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La publication des articles est conçue selon une alternance entre le culinaire et la culture où prennent place des critiques de spectacles, de films, de concerts, de livres et d’expositions … pour y défendre les valeurs liées au patrimoine et la création, sous toutes ses formes.

lundi 16 septembre 2024

Les Gémeaux parisiens

J'ai découvert cet après-midi le Théâtre des Gémeaux Parisiens dans le cadre de son inauguration, après deux ans de travaux, et sa présentation de rentrée par ses directeurs : Serge Paumier et Nathalie Lucas.

Ça sent le frais, C’est clair et fonctionnel. La programmation est ambitieuse mais abordable. La salle sera ouverte 7 jours sur 7 et on peut espérer que le public viendra avec le même naturel qu’il s’installe à la brasserie du coin. La promesse sera tenue de laisser toujours la porte ouverte du 15 rue du Retrait, où l’on pourra choisir entre quatre spectacles le samedi et le dimanche.

Les deux directeurs assument d’ouvrir la scène de l’Est la plus à l’OuestQuand on aime le théâtre … tout est possible.
Si vous empruntez la rue dans le sens ouest-est vous constaterez la richesse des fresques murales qui font référence au passé du quartier sur lequel je reviendrai en fin d’article. L’endroit est riche d’histoire. Il fut autrefois le Théâtre de Ménilmontant où se produisirent des grands noms comme Mouloudji, Philippe Noiret, Laurent Terzierff Jean Teulé, Geneviève Casile, Claude Pieplu, Annie Girardot, Bernadette Lafont, Michael Lonsdale, Michel Galabru … mais aussi Daniel Mesguich qui aura grand plaisir à y revenir avec son fils.

C’est un enfant de Ménilmontant, Guy Rétoré, qui installera sa compagnie théâtrale amateure dans la salle de spectacles du patronage Saint-Pierre à laquelle il donnera le nom de Thâtre de Ménilmontant en 1958. Il y restera trois ans avant de déménager dans un vieux cinéma, comme nous le rappela Serge Paumier, à six minutes à pieds de là, pour y fonder le TEP, Théâtre de l’Est Parisien, qui sera reconstruit en 1983, à l’initiative de Jack Lang pour devenir le Théâtre de la Colline dirigé par Wajdi Mouawad depuis 2016 .
Les sourires illuminaient les visages de chacun, y compris celui d’Eric Pliez, maire du XX° arrondissement, ravi de couper le ruban rouge devant la porte de la salle, agrandie grâce aux travaux. Il sera possible d’accueillir des décors conséquents sur le plateau aux dimensions relativement impressionnantes (11 mètres sur 11) s’agissant d’une salle de 300 places. J’ai eu un petit doute la découvrant toute en longueur mais j’en ai testé l’acoustique en suivant le spectacle Belles de scène assise à l’avant-dernier rang et je peux affirmer qu’on entend parfaitement.
Nathalie et Serge ont sans doute hésité pour composer le puzzle de leur première programmation parisienne que vous retrouverez sur le site. Il y aura des reprises de spectacles joués au festival d’Avignon, dans leur théâtre avignonnais des Gémeaux ou ailleurs, des grands succès parisiens mais aussi des créations.
Tous les âges sont concernés. Bref, c’est qualitatif et éclectique. Jugez plutôt :


- Le petit coiffeur de Jean-Philippe Daguerre à partir du 19 Septembre. Ce fut un grand succès avignonnais comme parisien. A ne pas manquer !

- Formica, adaptation de la bande dessinée de Fabcaro par Amélie Etasse, qui mettra en scène une famille dysfonctionnelle avec Clément Séjourné (tous deux ci-dessus) à partir du 20 Septembre. L'écriture est acide mais lucide sur notre époque, avec ce qu'il faut d'irrévérencieux pour nous faire séduire.

- Le choix des âmes de Stéphane Titeca, à partir du 21 Septembre. Il a écrit le texte et sera l'un des interprètes (avec Alexis Desseaux). L'âme est la petite pièce de bois qui transmet les vibrations d'un violoncelle. Ce sera la métaphore de la relationqui se nouera entre deux soldats ennemis en 1916. 

- Le père Goriot, adaptation de l’œuvre de Balzac par David Goldzahl, à partir du 23 Septembre, interprété notamment par Duncan Talhouët (ci-dessus) qui sera Eugène de Rastignac, animé par la volonté de réussir.

- Pascal et Descartes et Le souper, écrits tous deux par Jean-Claude Brisville, mis en scène et interprétés par William Mesguich et Daniel Mesguich, le premier à partir du 24 Septembre et le second à partir du 30 Septembre.


On ne compte plus le nombre de représentations de la première (plus de 450) dans laquelle Daniel interprétait initialement le rôle de Pascal que William assure aujourd'hui. Henri Virlogeux  était Descartes dans la mise en scène de Jean-Pierre Miquel en 1985 au Petit Odéon.


Quant au Souper, créé en 2019, c'est un autre bijou qui démontre une nouvelle fois l'excellence de l'auteur à imaginer des duo qui tournent au duel. C'est aussi l'occasion pour nous de voir sur scène deux comédiens qui adorent se donner la réplique, et qui n'hésitent pas très longtemps à se surprendre encore, et nous avec.

- Histoires comme çà d’après Rudyard Kipling, adapté et mis en scène par Olivier Morançais, dans lequel joueront Nathalie Lucas (ou Estelle Andrea), Magalie Palies, Luc-Emmanuel Betton, Simon Lehuraux et Guillaume Sorel à partir du 5 Octobre. Ce sera une totale création, destinée à un public à partir de 6 ans, programmé le dimanche matin à 11 heures et en semaine à 15 heures.


