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samedi 21 septembre 2024

Les liaisons dangereuses, adaptées et mises en scène par Arnaud Denis

La pièce a été créée l'an dernier à Lyon au Théâtre de la Tête d'or mais le public parisien l'a découverte enfin hier soir.
On connait l’histoire mais résumons par sécurité : La Marquise de Merteuil sollicite son ancien amant, le Vicomte de Valmont, pour lui proposer un défi immoral : elle souhaite se venger d’une ancienne infidélité en corrompant la jeune Cécile de Volanges, tout juste sortie du couvent, en lui faisant perdre sa virginité avant son prochain mariage. Valmont, quant à lui, s’est mis en tête de séduire Madame de Tourvel, une jeune femme mariée et pieuse.
On ne badine pas avec l’amour, et certaines liaisons, dangereuses, peuvent s’avérer fatales …

Regardez bien cette affiche. Il manque des protagonistes mais elle évoque un jeu de mikado. Il suffirait que tombe l’un d’entre eux pour que l’édifice s’écroule. Jusqu’où Merteuil réussira-t-elle à demeurer reine dans l’art de la manipulation ? Sans doute aurait-elle pu sortir gagnante si elle n’était animée que par la perversité. Sa motivation principale nous est clairement rappelée. C’est la vengeance et elle n’aura pas de limite, quitte à se perdre elle-même.

Si Arnaud Denis a respecté l'esprit des quelque 175 lettres que comporte le plus long roman épistolaire de tous les temps, composé par Choderlos de Laclos, il a aussi puisé dans La philosophie dans le boudoir du Marquis de Sade et il a écrit quelques scènes afin de rendre les joutes oratoires plus fluides. Et surtout, il a considérablement élagué (en ne conservant que les personnages essentiels) de manière à donner davantage de cohérence à l'ensemble. Voilà pourquoi tout s'enchaine si bien et qu'on a le sentiment d'une grande modernité malgré de grandioses décors (néanmoins simples de Jean-Michel Adam) s'inscrivant dans l'époque, éclairés de main de maître par Denis Koransky. Et les costumes élégants de David Belugou.

Arnaud Denis a  bien choisi la musique. On ne pouvait pas trouver mieux que la symphonie N°7 de Beethoven pour accompagner les premières minutes. Il a su doser dans les dialogues la perversité comme la candeur en y glissant un humour qui n’est jamais malsain, et parfois terriblement savoureux comme ce : Va je ne te hais point que nous savons tous avoir été emprunté à Corneille. Il dirige ses comédiens comme un chef d’orchestre. Le résultat est magnifique et ils ont raison de savourer leur bonheur comme on le voit sur cette photo où ils sourient en cherchant leur metteur en scène dans la salle sous nos regards complices et heureux.
Il y a eu tellement d’adaptations (d'ailleurs sublimes) aussi bien au théâtre que sur les écrans qu'on se croyait blasé et connaître le sujet par cœur et voilà qu'on entend le texte comme jamais. On remarque que Valmont attend le consentement de Cécile pour passer à l'acte. On comprend que Merteuil qui se juge née pour venger mon sexene s'est pas remise de blessures narcissiques qui nourrissent une soif de vengeance acharnée, sans limite, l’amenant à aimer si fort et désaimer si vite.

Laclos se doutait-il que deux cent ans plus tard le duo infernal (Merteuil-Valmont) ferait toujours des victimes (Cécile-Tourvelle) avant de sombrer lui aussi et que leur histoire -interprétée dans de splendides costumes et coiffures- pourrait encore subjuguer une assemblée qui ne vit plus pareillement ?

Aurait-il pu imaginer que son oeuvre dégagerait quelque chose d’universel ? Car, à y regarder de près, c’est une affaire d’emprise, et il conviendrait de mettre le terme au pluriel. Assez comparable à toutes celles que dénoncent de plus en plus ouvertement les victimes. À certains égards le propos de Laclos alimente la cause féministe.
Aurait-il cru aussi que son oeuvre puisse faire rire ? J’aime la médisance quand elle dit vrai, répond Merteuil avec mauvaise foi … ou franchise et provoque l’amusement dans la salle. Arnaud Denis (tenant la main ci-dessus à Valmont) a gommé l’ironie qui n’apportait, en fait, rien au propos (même si cela permettait à des comédiens comme John Malkovitch ou Glenn Close de briller) pour lui préférer le poids des mots. Je n’en donnerai qu’un exemple : la manière qu'à Valmont de miauler pour assurer la marquise de son allégeance. Et comme celle-ci est "précieuse" quand elle prononce des termes tels que "débraillée", " petit godelureau" ou qu'elle le qualifie de "sot en trois lettres" (au cas où il n’aurait pas compris).

