
Bernard Mélois est un sculpteur né en 1939 à Malestroit (Bretagne) qui a vécu et travaillé à La Ferté-Milon (Aisne), ville natale de Jean Racine. Après des études aux Beaux-arts de Nancy il mène en 1968, des recherches sur la polychromie qui le conduisent -parce qu'il n'a pas les moyens de s'offrir des matériaux nobles- à utiliser des tôles émaillées de récupération (casseroles, brocs …). Il créera une trentaine de bronzes, des dessins, des lithographies et des collages qui ont été présentés dans diverses expositions en France et à l'étranger.
Et surtout 316 sculptures figuratives, toutes faites avec des bouts de faitouts, essentiellement des personnages (parfois gigantesques) et des oiseaux qui semblent sortis du Jardin des délices de Jérôme Bosch. Ses oeuvres m’ont stupéfiée par leur beauté, leur charme incroyable, leur intelligence, méritant dans les musées une place comparable à celles de Calder.
Il aurait sans donc fallu qu'il ne vive pas à la campagne, donc éloigné des vernissages et des réseaux, comme ses professeurs l'avaient conseillé à Clémentine, artiste elle aussi (p. 82).
L’homme a tant travaillé de ses mains qu'il en usa ses empreintes digitales (p. 73). La description que Clémentine en fait me rappelle la personnalité de mon père, qui lui aussi mettait un point d'honneur à tout faire soi-même (p. 97) puisqu'il avait même installé le chauffage central sans avoir de connaissances particulières au début des années 60. Ce n'était pas un artiste (même si c'est une affaire de définition car il a tout de même imaginé le blason de la commune où il habitait et dont j'ai conservé un tirage en bronze) mais un bricoleur de génie, à qui on pouvait tout demander. Il faisait rugir les machines dans son atelier dès 6 heures du matin, malgré les protestations de ma mère, craignant qu’il ne se tue au travail. Bérnard Mélois faisait preuve d’un entêtement obsessionnel à travailler jusqu’à trois semaines avant sa mort, adoptant comme devise la phrase de Picasso : Quand je travaille, je laisse mon corps devant la porte (p. 73). Mais c'est l'injonction de Paul Valéry qu'il aurait voulu graver sur la porte de son atelier : Ami, n'entre pas sans désir (p. 85).
Il avait une volonté de fer, écrivant dans son journal : Les choses ne sont pas ce qu'elles sont. Elles sont ce que l'on veut qu'elles soient (p. 163). L'homme parlait peu mais il nota sur des carnets, 60 ans de pensées qu'il laissa en héritage à sa fille. Je ne dis pas un mot. je suis sculpteur, pas écrivain. Tout tout est dans ma sculpture, sans aucun sens caché (p. 156). Voilà sans doute pourquoi je les trouve si expressives et par le fait bouleversantes car chacune délivre un message ou illustre une pensée.
Il était familier de blagues pourries. Il téléphonait le 31 octobre en criant Allo…ween ? dans le combiné et lançait chaque 18-06 l'appel … du 18 juin en allant parfois jusqu'à offrir une pelle à l'heureux récipiendaire. Il avait un humour à couper au couteau que sa fille a cultivé avec amour. Son poème de la mouche à merde (p. 80) en est un exemple et aussi I love my shell, en guise de déclaration d'amour à sa femme Michèle. Celle-ci a fait bouillir la marmite pendant 15 ans, lui permettant de créer sans craindre que la famille souffre de faim. Il la libéra de ses obligations les 10 années suivantes quand il commença à vendre ses sculptures une fois que Pierre Seghers lança le mouvement. Puis elle reprit son emploi d'enseignante.
On aura deviné que la photo de la couverture du livre illustre la complicité familiale. Sur ce cliché pris par sa femme adorée, il porte un manteau en poil de bouc et un chapeau de sa fabrication et Clémentine un bonnet de l’AS Saint-Etienne qui a toute une histoire (p. 93). Elle est aquarellisée au bleu, une couleur qu’il affectionnait, d’abord parce que les premiers ustensiles ménagers étaient émaillés en bleu, ensuite parce que c’est la couleur sacrée par excellence, celle du manteau de la Vierge et du plafond de la Sainte Chapelle. C'est donc ce colori "bleu plaque de rue" qui fut choisi pour peindre le cercueil, qui deviendra identique à celui de Michou, dont c'était la couleur fétiche, comme le feront remarquer les employés des Pompes funèbres (p. 16).
Alors c'est bien est un ouvrage qui n'est pas banal, c'est le moins qu'on puisse dire, sur un sujet qui pourrait être carrément glauque mais l'auteure en fait un feu d'artifice émotionnel et artistique. A tel point que sa lecture m’a enthousiasmée, ce qui j’en conviens n’était pas gagné d’avance.
Le titre est emprunté à Bernard qui volontiers approuvait les décisions familiales. J'entends encore pour ma part une grand mère ponctuer pareillement les conversations comme nous disons OK machinalement.
Le récit des derniers jours est poignant et douloureux même si son départ semble s'être effectué dans la dignité. La résistance de Clémentine l'est tout autant : Mon unique stratégie de survie est le déni (…) Bien stable sur mes appuis, je transforme mon angoisse en action et, d'un geste souple, je fais basculer le chagrin sur le tatami de la vie (p. 123).
Quel meilleur carburant à la survie que l'humour ? C'est comme une torche enflammée qui tient à distance les bêtes sauvages autour des feux de camp (p. 137).
Clémentine Mélois se déclare inapte au malheur. Sa force de caractère est contagieuse. C'est une lecture que je n'oublierai pas. Et je lui laisse la parole pour achever de vous convaincre .
Alors c'est bien de Clémentine Mélois, Collection L'arbalète/Gallimard, en librairie depuis le 22 août 2025
Prix littéraire : Prix Marianne (2025, Prix Eugène-Dabit du roman populiste (2025) Prix Méduse (2024) Prix Georges-Brassens (2024)
Ce livre qui a été nominé pour le Prix du Roman Fnac 2024 figure aussi dans la sélection du Prix des lecteurs de Vallée Sud Grand Paris.
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