On nous inquiète en long, en large et en travers à propos de la menace que représente la maladie d'Alzheimer.
François Archambault a renversé les codes. Certes Edouard, prestigieux professeur d’histoire à l’université, a perdu la faculté de la mémoire de court terme mais rien de sa capacité d'analyse et a des éclairs de perspicacité. Lorsque son gendre prétend avoir pris une année sabbatique il rétorque qu'à quarante ans on appelle cela un burn-out. Certes il entre dans des furies mais il offre de beaux moments de complicité. Il faut le voir faire griller des chamallows. Certes il est souvent fatigué et prompt à divaguer dans la campagne mais il sait écouter les confidences. Certes il a des pensées obsessionnelles mais il peut concéder leur remise en question.
Les caractéristiques médicales de la maladie d'Alzheimer sont présentes. Mais il est tout de même amusant de noter que lorsqu'elle touche une personne extrêmement cultivée (ici un professeur d’histoire à l’université) les dégâts sont moins visibles puisqu'elle n'altère pas la faculté d'entretenir une conversation qui peut avoir du sens. L'homme a une phénoménale mémoire des dates et il est capable de tenir des heures sur des sujets comme le règne d'Akhenaton, marqué par la révolution des dogmes égyptiens ancestraux.
Si le patient fait preuve d'un certain humour comme c'est aussi le cas d'Edouard, on peut goûter de savoureux moments, par exemple lorsqu'il raconte sa première journée d'enseignant à l'université. Et si l'individu fait preuve aussi d'un minimum de malice il usera de je ne sais pas pour faire passer ce qu'il ne veut pas, en vertu de l'adage qu'il n'y a pas pire sourd que celui qui ne veut pas entendre.
Patrick Chesnais est confondant de naturel et le public se régale à suivre ses joutes oratoires. L'homme s'exprime désormais sans filtre et la vérité sort brutalement de sa bouche. Il nous livre une interprétation toute en tendresse de cet homme qui oublie qui il est mais pas ce qu’il est.
Il n'a pas tort bien sur. Nous sommes nombreux à estimer comme lui que les gens ne lisent plus et ne réfléchissent plus. Que les sensations ont supplanté la réflexion. On like à tour de pouce, sans songer aux conséquences et si on n'existe pas si on n'est pas sur Amstragram (on rit de la confusion avec Instagram). On partage son opinion : la révolution est devenue numérique.
Comme il est malin d'avancer l'hypothèse que son cerveau aurait peut-être tiré le rideau face à la bêtise humaine.
Le sujet n'est pas nouveau mais il est traité avec une certaine originalité à la manière d'un thriller psychologique avec une direction d'acteurs très fine que l'on doit à Daniel Benoin. Madeleine (Nathalie Roussel), son épouse, craque et réclame le droit à prendre de l'air, avec le risque qu'elle ne finisse par respirer définitivement ailleurs, ce qui, après tout ne serait pas une mauvaise chose tant elle est effrayante quand elle exprime ses pulsions négatives à l'égard de son mari : j'ai juste envie qu'il meure, j'ai hâte qu'il crève !
La fille (Emilie Chesnais) prend le relai car le bonhomme, bien que n'ayant rien perdu de son intelligence, a besoin d'une surveillance étroite. Elle aussi a sa vie à mener et son aide est loin d'être sans faille. Alors elle délègue à Patrick (Frédéric de Goldfiem), son nouveau compagnon, plein de bonne volonté mais vite repris par ses démons, à savoir sa passion du jeu. Il va donc devoir s'appuyer sur une personne ressource et ne trouve rien de mieux que de demander à sa fille (Fanny Valette), laquelle est en difficulté d'insertion professionnelle, de jouer la baby-sitter, ce qu'elle accepte contre de l'argent.
Ce jeu de balle chaude donnerait le tournis à quelqu'un de bien portant. Edouard fait heureusement preuve d'une certaine placidité et accepte de bon coeur la valse de ses accompagnateurs. Sa mémoire étant défaillante chaque instant est nouveau et il faut souvent reprendre les présentations. On appréciera le second degré quand Edouard, Patrick dans la vraie vie, ne parvient pas à mémoriser le prénom de l'ami de sa fille, alors que c'est le même que le sien. Egalement de voir Patrick et Emilie père et fille sur scène comme dans la vraie vie.
L'auteur établit un parallèle intéressant entre la propagation de la culture de masse, étouffante, et celle du phragmite commun, une grande graminée robuste et traçante, extrêmement colonisante qui tue la diversité de la flore partout où il s'installe. Le plateau est d'ailleurs littéralement envahi par ces roseaux qui jouent le rôle d'une métaphore esthétique. Et l'usage de la vidéo renforce le phénomène.
La bande son agit finement. On entendrait presque fredonner retiens la vie au lieu de Retiens la nuit à chaque fois que résonne la musique du grand succès de Johnny Hallyday.
Ce qui est original c'est qu'il n'y a pas de vrai rôle principal. Chaque personnage compte et tente d'être maitre de sa trajectoire.
Rien ne se passe donc comme le spectateur imagine jusqu'à la fin où Edouard accepte la situation sans plus en souffrir, allant jusqu'à cette confidence à la jeune fille dont il s'est fait une amie et qui aurait pu être son enfant : Je m'excuse d'avoir essayé d'arrêter de penser à toi.
Son dernier cri : Je m'en fous ! J'ai envie d'oublier de toute façon, peut être entendu comme un signe de sagesse ... Entre rires et larmes, tu te souviendras de moi, nous raconte que même lorsque la mémoire s’efface, le principal reste.
Tu te souviendras de moi, de François ArchambaultSon dernier cri : Je m'en fous ! J'ai envie d'oublier de toute façon, peut être entendu comme un signe de sagesse ... Entre rires et larmes, tu te souviendras de moi, nous raconte que même lorsque la mémoire s’efface, le principal reste.
Adaptation Philippe Caroit
Mise en scène Daniel Benoin
Avec Emilie Chesnais, Patrick Chesnais, Frédéric de Goldfiem, Nathalie Roussel, Fanny Valette
Au Théâtre de Paris – Salle Réjane
Depuis le 4 septembre 2018
Du mardi au samedi à 21H, Le samedi aussi à 17h
Le dimanche à 15h
Les photos qui ne sont pas logotypées A bride abattue sont de Philipducap
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