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mercredi 16 juin 2021

La mégère apprivoisée, mise en scène par Frédérique Lazarini

Je n'imaginais pas voir La mégère apprivoisée, mise en scène par Frédérique Lazarini, car j'étais partie pour assister à un autre spectacle, qui ce soir là, exceptionnellement fut en relâche, le temps d'assurer sa captation

Alors voilà comment j'ai bénéficié d'une représentation particulière, sans public. J'en suis ressortie enchantée par le travail de mise en scène et le jeu des acteurs. Ç'aurait été dommage de s'en priver. C'est une chance pour les festivaliers avignonnais qu'il soit programmé au Chêne noir cet été. Il avait été créé à l'Artistic Théâtre fin 2020 mais je n'avais pas pu venir le voir, en raison des contraintes sanitaires.

C'était alors Sarah Biasini qui jouait Catarina. Je ne peux rien dire de son interprétation mais je vous garantis que celle de Delphine Depardieu vaut le déplacement.

Pour résumer le propos en quelques mots, c'est l'histoire d'une jeune femme profondément insoumise, résolument moderne. Frédérique Lazarini a choisi de nous raconter son combat pour gagner le droit à la parole et conquérir une certaine liberté dans la salle d'un cinéma ambulant, installé sur la place d'un village.

On connait les pâtisseries revisitées. Il va falloir compter avec les classiques eux aussi revisités car je serais surprise que Frédérique ne poursuive pas sur sa lancée. Son adaptation est le fruit d'une lecture attentive et intelligente de la pièce de Shakespeare qu'il serait stupide de jouer "à la lettre" après les secousses de mouvements féministes comme #metoo.

Elle a bien raison de s'interroger sur la nature de l'insoumission de la Mégère en nous la montrant rebelle certes, mais fine d'esprit. Puisque Shakespeare, en son temps, avait rompu de façon cruciale avec les décennies précédentes, en donnant à voir les paysages de Venise, de Vérone, ou de Padoue sur la scène londonienne, elle peut se permettre de situer l'intrigue dans une atmosphère de comédie italienne des années 50-60. D'autant que le cinéma italien de cette époque puise ses sources dans plusieurs traditions théâtrales : la commedia dell’arte bien sûr, dont l’influence reste prépondérante quant à la typologie des personnages et le récit picaresque pour la trame générale du récit, mais aussi dans les intermèdes comiques du Music-Hall populaire, très en vogue à la fin de la guerre.
Le spectacle commence dans l'atmosphère d'une fin de soirée estivale, avec des chants d'oiseaux et des aboiements, qui s'entrechoquent avec des rires qui s'échappent des coulisses. Les scènes jouées s'enchaînent avec les moments filmés, en noir et blanc, avec les mêmes comédiens, plus quelques autres, ce qui a permis une distribution plus resserrée (sans nul doute utile en période Covid, mais de toute façon justifiée artistiquement).
Bianca, la fille cadette est amoureuse de Lucentio. Mais le père ne consentira à son mariage qu'après avoir casé l'ainée, laquelle apparait en véritable diablesse, surtout au cinéma. Elle veut maitriser son destin et la pauvre Bianca doit subir sa jalousie et ses sautes d'humeur. Catarina n'a pas beaucoup de charme mais elle a une dot conséquente. L'amoureux transi cherchera un "bon sacrificateur" susceptible d'épouser celle qu'il  veut voir devenir sa belle-soeur. Petruchio sera le candidat idéal : un bel homme, désargenté, beau parleur.

L'heureuse surprise sera que Catarina comme Petruchio vont prendre plaisir à se chamailler. Le futur beau-père commande à Petruchio de se cuirasser et celui-ci fait le coq en affrontant Catarina en tenue rouge, mais sur les hanches comme une torera. Leurs joutes verbales pourraient bien s'inscrire dans un jeu de séduction réciproque, ce qui signifierait que la femme, tel un roseau, aura plié sans rompre, et qu'elle n'aura rien perdu de ses aspirations. Elle resplendit le jour de son mariage, irradiant de beauté alors que son prétendant surgit en rockeur croquant la pomme. La cérémonie sera fantasque. Catarina se fâchera si elle veut : la femme aussi doit imposer sa volonté. c'est ce qu'on nomme égalité.

Le père les qualifiera se couple d'amants explosifs. C'est la célébration de la folie et la scène du dîner de spaghettis bolognese est digne de Fellini. Aucun doute que ces deux-là ont la cervelle malade. Et à la toute fin ce sera la sœur de Shakespeare qui, à travers la voix de Catarina, aura le dernier mot, en lisant un extrait de Une Chambre à soi de Virginia Woolf.

Les costumes de Dominique Bourde ont quelque chose d'élisabéthain tout en évoquant les années 50. Ils sont d'une élégance folle. Les jeux de lumières sont à propos. Les chants sont jolis. Les accents chantent. Le jeu des comédiens est savoureux. Je me suis retenue de rire avec difficulté (n'oubliez pas que pendant une captation le silence absolu est requis dans la salle).
La Mégère apprivoisée de William Shakespeare
Adaptation et mise en scène Frédérique Lazarini
Scénographie et lumières François Cabanat
Costumes Dominique Bourde
Film Bernard Malaterre
Avec sur scène : Delphine Depardieu (Catarina), Cédric Colas (Petruchio), Pierre Einaudi (Lucentio), Bernard Malaterre ou Maxime Lombard (Baptista) et Guillaume Veyre (Tranio)
Et à l'écran : Charlotte Durand-Raucher (Bianca ) Didier Lesour (Le prêtre) Hugo Petitier (Gremio) et Jules Dalmas (Hortensio)
Au théâtre du Chêne noir du 7 au 31 juillet 2021 à 12h (Relâche les 12, 19 et 26 juillet)
8 bis, rue Sainte Catherine 84000 Avignon location 04 90 86 74 87 - www.chenenoir.fr

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