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samedi 24 mai 2025

Madeleine Béjart, une femme libre, interprétée par Isabelle Andréani

Isabelle Andreani est une comédienne que je chéris. Xavier Lemaire est un metteur en scène que j’apprécie, tout autant que l’auteur Pierre Olivier Scotto. Tous trois travaillent régulièrement ensemble et j’aurais été désolée de manquer leur rendez-vous autour de Madeleine Béjart au festival d’Avignon cet été.

On se souvient évidemment de leur précédent succès, Un cœur simple (qui sera cet été encore à l'affiche de l'Ancien Carmel d'Avignon à 15 h 15)

Le Théâtre des Gémeaux parisiens a offert au public parisien l’occasion de découvrir Une femme libre en avant-première à travers trois représentations spécialement programmées dans le cadre de leur nouveau festival mettant en avant des Seul(e)s en scène. Une, que dis-je, deux séances de rattrapage restent possibles dans le cadre du Mois Molière à Versailles les 25 et 26 juin. Ce sera dans la Cour de la Grande Ecurie, en plein air, et forcément émouvantissime.

Madeleine Béjart, une femme libre raconte les sept derniers jours de Madeleine Béjart, première compagne de Molière, qui a été sa "mentor", sa muse, sa compagnonne de route, son ombre… Par son écriture Pierre Olivier Scotto (ci-dessous avec son fils, ce qui donne l'indication que le spectacle est accessible aux enfants, à partir de 12 ans) démontre combien elle fut une femme moderne, capable de s’aventurer sur des chemins qu’aucune femme de son époque n’a empruntés.

On découvre que Madeleine est une interprète de génie, qu’elle écrit des vers, qu’elle invente la mise en scène, qu’elle construit, finance et dirige la troupe qui deviendra le Théâtre Français en 1680. À tel point qu’on a envie, quand le rideau se referme, de signer une pétition pour que la Comédie Française s’appelle la maison de Molière et de Madeleine Béjart !

La scénographie est simple, composée essentiellement d’accessoires. N’oublions pas que pendant le festival d’Avignon les artistes disposent de peu de place et surtout de peu de temps pour monter un décor. De toute façon, à l’origine, les comédiens ne disposaient pas de théâtre et jouaient sur des tréteaux.

Un fauteuil à cour adossé à une petite table évoque celui auquel on associe beaucoup de scènes interprétées par Molière. Le buste du maître est présent à jardin. Entre les deux une malle, telle que celles dans lesquelles depuis toujours on a transporté les costumes.

Isabelle Andreani m’a d’emblée conquise par ses éclats de rire dont la succession est digne de la tirade des nez de Cyrano.

J'ai lu que le spectacle était annoncé comme une confession. Ce n'est pas le terme qui me vient à l'esprit parce qu'elle n'a pas grand chose à se reprocher, bien au contraire. On comprend très vite -comme elle nous le souligne elle-même- qu'elle n'est pas une pleurnicheuse en se tournant vers nous comme pour nous livrer une confidence : Jean Baptiste me doit beaucoup

De fait, c'est bien cela car on quittera la salle en en sachant davantage sur cette femme que l'histoire n'a pas suffisamment retenue alors que son illustre partenaire a tiré grand honneur de leur compagnonnage. J'ai entendu dire d'ailleurs que la grande majorité de ses pièces n'étaient pas de sa plume mais de celle de Corneille. Il ne sera pas question de cela ce soir. Si sa mémoire est égratignée c'est sur un autre registre, plus personnel, bien que Madeleine ne soit pas dans la plainte. Et je me dis que s'il avait vécu à l'époque de #MeToo il n'aurait pas fait la carrière qu'il a eue.

Isabelle Andréani démontre, s'il le fallait qu'elle est une grande comédienne, et qu'elle maitrise l'art du rire car il est vrai que démarrer un spectacle par un rire est l’angoisse des comédiennes mais pas pour elle et elle nous en donne cinq exemples qui deviennent contagieux. La première fois qu'elle devra s'interrompre dans une quinte de toux on s'inquiète de découvrir un vrai souci de santé.

Elle n'a que 54 ans mais le compte à rebours est lancé. Il ne lui reste que 7 jours pour se livrer et lever le voile sur une vie de femme qui fut un océan de secrets.

