Le titre du dernier album de Satomi Ichikawa est trompeur. Touche pas à mes kakis est une histoire de partage intergénérationnel.
Les kakis, c'est si bon que, dès l'automne venu au Japon, les corbeaux et les enfants rivalisent pour déguster les plus mûrs. Mais un corbeau, ça vole, sacré avantage ! Heureusement, les grands-parents de Ken-tchan sont là, avec leurs trucs et astuces, pour permettre au petit garçon de se régaler avec ses amis. Car ils savent bien que les kakis, c'est très bon aussi pour passer l'hiver en bonne santé.
Ce fruit est mal connu en France alors qu'on en trouve pourtant dans les vergers. Il est surtout populaire au Japon qui produit une des meilleures variétés. Elle est délicieuse, plus sucrée et plus juteuse que ceux qui poussent en Europe. La chair est plus claire, très croquante et surtout sans âpreté.
Je me souviens en effet en avoir goûté à l’occasion d’une soirée organisée en l’honneur de la ville de Nara dont le kaki est une des spécialités depuis plus de 1300 ans. J’avais appris alors qu’il était arrivé en France, depuis le Japon, dans la seconde moitié du XIX° siècle. Les kakis séchés japonais avaient d’ailleurs remporté une médaille d’or lors de l’exposition universelle de 1900 à Paris. Les japonais en sont si fiers qu'ils consacrent au kaki un musée dont le bâtiment est en forme de dôme, de couleur orange … comme ce fruit !
De toute évidence Satomi Ichikawa sait tout cela, même si elle avoue (dans un livret biographique que son éditeur lui a consacré) s'être peu intéressée dans sa jeunesse aux traditions culinaires malgré un respect affirmé pour les traditions pleines de bon sens. Si elle avait fait un livre documentaire elle aurait sans doute fait réaliser à la grand-mère de son héros des sushis particuliers, composés d’une boule de riz surmontée d’une tranche de saumon ou de maquereau crus, enveloppée d’une feuille de plaqueminier, nom botanique de l’arbre produisant ces fruits.
On a commencé à l'utiliser quand on a compris qu'elle avait une propriété anti-bactérienne (alors qu'elle n'est pas comestible), ce qui permet de conserver les sushis dans de bonnes conditions et d'atténuer la puissance du sel parce que Nara étant située loin à l'intérieur des terres les livraisons de poissons n'étaient pas très fréquentes et le poisson avait tendance à être très salé pour se conserver le plus longtemps possible.
Les anciens avaient des astuces pour tirer profit de tout. Par exemple en faisant confire des fruits qui seraient trop amers à consommer tel quel. Beaucoup sont ainsi transformés à l’instar des prunes en pruneaux ou des raisins secs. Ça garantit leur conservation… si on n’est pas trop gourmand. La réaction de la grand-mère, faisant sécher les kakis du dernier arbre de son jardin est donc tout à fait normale.
L'album de Satomi Ichikawa indique qu’il ne faut pas se décourager. C’est une sorte de message d’espoir et de partage puisque l’enfant ne va pas se gaver tout seul … et que les oiseaux auront eu leur part en temps et en heure.
Ken-tchan et ses grands-parents sont les personnages principaux d'une histoire douce et fruitée sur la transmission des savoirs entre générations, dans laquelle humains et animaux rivalisent d'ingéniosité pour déguster ces délicieux fruits.
Des techniques de production sous serre et la culture de différentes variétés permettent proposer des fruits de juillet à décembre récoltés au Japon. Ceux de nos marchés proviennent surtout d’Espagne. Mais je sais qu’il existe des plaqueminiers en région parisienne et ils donnent -de début octobre à fin janvier- de beaux fruits comme en témoigne la photo ci-contre que j’ai prise il y a quelques années déjà. Vous pourrez donc vous en régaler en lisant cet ouvrage.
Le trait est fin et délicat. L’allure des arbres est réaliste, témoignant de leur ressemblance avec des pommiers haute tige.
Il est difficile de croire que Satomi Ichikawa est une parfaite autodidacte et qu'elle s'est mise à crayonner des silhouettes d'enfants peu de temps après son arrivée à Paris, sans avoir jamais pris une seule leçon. Elle dessine merveilleusement, sans doute autant avec son coeur qu’avec ses aquarelles et grâce à un exceptionnel don d'observation. Depuis quelques années, elle écrit ses textes, pleins de finesse et de musicalité, directement en français. Elle a publié une trentaine d’albums à l’Ecole des loisirs après avoir d’abord été éditée en Angleterre.
Elle n’est pas à un paradoxe près puisque, bien que casanière, cette femme discrète, dont le prénom signifie "beau pays natal" en japonais, a voyagé dans le monde entier et chaque pays traversé fut une source d’inspiration. Voilà pourquoi elle situe souvent ses histoires dans des pays lointains, en Amérique du Sud, en Asie ou en Afrique. Je me souviens d'un très joli livre, publié en 1998, et qui fit le bonheur de mes enfants. Y a-t-il des ours en Afrique racontait l'histoire d'un petit africain découvrant un ours en peluche oublié par une petite fille et courant à travers la savane pour le restituer à sa propriétaire.
C'est un plaisir pour nous qu'elle dessine cette fois un personnage inspiré de sa mère, âgée aujourd’hui de quatre-vingt-dix-sept ans, qui travaille toujours dans son jardin, qu’elle n’a jamais cessé de cultiver tôt le matin et tard le soir quand elle avait un métier en dehors, comme le faisait sa propre mère avant elle.
Comme tous ceux qui vivent avec la nature, elle sait que la nature est capricieuse, mais elle sait aussi que plus on la soigne, plus elle sera généreuse et rendra ce qu’elle lui a donné. L'auteure nous transmet la satisfaction de sa maman de faire pousser les plantes, les voir grandir et pouvoir offrir ses récoltes aux autres. Cet album est ainsi un bel hommage aux personnes âgées qui ne s’arrêtent jamais de travailler.
Touche pas à mes kakis de Satomi Ichikawa, École des Loisirs, en librairie depuis le 28 août 2024. A partir de 6 ans.
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