Nous avons eu l'occasion d'admirer l'une des coiffes têtes d'animaux réalisées par Pascale Blaison

- Belles de scène de Jeffrey Hatcher, mise en scène de Stéphane Cottin qui signe l’adaptation avec Vincent Heden et Agnes Boury, à partir du 4 Décembre.


Les heureux visiteurs des deux journées d’inauguration (les 14 et 15 septembre dernier) n’ont pas eu à attendre la fin de l’année pour voir ou revoir ce spectacle -en avant-première parisienne- qui fait si bien honneur au monde du théâtre. Je l’avais beaucoup apprécié au festival d’Avignon il y a deux ans et c’est avec grand plaisir que je l’ai redécouvert, avec un minime changement de distribution (Patrick Zard' rejoint la troupe). La pièce, fondée sur une réalité historique, a conservé toute sa spontanéité et son heureuse grivoiserie. Elle offre des rôles magnifiques aux comédiens et nous rappelle l'époque où, en Angleterre, les femmes n'avaient pas le droit de jouer au théâtre.


L'après-midi nous offrit l’opportunité de grimper jusqu’à la chapelle -elle aussi restaurée- située en fond de cour, où chanta notamment Edith Piaf, mais qui hélas n’est plus aux normes pour accueillir des spectateurs. Nous avions heureusement d'être en comité privé.

En ressortant il faudra s’attarder sur le panneau rappelant l’histoire du patronage Saint-Pierre et du théâtre créé en 1932, construit par des entreprises grâce à l'aide des habitants ayant apporté leurs dons au curé du quartier. Cette histoire explique l'émotion exprimée par les deux directeurs, et leur responsabilité à faire revivre un bâtiment fermé depuis 2018.


Il faut aussi marcher le long de cette rue dont le nom a été déformé et qui cache le passé agricole du quartier de Ménilmontant. La vigne qui grimpe encore sur le mur rappelle qu’autrefois, simple hameau, il y avait là de nombreux domaines viticoles jusque dans la seconde moitié du XIV° siècle. En particulier le vignoble du Ratrait dont le nom a évolué au fil du temps. Les vignes plantées dans le Parc de Belleville donnent encore lieu à des vendanges participatives annuelles en souvenir de cette époque.


Et je n’ai pas été surprise d’apprendre que la rue du Retrait fut la première rue végétale de l’arrondissement. 


S’il faut renoncer à arpenter le Ménilmontant pastoral d’autrefois, il est toujours possible d’apprécier la nature sous forme de fresques de street-art, aux motifs végétaux. Des artistes emblématiques du quartier, comme Némo et Jérôme Mesnager, ont orné les murs d’immeubles d’habitation de longues tiges, fleurs et feuilles bigarrées. 


Le théâtre de Ménilmontant offrait une programmation qui cherchait à mettre en valeur les arts populaires. Sa fermeture en 2018 a provoqué la colère de nombreux manifestants. On peut admirer sa superbe façade colorée signée des peintres Pascale Convert, Sabine Martin-Ragoucy et Guy Hakim, qui l’ont peinte dans le prolongement de celle de l'école Notre Dame de la Croix.

La modernité marque la rue grâce à l’action de l’Association Le Ratrait qui est à l’origine de la réalisation depuis 2001 de ces fresques désormais caractéristiques, dont on peut admirer de multiples exemples : la fresque d’Anis (ci-dessous) …

… Le grand arbre de celle de Simon Carloni, Justine Rossetti et Rosatelier, à l'angle avec la rue Laurence Savart, avec cette autre, très modeste, en dessous :

… La "Planète bleue pour nos enfants"  peinte sur le pignon de l'Ecole du Retrait …

… Sans oublier la référence au chanteur populaire Maurice Chevalier et son célèbre canotier sur la maison qui fait l'angle avec la rue de Ménilmontant par laquelle je suis arrivée.

Sébastien, alias Sebd, y a peint également au pochoir, le portrait de Jaber (Jaber El Majoub, né en Tunisie en 1938) qui se définit comme un "citoyen du monde". Né dans une famille de bergers, il perd sa mère à l'âge de 6 ans, est élevé par sa sœur, et n’a pas pu apprendre à lire et écrire. Il arrive en France, à Marseille, en 1958 puis se rend à Paris deux ans plus tard. Artiste autodidacte aux multiples talents, musicien, chanteur, boxeur, comédien, sculpteur, peintre, poète, il exerce divers métiers qui lui permettent de vendre ses gouaches l’après-midi dans la rue. Il devient alors "le roi de Beaubourg". Il part alors en Californie où il expose ses travaux. A son retour à Paris il exposera dans certaines galeries.

On peut, depuis cette rue de Ménilmontant, apercevoir au loin la terrasse colorée du Centre Pompidou si déterminant pour Jaber.


Et puis, un peu plus haut encore, on trouvera à quelques mètres la boulangerie de Benoît Castel (150 rue de Ménilmontant - 75020 Paris - 01 46 36 13 82) où je m’installerai pour un brunch un samedi ou un dimanche, avant d’enchaîner plusieurs spectacles dans ce théâtre qui mérite grandement qu’on en devienne un habitué.

Théâtre des Gémeaux Parisiens 15, rue du Retrait 75020 Paris - 01 87 44 61 11 - Métro Ligne 3 - Arrêt Gambetta 

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