Ah qu’il est dangereux d’entreprendre des liaisons ! Mais comme il est fabuleux de reprendre cette pièce quand on a du talent ! Danceny a bien raison de nous le rappeler : Sans l’imagination, nous sommes tous des infirmes. La barre est décidément placée très haut en cette rentrée théâtrale. Voici encore un spectacle qui surprendra et éblouira le spectateur.

Evidemment le spectacle doit beaucoup au talent (et le mot est faible) de la distribution. Delphine Depardieu évoque et éclipse quelques minutes plus tard la superbe Glenn Close. C’est une excellente comédienne que j’avais vue il y a très longtemps au Musée des armées dans Le désir attrapé par la queue et que j’avais applaudie plus récemment, en 2021 dans La mégère apprivoisée montée par Frédérique Lazarini, et la même année dans Badine, mise en scène par Salomé Villiers qui, ce soir, est sa partenaire dans la robe de Madame de Tourvel (après avoir triomphé dans celle de l’épouse de Montespan lui valant un Molière de la révélation féminine).

Valentin de Carbonnières confirme le sien … de Molière de la révélation masculine pour son rôle dans Sept morts sur ordonnance au Théâtre Hébertot après avoir été remarqué dans Le portrait de Dorian Gray mis en scène par Thomas Le Douarec, et plusieurs autres pièces auparavant comme Kamikazes ou Hétéro en 2014. 

La plupart se connaissent bien, et depuis longtemps, ce qui doit faciliter le travail. On est heureux aussi de revoir sur une scène Michèle André dont on a beaucoup entendu la voix. Elle doubla notamment Shirley MacLaine, Anjelica Huston et Géraldine Chaplin dans Le docteur Jivago. Cela faisait quelque temps qu’elle avait déserté la scène, depuis je crois 2006 quand elle jouait dans Les Revenants d'Henrik Ibsen, mis en scène par … un certain Arnaud Denis. Elle campe ici la charmante et attentionnée tante de Valmont, Madame de Rosemonde, faisant partager deux passions à la mode, celle du chocolat chaud (la tablette n’avait pas encore été inventée) et celle des dindons dont elle loue la beauté et l’intelligence (comme le faisait Louis XIV à Versailles).

Marjorie Dubus (Cécile Volanges) est une fraîche demoiselle qui n’est pas si naïve qu’elle n’en a l’air et qui ne se plaint guère de goûter aux plaisirs dès lors qu’elle découvre qu’on peut être agréablement émoustillée. Et Pierre Devaux (Danceny) comme Guillaume de Saint Sernin (le valet) ne déméritent pas.

Ceux qui aimeraient connaître la suite du grand théâtre des liaisons n’auront qu’à prier pour que Merteuil soit prochainement repris. La pièce, écrite par Marjorie Frantz, mise en scène l’an dernier par Salomé Villiers (avec Arnaud Denis en voix off) imagine les retrouvailles entre Cécile Volanges et Merteuil bien des années après le drame. On y comprend comment l’amour ne mène pas au bonheur, pour personne.
Les liaisons dangereuses, d'après Choderlos de Laclos
Adaptation et Mise en scène d’Arnaud Denis
Décors Jean-Michel Adam
Costumes David Belugou
Lumières Denis Koransky
Avec Delphine Depardieu, Valentin de Carbonnières, Salomé Villiers, Michèle Andre, Pierre Devaux, Marjorie Dubus et Guillaume de Saint Sernin
A partir du 20 septembre 2024, du mercredi au samedi 21h, dimanche à 16h
A la Comédie & Studio des Champs-Elysées - 15, avenue Montaigne - 75008 Paris
Tél : 01 53 23 99 19

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