Son père était huissier des eaux et forêts et sa mère propriétaire d’une échoppe de lingerie. On sent tout de suite que c'est une femme de tête. Malheureuse en ménage, elle n'hésita pas à batailler pour obtenir la séparation de corps et de biens. Superbe victoire et exemple manifeste à une époque où les femmes étaient empêchées.

La jeune fille grandira entre ce modèle d'autonomie et le conformisme (normal pour l'époque) d'un père qui l'offre à un homme âgé de 60 ans. Ç'aurait pu être un drame. Ce fut le début d'un épanouissement sexuel autant que sociétal par la fréquentation des salons littéraires mondains. L'homme sera son amant et son mentor (aucun doute que nous sommes loin de #Metoo). Ajoutez l'hypermnésie (et l'intelligence) et vous comprendrez l'agilité de Madeleine à devenir précieuse mais pas ridicule tout en demeurant courtisane sans culpabilité.

Son parcours interroge évidemment sur l'époque où la gente féminine était interdite d'écrire. Mais nullement de penser. Avec pertinence, sensibilité, est une certaine acuité dans ce qui peut advenir. C'est en tout cas la vision que Pierre Olivier Scotto nous invite à entendre sur Madeleine, ce qui ne l'empêche pas de brosser un très beau portrait d'homme à travers la figure du grand-père. Comme il est réjouissant d'entendre Isabelle (très bien dirigée par Xavier Lemaire) imiter la voix du vieillard prédisant : tu seras une grande tragédienne !

Elle rend grâce à la perspicacité de son aïeul tout en relatant la puissance de ses sentiments, estimant, en toute humilité, qu'elle lui doit d'être devenue Madeleine Béjart.
Mais aussi à Charles Dufresne qui lui apprit le jeu théâtral quand, au printemps 1645, la troupe de l'Illustre Théâtre ayant fait faillite, Molière et elle quittèrent Paris pour aller jouer dans l’ouest et le sud de la France au sein de la troupe de Dufresne.

On apprend tout ce que Molière lui doit alors que son comportement est odieux puisqu'il lui préfère Armande, qui n'est pas (ne serait pas) sa soeur mais sa fille. L'une ou l'autre option est tout autant désolante.

Le plus bouleversant est de revivre avec elle l'obligation de devoir rendre son rôle, ce qu'elle nous raconte tout en dégrafant sa robe, qu'elle range dans la malle, mettant à distance aussi le souvenir des coulisses du Théâtre du Marais qui l'a éblouie au premier regard. Comme je la comprends quand elle nous dit qu'elle n’en a jamais oublié l’odeur ! Il m’a fallu trois ans pour accepter de ne plus souffrir du manque de celle des coulisses du TNS après mon départ de Strasbourg.

Ce spectacle est une occasion de dire l'essentiel de la condition d'acteur. Un comédien ne dit pas je vais travailler mais je vais jouer. Il n'empêche que le trac ne tarit pas. Je suis comédienne depuis plus de trente ans et plus je joue plus j'appréhende la montagne de monter sur scène. On comprend la fonction d'apaisement que doivent jouer les loges qu'à juste titre Madeleine caractérise comme les petites alvéoles d’une ruche d’abeilles.

Madeleine restera une femme amoureuse qui pose régulièrement un regard attendri sur le buste de Poquelin. Mais elle sera aussi jusqu'au bout une femme libre, malgré un tempérament superstitieux. Qui ne l'était pas à cette époque ? On le serait à moins quand on compare les dates respectives de leur décès : le 17 février 1672 pour elle et le 17 février 1673 pour lui, très exactement un an plus tard.

Il y aurait sans nul doute beaucoup d'autres choses à dire. L'auteur m'a confié avoir écrit un monologue de deux heures trente dans lequel il fallut couper abondamment. L'essentiel a été conservé. Il est un spectacle en hommage à deux immenses comédiennes, Madeleine Béjart autant qu'Isabelle Andreani.
Madeleine Béjart, une femme libre, de Pierre Olivier Scotto
Interprétée par Isabelle Andréani
Mise en scène de Xavier Lemaire
Du 24 au 31 mai 2025
Au Théâtre des Gémeaux Parisiens - 15 rue du Retrait - 75020 Paris
Dans la Cour de la Grande Ecurie de Versailles les 25 et 26 juin 2025 à 20 h 30 (sachant que Un coeur simple y sera joué le 13 juin à 20 h 30)
La Luna du 5 au 26 juillet 2025 (relâche les 11, 18 juillet) à 11 h 45 à pendant le festival d’Avignon

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