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La publication des articles est conçue selon une alternance entre le culinaire et la culture où prennent place des critiques de spectacles, de films, de concerts, de livres et d’expositions … pour y défendre les valeurs liées au patrimoine et la création, sous toutes ses formes.

dimanche 22 septembre 2024

Lettres d’excuses de et avec Patrick Chesnais

Les personnalités sont nombreuses à publier une sorte d’autobiographie, plus ou moins réussie, ayant surtout la qualité, ou le défaut, d’être au fond indiscrète. Je n’aurais donc pas été attirée en librairie par un livre intitulé Lettres d’excuses, écrit par Patrick Chesnais. Par contre, un seul-en-scène de Patrick Chesnais m'intéressait.

Que le texte soit de lui, pourquoi pas, mais ce n’était pas un critère de choix. En entrant dans la salle du Lucernaire, j’avais encore en mémoire, l’excellence spectacle dans lequel il avait joué, avec Emilie Chesnais, en septembre 2018, Tu te souviendras de moi.

Ça va ? Face au silence de la salle, le comédien bougonne : Je vais faire avec. On va y aller. Première lettre à Ferdinand.

Le pupitre avec le texte ne me gêne pas du tout mais le micro oui. Quel dommage de l’entendre avec un timbre soutenu par un artifice qui lui donne une voix radiophonique. Apparait fugitivement une photo qui pourrait être celle de ce fils adoré (on comprendra plus tard en la revoyant -cette fois au bon endroit- qu'il s'agit de lui, jeune). Les mots sont pourtant puissants : Je m’excuse de n’avoir pas su te protéger. Il n'y a rien d'autre à dire.

Bien sûr, il faut savoir que Ferdinand est décédé à 20 ans. L'homme qui a provoqué sa mort était alcoolisé, roulait trop vite sur une bretelle de sortie du périphérique, prise à contresens en pensant qu'il s'agissait de la voie d'entrée. Le choc frontal avec une autre voiture est fatal pour Ferdinand, assis à ses côtés. Ce que le comédien ne dit pas c'est qu'il a commencé à écrire après ce drame et fondé une association pour lutter contre la consommation d'alcool au volant chez les jeunes.

Ça démarre très fort. Il se dirige vers la table. Deuxième lettre à sa jeunesse, avouant n'avoir aucune excuse à sa condition de buveur–cueilleur.
Well, show me the way / To the next whisky bar 
Oh, don't ask why

Patrick esquisse quelques pas de danse et mime une guitare qu'on gratte. On reconnait la superbe chanson Alabama Song que l'on croit avoir créée par Jim Morrison et les Doors. Elle a été en réalité écrite au départ (en anglais) par Elisabeth Hauptmann en collaboration avec Bertholt Brecht, et fut mise en musique par Kurt Weill pour le jeu musical de l'opéra "Grandeur et décadence de la ville de Mahagonny".

Troisième lettre d’excuse, à sa vieillesse. Je voudrais de mourir de vieillesse toujours jeune. Je peux y arriver. Je vise l'exploit de Kirk Douglas, 103 ans.

Suit une lettre d’excuse à Delphine Seyrig qui interprétait au Théâtre de l’Oeuvre Sarah Bernhardt dans Sarah et le Cri de la langouste d'après John Murrell, dans l'adaptation et la mise en scène de Georges Wilson (qui lui jouait le rôle de Georges Pitou) en 1982. Nous visualisons le comédien assis au deuxième rang. C'est le soir de la dernière. Il n'a pas pris le temps d'aller aux toilettes et attend l'entracte avec une impatience grandissante au fur et à mesure que s'enchaînent les tableaux de 5 à 15 minutes. Le public du Lucernaire s'étouffe de rire car tout le monde a deviné qu'il n'y eut pas d'entracte. Lui, n'attendant que les noirs, laissa la pièce lui échapper totalement. (On devrait donner aux spectateurs le conseil d'aller aux toilettes avant les représentations. ce serait aussi utile que les prier d'éteindre leurs téléphones). Ce soir-là les gens applaudirent très longtemps (c'était un soir de dernière). Il sortit de la salle quasi accroupi, recroquevillé, avançant à petits pas, mimant le tour de rein.

Les genres alternent. Après le rire, voici un ton tragique avec la Lettre à sa mère Gigi Coco en maison de retraite, non loin du viaduc d'Arcueil. Combien de temps pour l’île de Ré où je suis si heureuse ? Je t’aime maman même si les preuves d’amour sont insuffisantes de n’avoir pas su comment faire.

Lettre d’excuse à Paris qu'il aime bien mais qu'il quitte avec plaisir. Il avoue un rapport passionnel avec cette ville insupportable, mais irremplaçable. La trompette de Louis Armstrong fait résonner Summertime, le célèbre standard de jazz composé par George Gershwin. Le ton monte : A nous deux Paris … Paris libéré. (Les spectateurs ravis applaudissent). L’océan m’emmerde. (Nouveaux applaudissements).

