sont données à entendre à la BPI) et démêler le vrai du faux. Son imaginaire a embelli et transformé certains aspects de la ville pour les besoins du récit. L'auteur qui se considérait comme un chat déambulant dans Venise l'avoue sans détour : Je raconte la vérité comme si c'était un mensonge.

Il y a beaucoup de planches originales dans cette exposition qui décortique notamment le rapport entretenu par le héros avec les femmes, tour à tour inaccessible (Pandora, qui était le personnage principal de La ballade de la mer salée), magicienne (Bouche dorée), meurtrière (Venexiana), artiste (Marianne), révolutionnaire (Moira), femme d'affaires (Morgana), aviatrice (Tracy.
Au 6ème étage on dresse un panorama presque exhaustif de la Bande dessinée entre 1964 et 2024 en commençant par son expression dans le mouvement de contre-culture.
D'immenses agrandissements ponctuent chacun des douze espaces consacré au rire, à l'effroi, au rêve, au quotidien, à l'écriture de soi, à la couleur, au noir et blanc … jusqu'à la géométrie. La présentation est remarquable mais il y a tant à lire que trois jours pleins ne suffiraient pas à tout enregistrer. Cette partie s'adresse donc en premier lieu à de fins spécialistes qui connaissent déjà très bien l'univers de chaque auteur exposé.

Un coin lecture offre un moment de répit et la possibilité de découvrir quelques ouvrages. Mais redescendons d'un étage pour un autre type d'expérience. On nous propose d'arpenter les salles des Collections modernes (1900-1960)  où les maitres historiques de la BD sont à l'honneur et à travers un dialogue entre des auteurs contemporains de BD et des artistes de la collection.
Par exemple, en salle 17, Brecht Evens à côté de Paul Klee. Cette démarche est passionnante et elle offre aussi l'occasion de découvrir ou de re-découvrir des oeuvres dont on avait oublié qu'elles étaient là. C'est ainsi que je réalise que le Centre Pompidou a dédié une salle à Ellsworth Kelly, actuellement exposé à la Fondation Vuitton.

De s'apercevoir que certaines sculptures ne sont plus là comme la mariée de Nikki de Saint Phalle mais que ce portrait de Marguerite, la fille de Matisse agée de 20 ans, (lui aussi chez Vuitton en ce moment avec l'Atelier rouge) intitulé Tête blanche et rose, peinte à son retour de Collioure en 1914.
Et puis au sous-sol,  le considérable travail de la Revue Lagon.

Le visuel général a été réalisé par Fanny Michaëlis, illustratrice et actrice de bande dessinée. Son travail est présenté dans l'exposition Bande dessinée 1964-2024. Elle a présidé le Grand Jury du Festival international de la bande dessinée d'Angoulême il y a deux ans. Elle signe deux affiches artistiques pour les jeux olympiques et paralympiques Paris 2024.

La BD à tous les étages
Du 29 mai au 4 novembre 2024
Au Centre Pompidou
Tous les jours de 11 à 21 heures sauf le mardi
  • Bande dessinée, 1964-2024 - Exposition, Galerie 2, niveau 6
  • La bande dessinée au Musée - Accrochage Musée d'Art moderne, niveau 5
  • Corto Maltese, une vie romanesque - Exposition Bibliothèque publique d’information, niveau 2
  • Tenir tête, une exposition-atelier de Marion Fayolle Galerie des enfants, niveau 1
  • Revue Lagon, le chemin de terre - Exposition - Forum, niveau -1
  • La BD hors des cases - Programmation vivante Forum, niveau 0 et niveau -1

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