J'ai assisté, dans le charmant Théâtre de Nesle, à un spectacle musical intitulé Berlin, Paris, Broadway qui est un petit bijou de virtuosité, de cohérence et d'intelligence.
L'équipe a fait le choix de ne pas sonoriser et il est immensément agréable d'entendre la voix de Julie Horreaux de manière naturelle. Elle est capable d'humour et d'une multitude d'intensités, y compris bien sûr la voix parlée.
Le parti pris artistique d'associer le piano et le violoncelle est hardi et pleinement réussi car le recours à cet instrument donne davantage de relief. Il fallut créer les arrangements spécialement puisque les chansons n'ont pas été prévues pour être accompagnées d'un violoncelle. Elles ont été initialement écrites pour chant et piano. A part "Dream with me", écrite par Bernstein pour piano, voix et violoncelle, et les arrangements des Kosma, qui sont de Philippe Barbey-Lallia, l'équipe joue ses propres arrangements.
Les trois artistes n'ont pas choisi la facilité en commençant le récital par des chansons en allemand, même si on en comprend l'intérêt puisqu'il s'agit des paroles originales de Kurt Weill pour illustrer la première partie, consacrée à Berlin des années 20.
Pour évoquer ces temps de révolte berlinoise nous avons entendu d'abord Berlin im licht, dont les paroles et la musique sont de Kurt Weill qui prévient :
C'est pas un p'tit bled tranquille, Berlin
C'est une sacré ville !
Vient ensuite le Lied von den braunen inseln, sur des paroles de Lion Feuchtwanger et une musique de Kurt Weill qui décrit "des îles brunes où les hommes sont méchants et les femmes malades". Vier Wiegendlieder raconte, avec des paroles de Bertold Brecht et une musique de Hanns Eisler, l'histoire d'un combat pour rendre son enfant aguerri aux difficultés de la vie.
Suivront quelques autres chansons de Brecht puis la deuxième partie honorera le Paris des années 30 en commençant par le célèbre poème de Jacques Prévert, Grasse matinée, et son terrible début : ll est terrible l
e petit bruit de l’œuf dur cassé sur un comptoir d’étain. Il est terrible ce bruit
quand il remue dans la mémoire de l’homme qui a faim
...
A la belle étoile, du même Prévert, et toujours sur une musique de Joseph Kosma, témoigne combien les boulevards parisiens ont de tout temps abrité de pauvres gens, des vauriens comme des clochards affamés qui s'endorment sur les bancs, sous une drôle d'étoile pour une triste vie. Seule Barbara dérogera au thème en racontant la ville de Brest. La Ballad of the Soldier's wife (paroles de Bertold Brechtet et musique de Kurt Weill) cloture le thème.
Enfin, encore 10 ans plus tard, nous voilà à Broadway pour les années 40. Avec Rhapsody in blue puis le Prélude N°1 de Georges Gershwin, et Lost in the stars de Kurt Weill, avec des paroles de Maxwell Anderson, suivis de Dream with me, dont les paroles et la musique sont de Leonard Bernstein.
On constate que chaque période est illustrée par au moins un morceau signé par Kurt Weill. Les pièces d'autres compositeurs qui partagent les mêmes problématiques sociales et/ou artistiques sont mises en regard : Hans Eisler pour la période berlinoise, Joseph Kosma pour la période parisienne, et Georges Gershwin et Leonard Bernstein pour la période américaine.
Ce concert a vocation à faire connaître la musique de Kurt Weill, compositeur extrêmement connu dans les pays germaniques et anglo-saxons, mais souvent mal connu - voire mésestimé - en France. Né en 1900 en Allemagne, il a vécu tour-à-tour l'effervescence révolutionnaire des années 20 et la montée du nazisme dans les années 30. Juif et communiste, il a dû, comme bien d'autres, prendre les chemins de l'exil, en France, d'abord - où il fut en butte à l'antisémistisme violent de l'époque - puis aux États- Unis, où, par son talent et sa capacité à intégrer tous les langages musicaux, il devint rapidement l'un des maîtres du répertoire de Broadway.
La réussite du concert tient à l'association de pièces sérieuses et d'autres plus légères, de chansons jazzy et d'extraits d'opéras, de chansons célèbres et de petits joyaux méconnus ... jusqu'au rappel avec Slap that bass (Paroles d'Ira Gerschwin et musique de Georges Gershwin) et son délicieux Zoom zoom zoom zoom...
Dans le cadre du "Festival 7.8.9"
Par la Compagnie Soleil de Nuit
Avec Julie Horreaux (voix), Émilie Moutin (piano) et Frédéric Dupuis (violoncelle)
Les dimanches 23 et 30 septembre, à 15h00
Au Théâtre de Nesle, 8 Rue de Nesle, 75006 Paris
Téléphone : 01 46 34 61 04
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