Suivra un tendre hommage à Mémé de la Garenne (Colombes), petite main pour un couturier parisien dont on découvre une photo de sa machine à coudre. Elle écoutait (comme la mienne que j'appelais Mémère Auxerre) sa sacro-sainte TSF pour suivre avec lui Zappy Max et La famille Duraton sur Radio Télé Luxembourg (RTL). Elle rêvait d'aller chez Maxim's. Il a oublié de renouveler la concession funéraire. Il ne peut que regretter : Où aller quelque part te remercier pour tout ?

Lettre d’excuse à Naomi Watts (actrice et productrice britannique, révélée au début des années 2000 par le thriller psychologique Mulholland Drive de David Lynch). Un soir de festival de Cannes, il dîne en face d'elle en compagnie d'un (autre) vieux macho et tous deux rivalisent de propos graveleux. Quelle ne fut pas leur surprise quand ils s'aperçoivent qu'elle parle parfaitement français et qu'elle a donc compris toute la conversation.

Lettre d’excuse à Mathilde May qui débute au théâtre dans la pièce d'Harold Pinter Le retour en février 95 où elle remplace Marie Trintignant avec Guillaume Depardieu, François Berléand, Jean-Pierre Marielle … La jeune comédienne sera contrainte d'improviser le temps que Patrick Chesnais revienne sur scène. 

Je connais tout, fors que moi-même. La citation de François Villon (né en 1431) prône l'exact inverse de Socrate et introduit la "lettre d’excuse à moi" : J’ai du mal à te cerner, ton comportement m’étonne, je connais la musique … Je connais tous les autres excepté moi-même.

Suit un savoureux florilège de paroles échangées entre l’acteur et le public. Qui se termine sur un compliment : Je n’ai que deux mots à vous dire bra-vo.

Lettre d’excuse au COVID-19 qui le frappa le 15 mars 2020, à son arrivée à l’île de Ré au tout début de l'épidémie. Il raconte le déni qui lui permet de fêter malgré tout son anniversaire en ouvrant comme de coutume une bouteille de Côte-Rotie. Le meilleur remède sera l’amour, celui de sa femme Josiane.

Lettre d’excuse à Juliette, une très jeune adolescente qu'il connut quand il n'avait que 7-8 ans et … dont la fin sera tragique.

Tant que le problème de la mort n’aura pas été résolu, je ne serai pas totalement détendu.  Cette répartie typique de Woody Allen annonce la suivante, une Lettre d’excuse à la mort qu'il lit les mains tremblantes, la faute à l'énervement causé par la perte de Ferdinand. Le style est affirmé. Patrick Chesnais a une vraie plume, comparable à celle d'un Philippe Delerm.

Lettre d’excuse à 1946, son année de naissance, ce qui porte son âge à 78 ans… Comme Bill Clinton, Michel Delpech, Jane Birkin, Suzanne Sarandon, Bernard Lavilliers, Marianne Faithfull que nous aimons ou avons tous tant aimés.

Lettre d’excuse à Jack Nicholson qu'il rencontra en Californie. Il faudra aller voir le spectacle pour mesurer l'ampleur de la gaffe justifiant cette correspondance.

Lettre d’excuse au petit matin et enfin lettre d’excuse à Eliott, son petit-fils de neuf mois, qu'il a du mal à porter à cause de son bras droit arthrosé. Il ne pourra pas fêter ses 50 ans (à la rigueur ses 20 ans). Il ne connaîtra ni les femmes de sa vie, ni les figures de sa carrière, ni ses amis. Il demande pardon de lui laisser le trou de la couche d’ozone, Instagram, le réchauffement climatique, les migrations, et de ne pas lui léguer la maison de l'île de Ré que la mer engloutira. Chaque spectateur ayant eu un enfant comme on dit "sur le tard" et un petit-enfant encore plus, se fait exactement ces mêmes réflexions et c'est ce qui donne alors aux propos du comédien une dimension universelle.

Comme il a raison néanmoins de vivre le présent intensément et de rire avec lui de le voir si heureux au fond du jardin, étonné et émerveillé par une fleur jaune qu'il tient à la main.

Ainsi s'achève, et sur des applaudissements enthousiastes, la série de lettres qui offre bien plus que des excuses car elles sont imprégnées d'un amour énorme pour ses proches, ses amis et que l'on sent communicatif.

Patrick Chesnais est un observateur minutieux, excellent écrivain, qui ne craint pas le grand écart entre les genres et dont on espère qu'il reprendra vite la plume pour nous surprendre une fois de plus.
Lettres d’excuses de et avec Patrick Chesnais 
Collaboration artistique Émilie Chesnais
Du mardi au samedi à 20 h, dimanche 17 h
Du 18 septembre au 10 novembre 2024
Au Lucernaire
53 rue Notre-Dame-des-Champs - 75006 Paris - 01 45 44 57 34
Lettres d'excuses, collection Arts et Spectacle, Éditions de l'Archipel, 2023

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